La mosquée Notre-Dame de Paris – 15

15 – Les Barricades (suite).

« Le plus rageant serait qu’ils se mettent à bombarder depuis le ciel ! ».

Il faisait frisquet en ce petit matin de mai, et Jeanne releva le col de son anorak. Elle avait le bout du nez tout rouge ainsi que les joues, et ses yeux gris étaient embrumés de sommeil.

« Imagine qu’ils touchent Notre-Dame ! ».

« Ils ne prendront pas ce risque, rien à craindre pour Notre-Dame, répondit EugèneOlivier avec assurance. La Cité n’est pas plus grande qu’un mouchoir de poche. Si on la canardait, il y aurait forcément du grabuge. Tu sais toutes les richesses qu’ils ont stockées à la Conciergerie, au Palais de Justice, partout ! Même l’artillerie, ils ne l’utiliseront que quand ils se seront rendu compte que nous en avons une. Une poignée d’émeutiers ne vaut pas tant de dégâts, et, de toute façon, ils nous délogeront en vingt-quatre heures. Par contre, s’ils connaissaient le clou de l’affaire, je pense qu’ils ne ménageraient ni leurs bombes ni leurs obus. Mais comment l’apprendraient-ils à l’avance ? ».

« Oui, c’est formidable que Notre-Dame redevienne Notre-Dame pour de vrai, répondit Jeanne, radieuse. Je crois que si la cathédrale était une personne, elle accepterait de mourir pour connaître un seul jour comme celui-là. En tout cas, moi, à sa place, j’accepterais ».

Tout en devisant ainsi, ils passaient devant le Palais de Justice en plein jour, ou plutôt, dans la lumière de l’aube, la kalachnikov à la bretelle, tous deux insouciants, ils déambulaient au cœur même de l’islam de France, et la brise jouait dans la chevelure de Jeanne. Un pareil instant valait bien de mourir dix fois, se disait Eugène Olivier. Alors, fallait-il déplorer le sort de la cathédrale ? Jeanne avait raison. Qu’il fût transformé en être humain, certes le sanctuaire exprimerait son accord, mais même sans ça, en ce moment précis, il partageait ces sentiments, car ses pierres ne pouvaient être complètement dépourvues d’âme.

Devant le bâtiment d’Europol, autour d’un empilement de caisses contenant des missiles « Stinger », s’affairaient des maquisards. Eugène Olivier en reconnut évidemment plusieurs, parmi lesquels Maurice Loder, toujours aussi sombre en dépit de la gaieté ambiante. Ce garçon du ghetto avait perdu sa mère l’année passée quand l’imam du coin s’était mis dans la tête de prendre en main leur famille. Lui-même n’en avait réchappé que par miracle. La veille du jour fatal, il avait été hospitalisé pour une appendicite. Le chagrin l’avait poussé à entrer au maquis. Il avait aussi, semblait-il, un frère plus jeune, lui aussi disparu. Eugène Olivier n’en était pas certain, mais la délicatesse lui interdisait de poser une telle question. Car chaque famille pleurait des morts et il ne connaissait personne qui n’eût à déplorer la perte d’un être cher.

Maurice, tout occupé à suivre les instructions, ne remarqua même pas le signe de la main que lui adressait Eugène Olivier. Jeanne laissa tomber :

« C’est chouette, on se croirait à la plage, en été. Tu crois qu’on va pouvoir encore longtemps bronzer au calme comme maintenant ? ».

Eugène Olivier ne répondit pas tout de suite.

« Deux heures environ. Pas moins. Pour le moment, ils se tiennent tranquilles, on les comprend, ils sont encore sous le choc. Vraisemblablement, ils se sont contentés de barrer l’accès aux ponts et de tenir conseil jusqu’à usure complète de leurs culottes. Du haut en bas de la hiérarchie ».

« Il est huit heures et demie et la messe doit commencer avant midi. Tu sais, peut-être qu’on n’aura pas besoin d’engager tellement d’hommes. Si ça se trouve, on pourra même assister tranquillement à la messe de Notre-Dame. Pourvu que les Sarrasins ne se mettent pas en branle pour donner l’assaut avant une heure ! ».

Comme il était simple, tout compte fait, de bavarder avec elle et de marcher à ses côtés ! C’était idiot de se torturer la cervelle pour imaginer un sujet de conversation, il suffisait d’être soi-même. Si cela avait pu continuer cent ans ! Mais voilà qu’accourait vers eux leur chef de section, Georges Pernoud.

« Alors quoi, tu bayes aux corneilles, Lévêque ? »

« C’est La Rochejaquelein qui m’a demandé de patrouiller le long de la seconde ligne des barricades ».

« On déleste les barricades d’un homme sur deux. Tu n’es pas au courant du dernier coup dur ? Quelques survivants parmi les flics se sont retranchés à l’intérieur de la cathédrale et dans l’appartement de l’imam. Ils mitraillent les abords immédiats, en particulier depuis le toit ».

« Merde ! »

« Comme tu dis. File te mettre aux ordres de Roger Bertaud, son groupe se trouve à droite du portail principal. Toi, Sainteville, tu peux continuer à patrouiller. Tiens, prends ce mobile, tu sauras t’en servir ? ».

Jeanne attrapa le téléphone au vol.

« Il est classe ! Tu l’as pris à un flic ? ».

« Exact. J’ai l’impression qu’il n’a pas de code PIN, mais, pour plus de sécurité, ne l’éteins pas. S’ils commencent à se rassembler pour l’assaut, appelle La Rochejaquelein. C’est le premier numéro que j’ai mis en mémoire ».

« Sans problème ! ».

Jeanne démarra en sautillant vers le Pont Neuf, tout en lançant son nouveau joujou comme une balle.

« Eh, dis donc, toi, là bas, arrête de faire la maline ! ne put s’empêcher de lui crier Pernoud tandis qu’elle s’éloignait. Cette fille est un vrai malheur ! »

Eugène Olivier opina en faisant la moue. Il ne pouvait tout de même pas rétorquer à haute voix que, pour un malheur comme celui là, il était prêt à donner tous les bonheurs du monde.

*
**

« Mais faites donc quelque chose !! Comme si on ne pouvait pas raser ces barricades ! Et d’abord, qui a laissé faire ça ? Faites sauter les paras, envoyez la flotte, que sais-je, les kafirs s’apprêtent à nous donner l’assaut ! Grouillez vous un peu, que diable, vous êtes stupides ou quoi ? ».

« On fait l’impossible, très honorable Movsar-Ali. Mais vous ne voudriez pas, tout de même, être victime de manœuvres irréfléchies de notre part ! ».

« Je tiens encore moins à souffrir de votre inertie trop réfléchie ! Vous savez que je dois être tenu à l’abri de toute violence. Vous n’avez pas affaire au premier venu, mais à l’imam de la mosquée Al-Franconi en personne ! Etes-vous capable de comprendre, militaire, ce que pourrait signifier pour vous l’incapacité de me protéger ? ».

« On fait le maximum. Au moindre changement de situation, appelez ».

Kassim raccrocha avec soulagement. La voix criarde de l’imam continuait à résonner dans sa tête comme un écho dans une caverne.

Le Q.G., installé dans le centre de documentation religieuse (que, par habitude, beaucoup de convertis continuaient toujours à appeler « magasin Shakespeare et C° ») se trouvait à proximité immédiate du Petit pont. Mais il y avait loin de la coupe aux lèvres. En dépit de ses vociférations hystériques que, pour un peu, on aurait pu entendre d’ici sans l’aide du téléphone, l’imam filait du mauvais coton.

Deux jeunes lieutenants avaient pris place, de façon un peu cavalière, sur des cartons de livres pieux. Pour faire la pause, entre deux séries de briefings, ils se versaient le café d’une bouteille thermos. Il y avait peu de chances qu’un prédicateur osât s’approcher d’ici à moins d’un kilomètre, la mésaventure de Movsar-Ali s’était évidemment répandue comme une traînée de poudre. Malgré l’absurdité du contexte, il n’était pas désagréable, pour une fois, de se sentir dans la peau d’un chef. Devant la porte se languissait une nouvelle recrue, affectée aux fonctions d’estafette. Il tripotait un paquet de cigarettes qu’il sortait et remettait sans cesse dans la poche de son uniforme mal ajusté. Kassim avait examiné la veille le dossier de ce garçon nommé, semblait-il, Abdoullah. Avant qu’on ne le case ici, il avait été le chauffeur d’Abdolvahid. Originaire du ghetto, récemment converti. Il fallait le voir se recroqueviller, furieux d’avoir été arraché à sa petite sinécure pour être directement propulsé dans l’enfer du casse-pipe. On dit, et c’est bien vrai, qu’il 192n’y a de veine que pour la canaille. Tous ses parents, c’était à parier, pourrissaient dans la fosse commune et, du crâne d’Abdolvahid, il ne restait plus que des éclats pas plus gros que des boîtes d’allumettes, mais celui-là, au moment de l’assaut, il passerait à travers maille sans coup férir.

Mais moi-même, songea Kassim, en quoi étais-je supérieur à cette misérable créature ? Avais-je sauvé Antoine ? Oh, si l’on pouvait, dans le chamboulement, oublier le ghetto ! Cependant, sans cette émeute incroyable, Antoine aurait peut-être déjà partagé le sort de la famille de ce trouillard d’Abdoullah. Mais Antoine ne me haïssait pas. Au son de sa voix, il était clair qu’il ne nourrissait pas de haine à mon égard. Et avant de mourir, il m’aurait pardonné, ce qui était moins évident pour les parents de ce fumier, que l’on avait traînés vers la fosse commune, alors qu’au même instant, peut-être, leur fils franchissait le seuil de la maison familiale pour rejoindre la zone de la charia.

Malgré tout, j’étais, et je reste opposé à ces procédés. Pourquoi massacrer, dans une famille, tous ceux qui refusent de se convertir ? Dans ces conditions, inutile de se voiler la face, seuls les salauds sautent le pas. Sinon, les jeunes normalement constitués rejoindraient nos rangs sans hésitation, il leur suffirait de comparer les perspectives d’avenir. Il faut reconnaître que la jeunesse comme il faut se détourne actuellement de l’islam, ce qui n’était pas le cas de mon temps. Mais aujourd’hui, on ne recrute plus que des avortons du genre de cet Abdoullah. Et on ne cesse de serrer la vis encore et toujours davantage. Que l’on fiche ou non la paix au ghetto, cela revient au même pour les jeunes Français, la vie y est impossible.

J’allais oublier aussi cette petite différence. Dans ma jeunesse, on n’exigeait pas le « témoignage par le sang ». Je veux bien admettre que mon cousin me méprise, mais qui peut dire si cet Abdoullah n’a pas égorgé quelqu’un de sa parentèle, puisqu’il est précisé, dans son dossier, qu’il est le seul de sa famille à s’être converti. Et puis, qu’ils aillent tous se faire foutre ! Et puis cet autre, dans la mosquée, qui s’égosille à en mouiller sa culotte.

« Eh, toi, là-bas ! Pourquoi restes-tu planté devant la porte ? cria Kassim avec humeur. Cours me chercher des cigares, n’importe quelle marque, je m’en balance. Allez, ouste, dégage, t’as compris ?! ».

*

L’imam Mosvar-Ali gardait l’oreille collée au combiné. Les signaux brefs qu’il émettait étaient des plus exécrables, mais il ne se décidait toujours pas à raccrocher, comme si ce geste allait couper le dernier fil qui le reliait au monde normal. Cependant, il ne pouvait pas rester cloué sur place avec son téléphone, alors que les gardiens de la vertu qui avaient réussi à se réfugier dans la mosquée le dévisageaient d’un drôle d’air. Si l’imam avait été curieux de savoir l’effet qu’il produisait, il lui aurait suffi de regarder dans le miroir de leurs yeux. Mais le vénérable Movsar-Ali était bien trop préoccupé par le salut de sa précieuse personne pour s’intéresser à pareilles bagatelles. Ayant finalement raccroché, il pivota sans mot dire sur les talons de ses babouches et sortit brusquement du salon de réception.

Dans son bureau, l’imam se laissa choir, sans force, sur un divan dont les coussins moelleux accueillirent son corps en souplesse. Avec quel souci du confort de l’éminent personnage ces pièces avaient été meublées, avec quel zèle ses épouses avaient présidé à leur décoration, discutant entre elles et avec les designers, marchandant avec les ouvriers et les fournisseurs ! Du temps des kafirs, ces appartements étaient occupés par une exposition d’objets précieux. Très pratique par mauvais temps, un couloir intérieur les faisait directement communiquer avec la nef. Bien sûr, il avait fallu ajouter quelques pièces supplémentaires que l’on avait accolées au mur extérieur. L’ancien occupant, un vieillard débile, se contentait de vivre à l’étroit avec sa dernière et – désormais – unique femme. Bien que les enfants de ses deux plus anciennes épouses aient été depuis longtemps tirés d’affaire, l’imam Movsar-Ali avait tenu à faire les choses en grand. Et qui aurait pensé, qui aurait imaginé que ce prestigieux logis sis en plein cœur de la ville pût un beau jour se transformer en une redoutable souricière sur laquelle se refermerait en claquant la trappe des ponts !

Et que n’avait-il pas tenté pour obtenir sa mutation depuis la Vieille mosquée, quels efforts n’avait-il pas déployés ! Et tout ça pour en arriver là ?! Que n’était-il resté rue Quatrefages, il serait bien tranquille maintenant, à quelqu’un d’autre que lui de supplier au téléphone ces incapables des compagnies de sécurité de se remuer un peu ! Mais que les choses rentrent dans l’ordre et il leur en cuirait avec leur « on fait le maximum » !

Les choses rentreraient-elles dans l’ordre ? C’était bien le hic….

Dévoré par l’angoisse, Movsar-Ali passa dans les appartements des femmes. En chemin, il tomba sur sa troisième épouse, Khadicha qui jouait aux cubes sur un tapis avec le petit Aslanbek, âgé d’un an. A la vue de son mari, son visage, naturellement apeuré, prit comme d’habitude une expression de bête traquée ce qui avait le don, même en des temps bien plus fastes, d’exaspérer Movsar-Ali. Lequel ne cessait de ruminer en son for intérieur qu’il n’avait pas eu la main heureuse pour cette troisième union. Pourquoi avoir choisi de combler de bonheur, d’élever jusqu’à son statut social une famille des plus quelconques ?

Il n’en avait retiré ni avantage matériel, ni agrément. Certes, sa femme, il fallait lui rendre justice, lui avait donné un enfant robuste et sain. Par malchance, c’était encore un garçon, or il en avait déjà cinq, Aslanbek ne venait qu’en sixième position. Par contre, tout ce qu’il avait entendu dire, dans sa jeunesse, sur la prétendue fougue sexuelle des Scandinaves, c’était une supercherie pure et simple. Il avait été roulé. Car on sait bien que le premier, voire le second mariage, sont conclus dans le jeune âge pour asseoir sa situation. Mais ensuite, n’est-il pas légitime de s’accorder un petit plaisir ? Ce qu’il visait alors, c’était une nymphette d’une quinzaine d’années, fraîche, ça va de soi, mais aussi délurée et pas bégueule. La plus jeune épouse bénéficiant de plus de cadeaux que les autres, n’était-il pas normal qu’elle fasse tous ses efforts pour s’en rendre digne ? C’était d’ailleurs son propre intérêt que de savoir complaire à son époux. Oui, mais il avait fallu déchanter. Au lit, elle ne bougeait pas plus qu’une bûche, tout juste si elle ne se mettait pas à brailler, comme si on la violait (92).

D’un pas mal assuré, l’enfant essayait d’atteindre la tour de cubes que sa mère avait édifiée, mais il tomba sans se faire mal et sans pleurer, préférant tout de même poursuivre son chemin à quatre pattes. En fixant du regard la petite tête blonde, l’imam fut saisi d’une trouble pensée.

A force de vivre dans l’insouciance, on se retrouvait désarmé dans l’adversité. Les anciens auraient eu tôt fait de mettre la main sur des otages. Des gosses, comme celui-là, il n’y avait rien de mieux. Plusieurs, de préférence, pour en égorger un sous les yeux des kafirs par mesure d’intimidation et garder les autres en vue de négociations. Et justement, Aslanbek ressemblait à un enfant de kafir, surtout de loin. Il n’était pas inscrit sur son visage qu’il était né dans la vraie foi. C’était une idée à suivre. Personne, mieux que luimême, n’irait se soucier de sa sauvegarde. Et pourquoi ne pas donner l’ordre aux policiers de faire savoir aux kafirs, en exhibant Aslanbek, qu’ils détenaient en otage des enfants du ghetto ? Avec, comme exigence, qu’on laisse sortir de la Cité l’imam et sa famille, ou, du moins, les gens qui l’accompagnaient. Oui, mais dans tous les cas, il lui faudrait leur livrer son fils, et la manière dont ils réagiraient à cette escroquerie était imprévisible. C’est sûr que lui, si on le ridiculisait à ce point, il n’hésiterait pas à fracasser le crâne de ce chiot contre le premier mur venu. Mais ça pouvait tourner encore plus mal, et alors, impossible de prévoir jusqu’où il faudrait aller. Peut-être devrait-il lui-même abattre l’enfant. Ah, si au moins les domestiques avaient des gosses. Mais même pas !

Bon, il s’agissait de raisonner sainement. Aslanbek était son sixième fils, né d’une épouse de piètre extraction. Même s’il fallait lui faire prendre des risques, des risques majeurs, ce n’était pas plus grave que de sacrifier aux échecs un pion pour sauver le roi. Le père possède sur ses enfants un droit sacré de propriété, et seul une mauviette serait incapable, dans de telles circonstances, de ne pas faire preuve de la force de caractère requise. Pour une telle faiblesse, ses vénérables ancêtres lui auraient craché au visage ! (93) Les ancêtres…Plus que jamais, les pensées qui se télescopaient dans la tête de l’imam le renvoyaient au passé. Quelle irrésistible ascension avait accompli sa famille au cours de ces cinquante dernières années ! Et pourtant, ils n’étaient pas de la lignée du Prophète, mais de simples Tchétchènes, rien de plus. Des gueux misérables, de simples exécutants entre les mains de Basaïev (94). A l’origine de leur promotion, il y avait eu, au début du siècle, ces cinq filles attribuées d’un seul coup aux camps d’entraînement des « martyres d’Allah ». Le gain n’était pas énorme, mais suffisant pour commencer à faire pelote, ce qui était aussi une initiative avisée. Par la suite, ils eurent la chance de se retrouver du bon côté du « rideau vert » où ils avaient eu l’idée de transférer leurs capitaux au bon moment. Et là, en leur qualité de parents de vierges élues, ils purent déjà prétendre à des alliances avantageuses avec des familles arabes. Oui, ce fut une magnifique ascension, mais il fallait reconnaître que, sans ces shahidki, lui, Movsar Ali, serait encore à croupir en Tchétchènie, au milieu de ces renégats qui autorisent leurs filles – honte à ces traînées – à travailler à la télévision ou dans les théâtres, et qui, sans vergogne, vivent côte à côte avec les mécréants ! Ou alors, il aurait atterri ici, en Euroislam, comme pauvre manœuvre. Non, son parcours était un sans faute. Et il fallait utiliser le même levier pour se sortir d’affaire maintenant.

« Ecoute-moi, vieux bouc ! ».

L’imam, sidéré, porta le regard sur son épouse. Elle venait de saisir le premier objet qui lui était tombé sous la main (c’était un lourd et antique casse-noix), et de l’autre main, elle avait attrapé le petit qui jouait sur le tapis. Ayant fait un saut en arrière pour s’éloigner le plus possible de son mari, elle le menaçait en brandissant le casse-noix.

« Fais seulement un pas vers mon enfant et je te tue. Allah m’est témoin, je te tue ! ».

« Tu perds la boule, femme. Souviens-toi à qui tu parles ! Et qu’est-ce que ça veut dire d’abord « ton » enfant ? Qu’est-ce qui t’appartient ici ? ».

Khadisha continuait à agiter son arme dérisoire.

« N’essaie pas de m’embobiner, salopard ! Qu’est-ce que tu manigançais en regardant le petit ? Quelle horreur tu ruminais ? Crois-moi, je lis sur ta gueule d’enfoiré comme sur les pages d’un livre ! ».

Movsar Ali se mit à fulminer.

« Voyez-moi le caquet de cette chipie ! Mais attends un peu, tu vas me payer ça dès qu’on aura massacré les kafirs ».

« Rien ne dit qu’ils ne te feront pas la peau les premiers. Et s’ils y parviennent, qu’Allah les bénisse ! ».

Malgré son insolence inouïe, cette invective fit tomber la colère de l’imam. Rien ne disait, en effet qu’il n’allait pas y passer. Non, il fallait réfléchir, trouver une solution. Avec cette teigne de Danoise, il serait toujours temps de régler ses comptes, si toutefois il s’en tirait sain et sauf. On pouvait, bien sûr, lui enlever l’enfant de force. Lui-même ne s’y risquerait pas, ce n’est pas qu’elle le tuerait, mais pour ce qui est de mordre et de griffer, elle se transformerait en tigresse. Sans doute, ses collaborateurs en viendraient à bout, mais ce serait long et laborieux. Seulement, où trouver un autre enfant ? Impossible d’aller s’en procurer dans le ghetto. S’il y avait la moindre possibilité de rejoindre le ghetto, ces maudits maquisards perdraient leur temps à le chercher ici !

Ah ! Mais quel idiot il faisait ! Il avait vraiment la tête à l’envers, pensa Ali en se frappant le front du plat de la main. Tout cela était plus simple que bonjour !

Oubliant complètement sa femme, il revint précipitamment dans l’antichambre vers le téléphone le plus proche. Bien sûr, bien sûr, en attirant son attention sur son jeune fils, Allah lui-même lui avait suggéré la variante la plus sûre ! Il suffisait d’envoyer des autobus dans le ghetto le plus proche pour y rafler au hasard une centaine, non, plusieurs centaines d’enfants ! Il faudrait ensuite les aligner le long des quais tout autour de la Cité, et commencer le massacre ! Les maquisards ont tous des parents dans le ghetto. Il est évident que leur première réaction serait d’accepter aussitôt la libération de l’imam et de sa suite.

Et ensuite….mais qu’est-ce qu’il en avait à faire de la suite ? Cela ne le concernait plus, il serait bien à l’abri dans sa résidence secondaire, au Vieux moulin, au bord de son étang ! Movsar-Ali, à la hâte, forma le numéro de son dernier interlocuteur. Ce fut le même capitaine détestable qui décrocha. Mais peu importait, après tout.

« Capitaine ! Ecoutez-moi attentivement, capitaine ! ».

« Je vous écoute. Il y a-t-il du nouveau ? ».

« Ce n’est pas le problème ! Il faut, de toute urgence, vous m’entendez, de toute urgence…. ».

L’imam secoua le combiné. Il ne manquait plus que ça : la communication venait de s’interrompre alors que chaque minute comptait ! Plus de tonalité.

« Eh ! Ibrahim, va chercher en vitesse le radiotéléphone ! Je crois qu’il traîne quelque part dans mon cabinet de travail ! ».

Le jeune dévot qui assistait l’imam ne fut pas long à ramener l’appareil, mais son visage était maintenant décomposé par la frayeur.

« Il semble que la ligne soit coupée, maître. C’est sûrement un sabotage des maquisards ».

« Les fumiers ! Les enfants de Satan ! Mais que quelqu’un me passe son mobile, vous êtes bouchés ou quoi ? ».

Un hercule en uniforme rétorqua d’un air sinistre :

« Nous ne sommes que la police municipale, très honoré Avsar Ali. Chez nous, la règle, c’est un mobile pour cinq hommes. Forcément, ce n’est pas donné, les mobiles ! ».

«Et qu’est-ce que ça peut me faire ? ». Les précieuses secondes fondaient l’une après l’autre comme neige au soleil, «Vous êtes ici au moins une quinzaine, bande d’andouilles ! ».

Le flic le fixa d’un air qui frisait l’insolence.

« Le problème, c’est qu’aucun de nous n’a de mobile ».

Avoir affaire à des abrutis pareils, c’était à devenir fou.

« Dans ce cas, Ibrahim, ramène-moi mon mobile. Il est aussi dans le bureau. Et plus vite que ça ! ».

« Maître, hier vous m’avez ordonné d’aller le faire réparer, il est encore sous garantie. J’y suis allé, mais ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas la pièce en stock. Ils se sont confondus en excuses avec promesse de le livrer à domicile aujourd’hui, avant neuf heures… Et puis, vous savez…. ».

L’imam se laissa choir pesamment sur le sol, et, le visage dans les mains, se mit à gémir d’une voix de fausset.

*
**

Les insurgés avaient établi leur Q.G. dans les locaux d’Europol. Brisseville n’avait pas hésité à réquisitionner deux garçons, Malezieux et Garaud, pour effacer tous les fichiers sur les disques durs des ordinateurs. On ne voyait pas l’urgence de cette démarche, mais elle ne suscita aucune réserve. Sophia Sévazmiou qui avait troqué papirosse et révolver contre une tasse de thé en carton – hérésie presque contre nature – avait laissé tomber ce commentaire énigmatique : « Ce qui est bon pour un Russe, est fatal pour un étranger ».

Henri décrocha :

« Allo, La Rochejaquelein au téléphone ! Oui, Laval, alors, comment ça se passe chez vous ? ».

Pierre Laval était responsable des opérations d’évacuation au ghetto de Pantin, le plus important de Paris.

« Le mieux du monde. Figure-toi que, dans tout le ghetto, il ne restait plus que cinq flics. Les gens se sont remis de leurs émotions et, à l’heure qu’il est, on a évacué dans les souterrains plus de quatre cents personnes. Le seul ennui, c’est que les femmes bourrent leurs baluchons d’un tas de souvenirs : des photos, des bouquins, des assiettes de l’arrière grand-mère et que sais-je encore….Je les comprends, bien sûr, mais ça fait problème… ».

Le vrai problème est pour plus tard, pensa machinalement La Rochejaquelein. Il allait falloir entasser dans les catacombes plus de dix mille personnes, et, ensuite, par petits groupes, leur faire quitter Paris…Mais tout était bien comme ça, très bien même.

« Et à Austerlitz, c’est comment ? ».

« Pour le moment, tout a l’air de se passer normalement. Bon, je raccroche. Bien que la ligne soit sécurisée, on ne sait jamais, salut ! ».

Le père Lotaire se mordait les lèvres :

« Neuf heures dix….Sophie, la pose des mines prendra combien de temps ? ».

« En mobilisant cinq hommes, on y mettra moins d’une heure. Mais il en faudra deux et plus pour déloger les occupants. Ils se sont rudement bien embusqués, ces fils de chien ».

« Plus l’heure qui nous sera nécessaire – et peut-être davantage – pour examiner le chœur, procéder à sa nouvelle consécration. Sophie, nous n’allons pas pouvoir donner ordre à tout dans le temps canonique ».

« Qu’entendez-vous, mon Révérend, par temps canonique, ne put s’empêcher de s’étonner Brisseville. Il me semble n’avoir jamais entendu cette expression ».

Le père Lotaire répondit d’un ton morne :

« Les néo-catholiques disaient la messe à n’importe quelle heure de la journée, quand ça les arrangeait. Cela ne faisait aucune difficulté puisqu’ils avaient aboli le jeûne liturgique. Selon le droit canon, le prêtre ne doit ni manger, ni boire avant de célébrer ».

« Et combien de temps avant ? »

« A partir de minuit ».

« Et alors, vous…. »

« Oh, pour moi, c’est sans importance, j’ai l’habitude. Comprenez moi bien, je peux très bien tenir jusqu’au soir, s’il le faut, sans absorber une goutte d’eau, comme il est de règle, chez nous, le Samedi Saint. Mais commencer une célébration après midi, ça, je ne peux pas, que j’ai bu ou non, ce n’est pas le problème. C’est interdit, un point, c’est tout ».

« D’accord, mais, pour le moment, nous n’avons aucune raison de nous désoler ».

Sophie s’était levée avec, comme toujours, la vivacité propre à la jeunesse. Elle avait soulevé le panneau de verre opaque teinté. Devant la fenêtre, un jeune marronnier ployait sous le poids d’une incroyable multitude de petites pyramides d’un rose éclatant. « Il est neuf heures passé, et, pour le moment, nous n’avons à déplorer aucune perte. Soit dit en passant, et toute émeute mise à part, il y a des jours bien plus néfastes. Nous ne pouvons tenir l’île plus de vingt-quatre heures. Mais ils ne savent rien de notre plan. De leur côté, ils doivent considérer ces vingt-quatre heures comme notre objectif minimum, sinon, le contour de ce qui se trame leur sauterait aux yeux. Qu’en dites-vous, Henri ? ».

« Je dirais que je n’aimerais pas avoir à prendre la cathédrale d’assaut. Ils ont barricadé les fenêtres avec ce qui leur tombait sous la main. Pas facile de les déloger, et les abords immédiats ont été transformés en terrain nu. Tous les arbres ont été abattus depuis longtemps et remplacés par des fleurs idiotes, selon leur stupide fantaisie. On y laisserait trop d’hommes, c’est rageant, et qui aurait dit qu’il nous faudrait prendre en premier lieu la cathédrale elle-même et non le Palais de Justice ou Europol ! »

« A quoi bon s’arracher les cheveux maintenant ? Vous êtes bien tous d’accord avec moi que le moment le plus favorable pour s’emparer des bâtiments, avec le moins de pertes possible, est le petit matin ? ».

La Rochejaquelein fronça le sourcil.

« Nous n’éviterons pas les pertes, nous ne ferons que les limiter. Il y a tout de même une chose qui me chiffonne, c’est que l’un de ces salauds, celui qui a pris position sur le toit de la cathédrale, est armé d’un fusil à lunette. Oui, Lévêque, qu’y a-t-il ? ».

« Les gars ont réussi à couper la queue du téléphone, annonça joyeusement Eugène Olivier. Reste à savoir, bien sûr, où ils en sont avec les mobiles. Mais les liaisons par fil sont interrompues ».

« Joli coup ! Tiens, bois du jus de fruit, le frigo en regorge. Et portes-en aux autres, tant qu’il est frais ».

« C’est pas de refus ». Eugène-Olivier plongea dans les entrailles de l’énorme réfrigérateur. « Il y a du jus de tomate, super ! ».

Brisseville fut secoué par un violent accès de toux accompagné de râles :

« Et alors, ce fusil, qu’est qu’on va faire ? ».

« Je n’en mettrais pas ma main au feu, reprit La Rochejaquelein, mais j’ai bien l’impression que leur sniper dispose d’un SB-04 avec viseur à infrarouges. C’est un engin extra, conçu en Russie dans les années dix. Mais comment cette merveille est-elle tombée entre les mains de ce flic ? ».

« Mais qui vous dit qu’il s’agit d’un flic ? intervint Sophia en riant. Nous sommes loin d’avoir exterminé tout le monde. Un homme d’Europol a pu se glisser dans la cathédrale, et, de toute façon, il est évident qu’une ou deux dizaines de gens passablement armés se cachent encore dans les recoins de la Cité. Celui-là nous a échappé, car ils prennent soin de se camoufler avant le moment de l’assaut ».

Brisseville n’arrêtait pas de tousser.

« C’est clair comme de l’eau de roche » dit-il en crachant du sang dans son mouchoir.

« Bon, admettons que le sniper sur le toit de la cathédrale soit équipé d’un fusil à viseur infrarouge. N’empêche que les pertes sont incomparablement inférieures de nuit que de jour. Pardon, mon Révérend, voulez-vous du thé ? ».

Le père Lotaire ne put s’empêcher de rire.

« Je vous remercie, Sophie, vous avez toujours l’art de conclure avec élégance. C’est vrai, maintenant, je ne vais pas faire le difficile au point de refuser ce breuvage dont, pardonnez-moi, vous vous gorgez littéralement depuis une demi-heure ».

« Bien qu’il ait un arrière goût de poisson mariné dans le pétrole », précisa La Rochejaquelein.

« Je n’aurais jamais imaginé que j’étais tombée dans un cercle de gourmets ». Sophia extirpa de la pile un gobelet de carton où elle versa le thé qui infusait directement dans une bouilloire électrique. « C’est de l’authentique Lapsung Souchong, j’en avais un demi paquet qui traînait dans mes poches. Mais peut-être que je vous force la main, père Lotaire ? Si vous préférez du jus de fruit, ne vous gênez pas ».

Le père accepta la tasse avec un plaisir non dissimulé :

« Non, pour boire chaud, je serais prêt à absorber même de la jusquiame ».

« Lévêque, informe Bertaud que nous allons libérer la cathédrale cette nuit ».

« Bien ».

Eugène-Olivier sortit, chargé d’une provision de jus de fruits frappés.

*
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Roger Bertaud décapsula un jus d’ananas :

« Si je comprends bien, c’est ventre au soleil jusqu’à la nuit avec boissons glacées à gogo, comme sur la côte d’Azur. J’aimerais bien savoir, tout de même, qui le premier va passer à l’offensive. Nous, pour l’assaut de la cathédrale, ou eux pour celui de la Cité. Il faudrait se munir d’un totalisateur et prendre les paris. De toute façon, on n’a plus rien à faire qu’à glander. A moins d’installer des chaises-longues ».

« C’est pas vraiment l’endroit ». Eugène-Olivier était tracassé par cette histoire de fusil qui permettait la vision nocturne. « Et tu ne sais pas à quel endroit, sur le toit, le salaud a pris position ? ».

«Un peu partout. Sur la grande galerie, au centre, juste au dessus de la rosace ».

On pouvait, évidemment tenter une approche depuis le chevet, en longeant les murs. Est-ce que cette ordure, de là où il était, verrait les gens devant les portails ou non ? De toute façon, pour enfoncer les portes, il serait impossible de rester plaqué contre la muraille, il faudrait prendre du recul, et l’autre, de là-haut, pourrait faire un carton. Qu’imaginer pour s’en débarrasser ?

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu Notre-Dame de si près. Les deux tours aux couronnes dressées vers le ciel, la circonférence gigantesque de la grande rose, les trois portails aux ébrasements passés à la chaux pour dissimuler l’arrachement des statues brisées. Et il se souvenait même de leurs noms, le portail de la Vierge sur la gauche, au centre, le portail du Jugement Dernier, et enfin, le portail de sainte Anne. Mais il ne savait pas à qui s’adresser pour qu’on lui expliquât ces appellations et la raison de leur choix. Au fait, pourquoi ne pas demander au père Lotaire ? Il faudrait profiter d’un moment où il serait libre.

Encore un peu de courage, Notre-Dame. Comme disent les vieilles personnes, la paix et la lumière succèdent aux tourments d’une longue agonie. La mort vient libérer de toute souffrance. Encore un peu de patience, ce ne sera pas long.

« Eh, Lévêque, regarde un peu, mais regarde-moi ça ! ». Roger, les genoux ployés, se tapait de grands coups sur les cuisses. « Non, vraiment, La Rochejaquelein est un type formidable. Tout est réglé comme sur du papier à musique ! ».

Dans le ciel sans nuage, des hélicoptères semblables à des libellules noires faisaient tournoyer leurs pales. Et ces libellules grossissaient à vue d’œil.

« Ils vont faire sauter les paras ! Que le diable m’emporte, c’est un parachutage ! ».

*
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Ibrahim entra en trombe dans le petit bureau où s’était réfugié l’imam Movsar Ali pour ne plus voir ni entendre personne.

« Des parachutistes !! Les hélicoptères de l’armée approchent, ils vont sauter d’un moment à l’autre ! »

Movsar Ali sursauta dans son fauteuil :

« Quoi ?! Mais comment peux-tu savoir, tête de mule, qu’ils vont parachuter des hommes ?! Aussi bien, au contraire, ils vont se mettre à mitrailler ou à larguer des bombes et c’est nous qui allons tout prendre ! Alors, d’où sors-tu ça, parle ! ».

« C’est l’officier qui l’a dit, et s’il l’a dit, c’est que les paras vont bel et bien sauter ! ».

Enfin, ils avaient retrouvé leurs esprits, ce n’était pas trop tôt. Grâces en soient rendues à Allah, ils n’avaient plus qu’à rester ici une heure ou deux, bien à l’abri de la porte solidement verrouillée, le temps que les nôtres mettent tous les maquisards hors d’état de nuire. Movsar Ali poussa un soupir de soulagement. En un seul jour, il avait bien perdu cinq à six kilos, et sans avoir besoin d’aller au sauna.

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Maurice Loder extirpa un missile « Stinger » de sa caisse. Paul Germy attendait qu’il eût fini pour en faire autant. Slobodan qui, d’emblée, n’avait pas jugée indispensable sa présence au Q.G., s’était équipé avec un soin particulier, économe de ses gestes, comme s’il n’avait jamais cessé de combattre durant ces dix dernières années.

Une gigantesque libellule, barbouillée en vert et noir, sauta soudain en l’air comme une grenouille et disparut instantanément. Elle s’était tout simplement volatilisée, au point qu’il était difficile d’établir un lien entre l’effacement du monstrueux insecte et la détonation plutôt discrète qui l’avait précédé.

« Alors quoi, ils ne s’attendaient pas, ces vermines, ils ne se doutaient pas que nous aurions ce genre de pétards en réserve ? » murmurait Jeanne avec jubilation. Elle regardait les hélicoptères se désintégrer et s’abîmer entre les ponts au milieu de la danse frénétique des gerbes d’eau.

« Pourvu que personne n’ait été atteint par des fragments. Ce serait la mort à coup sûr, pensa le père Lotaire. Bien que deux hélicoptères aient directement piqué dans la Seine, j’en suis presque sûr ».

« Nous allons avoir droit à un nouveau petit time out, dit Brisseville à La Rochejaquelein, en soulignant l’anglicisme avec ironie. Même s’ils ont eu le temps de se préparer à l’assaut, ils vont tout remettre à plat. Pour s’armer plus efficacement »

(92) Je renvoie ici le lecteur à un court-métrage sorti récemment sur les écrans hollandais sous le titre Soumission. L’auteur, Khirsi Ali, une ex-musulmane, dépeint la situation de la femme dans les familles musulmanes. Le metteur en scène de ce film, Théo Van Gogh, a été assassiné le 2 novembre 2004. Je viens d’entendre aujourd’hui même cette information à la télévision, alors que j’étais occupée à corriger les épreuves de ce livre.

(93) Je suis la première à éprouver un malaise en écrivant ce livre. Hier, 11 octobre, alors que cet épisode me venait à l’esprit, je me posais la question : est-ce que je ne serais pas malhonnête ? Estce que je n’en rajouterais pas ? Le soir même, j’entends les titres du Journal télévisé Notre Temps : « Dans le nord du Caucase, des terroristes ont tenté d’utiliser leurs propres femmes et enfants comme boucliers humains ».

(94) Shamil Salmanovitch Basaev (1965-2006), un des chefs du mouvement séparatiste tchétchène. Il a notamment organisé, à Moscou en 2002, la prise d’otages du théâtre de la Doubrovka au cours de laquelle périrent 129 personnes et, à Beslan, l’opération qui coûta la vie à 330 otages dont 182 enfants. (NdT).

 

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