Opération Borodine – 1

UN

Pauline Fontaine se réveille en sursaut. Du métal racle l’asphalte de l’avenue de la Motte-Piquet. Il est cinq heures. Gaétan se retourne et enfonce sa tête dans l’oreiller.
— Ce n’est rien, dit-il, juste l’installation des checkpoints.

La jeune femme se précipite à la fenêtre mais n’ose l’ouvrir. Un véhicule de combat stationne sur le trottoir d’en face. D’inquiétantes chenilles découpent l’obscurité. Sans doute celles d’un char Leclerc. Le canon braqué en direction du métro aérien pivote lentement comme s’il s’apprêtait à tirer.

Pauline appelle son mari.

— Mais viens donc !

Elle murmure d’une voix presque inaudible : « C’est la guerre ». Il la rejoint. La présence militaire doit être visible sinon à quoi bon ? Un camion s’approche. Une grue hydraulique dépose de gros blocs de béton en travers de la chaussée : des chicanes pour empêcher les véhicules de forcer les barrages.

— Je n’arrive pas à le croire ! Dans quelques heures Paris sera Damas…

— Douze jours ! Cet état de siège ne durera que douze jours ! Il le faut pour éradiquer le terrorisme.

— Encore faudrait-il que l’armée ne compte pas d’islamistes dans ses rangs.

— L’armée est fiable.

La diplomate est sceptique.

— Alors pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour voter l’état de siège ?

— Donner le pouvoir aux militaires n’est pas anodin.

Il se recouche, convaincu qu’ils ne vont pas tarder à s’habituer. Elle a un geste d’exaspération. Pourquoi devraient-ils s’habituer ? Voilà des années qu’ils font le yoyo entre l’état d’urgence, la levée de l’état d’urgence, la restauration de l’état d’urgence… Le gouvernement a semé le trouble en laissant les islamistes imposer leurs pratiques rétrogrades sur une partie de la population. Dans les banlieues, les femmes sont devenues des ombres dont ne voit même plus le regard, les bruits de la rue se sont transformés en silences.

— Si le président n’avait pas créé l’Islam de France en décidant de rémunérer les imams, Ouroub al Islamioun (1) n’aurait jamais vu le jour.

— L’Islam de France a empêché, au contraire, les dérives salafistes.

Pour Pauline, la construction des mosquées municipales a été la plus grosse erreur du quinquennat. Combien sont-elles aujourd’hui ? 25 000, flambant neuf. Elles n’ont fait que renforcer l’organisation terroriste. Chaque semaine un nouvel attentat. Chaque jour de nouvelles exigences.

— Jusqu’à l’abolition par le Parlement des lois interdisant le foulard dans les lieux publics. Demain, tout Paris ressemblera à Saint-Denis ! Et je ne parle même pas des minarets qui sont prêts à retentir au moindre signal.

— Cela n’arrivera pas.

— Qu’en sais-tu ? Ils ont bien obtenu des municipalités l’interdiction de sonner les cloches !

— Ils n’auront jamais droit à leur muezzin, le gouvernement a été très ferme.

— Comme si le gouvernement pouvait être ferme sur quoi que ce soit ! De toute façon ils ont trouvé la parade en mettant à fond l’appel à la prière depuis la sono de leurs voitures. Avec les vitres ouvertes, on a l’impression qu’il y a dix minarets à chaque feu rouge.

— Tu exagères !

— Et le vendredi qu’ils prennent systématiquement en RTT ou en congé maladie.

— Le gouvernement s’opposera toujours au week-end du vendredi-samedi.

Gaétan avoue qu’il n’aimerait pas commencer la semaine un dimanche. Il ne sait pas pourquoi car ce jour n’a rien de sacré pour lui. L’atavisme sans doute. Pauline lui rappelle qu’en plus des mosquées offertes par les Saoudiens, des madrasas sont apparues dans tous les quartiers. Les permis de construire ont été distribués à tout va. Seuls les maires issus de l’immigration maghrébine ont tenté de mettre un frein à cette montée du wahhabisme.

— J’ai mentionné le risque. Le « Vivre Ensemble » contrôle ces structures.

Pauline n’en peut plus de son vivre-ensemble, cette absurdité intellectuelle qu’il dirige depuis trois ans.

— L’Islam, que ton ministère a laissé proliférer, est une menace pour la démocratie. Vos démarches ont toujours été contre-productives. Quand je pense à toutes ces associations dites culturelles que vous avez subventionnées…

Salafistes, takfiristes, wahhabites, Frères musulmans, peu lui importe les différences ! Elle travaille pour le Quai d’Orsay depuis dix ans et les connaît sur le bout des doigts. Elle les associe toutes à une même secte dont le message se résume à haïr les mécréants, les juifs et les chrétiens, à punir les mauvais musulmans et à soumettre les femmes.

— Tu t’es déjà promené dans ces quartiers un vendredi ? Le vide ! Des rideaux métalliques baissés. Pas âme qui vive. Imagine que le Parlement finisse par le rendre férié !

Pauline s’interroge. Les récents sondages rendus par son ministère montrent que 75 % des musulmans de France placent les lois de l’Islam au-dessus de celles de la république.

— Un jour ils finiront par venir travailler le dimanche après avoir chômé le vendredi et tu verras que le Conseil d’État entérinera cette pratique par peur des représailles.

Il hausse les épaules. Il n’en croit rien.

— Fatima, l’avocate du premier, se bat chaque jour contre ces fanatiques. Ses parents qui vivent en banlieue subissent des pressions quotidiennes. Tu n’as aucune idée de ce qu’il se passe dans ces communes.

— La France sera toujours protégée par ses institutions républicaines.

— Parlons-en des institutions républicaines quand des maires touchent des pots-de-vin de l’Arabie saoudite pour la construction d’une madrasa…

— Rien n’a été prouvé. L’enquête est en cours.

— Et la Justice classera sans suite car tout le monde est impliqué. Après les maires, qui vont-ils acheter ? Nos députés ? Nos ministres ?

À court d’arguments, Gaétan remonte la couette sous son menton. Ces mosquées ont quand même calmé l’hystérie djihadiste, du moins chez les adolescents. Elle ne peut le nier. Mais le risque était-il réel ? Pauline en doute. Ne s’agissait-il pas de quelques cas isolés que les médias ont multipliés ? Le gouvernement affirmait que le djihadisme gangrenait la jeunesse, France Télévision diffusait des documentaires alarmistes, les parents paniquaient, cherchant des solutions pour empêcher le pire.

Et, oh surprise : les mosquées municipales venaient d’ouvrir. Il suffisait de pousser la porte. Elles s’imposaient d’elles-mêmes comme l’ultime remède contre le djihad, surtout après l’échec des Centres de déradicalisation.

— Elles ont au moins permis aux familles des adolescents qui se laissaient embrigader par Daesh de dire à leurs enfants : « Ce que ces recruteurs te racontent n’est pas l’Islam ».

— D’après moi elles ont surtout permis de convertir des milliers de Français.

— La faute aux églises qui n’ont rien fait pour attirer les jeunes.

À l’angle de l’avenue de la Motte-Piquet et du Champ de Mars, de puissants projecteurs éclairent la construction d’une muraille de sacs de sable. Pauline s’étonne que des techniques militaires aussi archaïques perdurent, sans doute en est-il de même dans le monde du Renseignement.

— Quand je pense que le monstre Ouroub al Islamioun couvait dans les centres de déradicalisation et que personne n’a rien vu !

— Viens te recoucher au lieu de ressasser.

— L’État a laissé ce gourou d’Al Misri, venu d’on ne sait où, diriger ces jeunes à la dérive. Pourquoi le « Vivre Ensemble » n’a rien fait ?

— Ces centres étaient gérés par l’Élysée. Le ministère de l’Intérieur n’avait aucun droit de regard.

— « Créez une Europe musulmane pacifiste mais ne partez pas en Syrie », disait leur gourou. Tu vois où ses bons conseils les ont menés ? Un attentat par semaine et des revendications quotidiennes.

Elle ne tient plus en place et ouvre la fenêtre. Tous les occupants de « La Verrière » sont réveillés et assistent depuis leur balcon à la mise en place de l’état de siège.

Claire Mareuil, la russophone du septième, Fatima Benshaïb qui partage son étage, Viane et Aurélien Lacroix leurs voisins de palier, Rémi et Cédric Blanc-Mesnil, le couple gay du 3e marié depuis deux ans, Jean-Marc Courcelles l’avocat du premier, ses jumelles Chloé et Léa qui étudient les relations internationales et apprennent le russe avec Claire.

Quelques-uns fument, dont Fatima. Cette avocate pénaliste de trente-trois ans, issue de l’immigration maghrébine, en veut à la France de n’avoir pas su tenir l’Islam à distance. Avant le « Vivre Ensemble », l’État favorisait l’intégration. Aujourd’hui, il soutient la coexistence de ces modes de vie arriérés au nom d’un soidisant droit des peuples à préserver leur culture d’origine. Un obscurantisme qui asservit la femme mais dont le gouvernement s’accommode. « Les principes républicains les protègent », répète-t-il naïvement, sans comprendre que de très nombreuses femmes n’ont pas le choix. Elle en sait quelque chose ! Son ancien quartier la juge. Elle y est traitée de « mauvaise musulmane », simplement parce qu’elle s’habille « français », mange « français » et ne parle que « français ».

Sa mère qui tient un salon de coiffure a fini par adopter le hijab pour ne pas perdre sa clientèle. Son père, gérant d’un petit U Market, supporte depuis qu’elle est étudiante les remontrances quotidiennes : « Ta fille est une koufar,une mécréante ». Pour les faire taire, il agrandit chaque mois son rayon hallal.

Fatima ne reconnaît plus sa commune. Ses anciennes camarades de classe ne se montrent qu’en niqab et ses copains d’enfance portent des barbes qui les enlaidissent et des pantalons d’islamistes. La pression est constante, le jugement omniprésent.

Elle discute souvent avec Claire sur la montée du fanatisme religieux. Elles se comprennent. Cette femme de terrain, qui lui loue l’appartement, a enchaîné les missions. Trois fois, elle a assisté à la mise en place de la charia dans des pays laïcs. Des scènes qu’elle n’est pas prête à oublier comme ces jeunes Tchétchènes que l’on démaquillait à l’essence en pleine rue, ces Irakiennes que l’on torturait parce qu’elles continuaient à se rendre à l’université…

Fatima jette son mégot par-dessus la rambarde et se rallume une cigarette. Elle en veut aux pouvoirs publics d’avoir encouragé ce retranchement culturel à coup de subventions. Le maire de sa commune connaissait l’orientation salafiste de ces structures mais il a continué à les soutenir. Pourquoi ? Était-il menacé ?

Fatima essaie de se rappeler à quand remonte la guerre des civilisations.

2001 : le ramadan s’impose dans son quartier.

2002 : le niqab s’arrache à n’importe quel prix sur les marchés de banlieues.

2003 : les musulmans sunnites sont humiliés par les Occidentaux qui bombardent l’Irak.

2004 : le hallal envahit les rayons des supérettes, comme si les musulmans allaient s’empoisonner en mangeant « français ».

2005 : elle relève la différence entre « Français » et « blédard », ces derniers voulant marquer leurs particularismes culturel et religieux.

2007 : les « Français » sont appelés « koufars ».

2010 : on la traite de« pute », alors qu’elle a garé sa voiture devant le TGI de Bobigny et traverse en tailleur le parking du tribunal.

Fatima écrase sa deuxième cigarette. Sa montre indique six heures. Il est trop tard pour se recoucher. Elle regarde une photo coincée dans le miroir de sa coiffeuse. Elle a une vingtaine d’années et défile avec d’autres place de la République. « Retire ton voile ou rentre au bled ! », dit le texte de la banderole et des panneaux qu’elles tiennent toutes au-dessus de leur tête. Elle rit en se remémorant cette période. Elle ne sait plus combien de niqabs elle et ses acolytes ont découpés dans des escalators des centres commerciaux. Ni vues, ni connues. Parfois, elles coinçaient un pan de tissu dans une rampe, de sorte que les niqabs y restaient accrochés, provoquant la panique chez ces musulmanes rigoristes ou qui voulaient se faire passer pour telles.

Dans l’appartement voisin, Claire regarde sur Internet les offres de missions. Elle a levé le pied il y a six mois mais elle s’ennuie. Quitte à revivre une ambiance de guerre, autant que ce ne soit pas à Paris.

Quatre étages en dessous, Rémi, le plus âgé du couple homosexuel, joue et rejoue sur son piano à queue laqué rouge l’Étude 12 opus 10 de Chopin appelée « La Révolutionnaire ». Son mari Cédric, un magistrat très à cheval sur les règles, lui demande d’arrêter. A-t-il perdu la tête ? Les voisins auront raison de se plaindre. Rémi lui rétorque : « Se plaindre à qui ? On est en état de siège ! »

Au premier, les jumelles applaudissent cette impertinence artistique. Elles les appellent tous les deux le « Mariage pour tous », en souvenir de la loi qui a légalisé le mariage homosexuel. Elles s’amusent d’ailleurs à affubler leurs voisins de sobriquets. Il y a « la Prof », Viane ; « le comptable », son mari Aurélien ; « la diplomate », Pauline ;« l’énarque », Gaétan ; « la Coriace », Fatima l’associée de leur père et Claire « l’espionne ».

(1) La traduction française est « L’Europe Islamique », nom de l’organisation terroriste qui sévit en France.

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6 Commentaires

  1. Un jour, celui du jugement, il faudra punir ceux qui ont mis la France dans cet état. Un pays riche, avec des ingénieurs, des technologies avancées, des industries robotisées, des brevets pour préserver son savoir nucléaire. Comment un tel pays peut-il avoir des dettes ? Qui a renversé la France ? Qui a volé l’argent des Français ? Des politicards maffieux associés aux banques et aux laboratoires pharmaceutiques.