La mosquée Notre-Dame de Paris – 2

2 – Valérie

« Pauvre monsieur Simoulin ! ». Une très vieille dame vêtue d’un chemisier lilas qui faisait ressortir la blancheur de ses cheveux, parlait d’une voix égale, mais Eugène Olivier remarqua que son corps décharné était parcouru de frissons. « Depuis qu’il est veuf, il a oublié toute prudence. Ou plutôt, non, il n’a pas oublié mais il en a fait fi, comme on jette aux ordures une vieillerie inutile ».

« Nous nous sommes téléphoné avant-hier », intervint avec douceur le vieillard aux cheveux longs. « Bien sûr, il comprenait qu’il aurait mieux valu attendre une semaine ou deux, mais il voulait tant que la cérémonie d’aujourd’hui puisse avoir lieu. Il savait que notre réserve de vin de messe était épuisée, que la dernière burette19 avait été vidée au cours de la précédente messe. Aujourd’hui, le prêtre aurait revêtu les ornements rouges, puisque c’est le jour où l’apôtre Jean (20) s’était préparé à recevoir le martyre ».

« Et moi qui l’avais pris pour un trafiquant du marché noir » souffla d’une voix blanche Eugène Olivier à l’oreille de Jeanne.

« Tu l’avais pris… » Jeanne serra les poings. « Tu…as vu ? Tu as vu quelque chose ? »

« Oui, il y a une heure ».

D’autres échangeaient quelques paroles. Certaines femmes pleuraient. Mais le prêtre, sans ajouter un mot, se retourna et se dirigea vers le mur du fond sur lequel était suspendu un crucifix. Comment Eugène Olivier avait-il pu ne pas le remarquer ? Et cette table recouverte d’un linge blanc, à hauteur de poitrine, bien sûr, c’était un autel. Le prêtre s’agenouilla. Le silence se fit, troublé seulement par le froissement des feuilles de petits livres ornés de signets, d’une multitude de rubans multicolores. Eugène Olivier se félicita de ce silence qui lui donnait la possibilité de faire le clair en lui. D’où pouvait bien sortir ce prêtre ? Et s’il y avait un prêtre, il y avait donc un évêque, et pour qu’il y ait un évêque, il faut aussi un pape. Mais il n’y avait plus de pape depuis longtemps. Le dernier avait renoncé au trône de Pierre dès 2031. Et cela faisait belle lurette qu’ils avaient rasé le Vatican, pour faire de ce lieu le dépotoir de Rome (21).

Le bambin ne cessait de jouer avec ses perles. Mais comment la petite croix au milieu des perles avait-elle pu échapper à l’attention d’Eugène Olivier ? Maintenant, tout lui apparaissait sous un jour nouveau. Les estampes sur les murs représentaient un Chemin de Croix. Un crochet soutenait une cassolette pyramidale, c’était un encensoir argenté, demeuré aujourd’hui sans usage. Le chœur, que l’inadaptation des lieux avait privé de sa surélévation naturelle, était séparé par une clôture symbolique : à droite et à gauche, un couple de minces poteaux sur un socle, reliés entre eux par un cordon.

Et quelle merveille, si l’on voulait bien y regarder de près, que le bonnet du prêtre ! De semblables, on n’en portait déjà plus au milieu du XXe siècle, même les lefébvristes y avaient renoncé si l’on en juge par les photographies d’époque. Un bonnet noir, carré comme une boîte à coton, chaque arête étant surmontée d’une corne arrondie. Non, quatre arêtes, mais trois cornes seulement, sur la quatrième reposait un pompon de laine noire.

Le prêtre, à certains moments, enlevait son bonnet, le serrait contre sa poitrine, s’inclinait et le reposait sur sa tête. Dans le silence recueilli, les sanglots étouffés s’apaisaient peu à peu. Combien de temps ce silence se prolongea-t-il, chargé pour chacun de préoccupations, de soucis étrangers à Eugène Olivier ? Enfin, le prêtre se leva.

« Il adorait travailler le bois de chêne, monsieur Simoulin, dit Jeanne sans s’adresser à personne en particulier. C’est lui qui avait tout fait dans leur ferme, les portes, le mobilier ».

« Et le plus difficile, c’était de se procurer le bois, reprit en souriant le vieillard aux cheveux longs. Il y a bien un siècle que les fabricants se servent de bois vert même pour menuiser les meubles les plus précieux. En séchant, ils se craquellent. C’est pourquoi Simoulin rachetait les tonneaux de cidre hors d’usage et en redressait les douves sous presse, dans l’eau….Et il se flattait de travailler pour les siècles futurs. C’était toute une philosophie. Il disait que le bois de menuiserie, une fois coupé, ne meurt pas mais renaît à une vie nouvelle, comme l’homme après sa mort physique.

« Et comme il détestait le bois laqué ! ajouta un homme, pas très jeune lui non plus. Il disait, je me souviens, que le bois aussi doit respirer. Tenez, plaisantait-il, je vais vous recouvrir de laque et dans une semaine, il faudra vous enterrer ! ».

La conversation s’interrompit brusquement.

« J’ai interdit à Jacques Le Difard et au jeune Thomas Bourdelet de tenter même de s’approcher de la fosse commune. Une victime, c’est assez pour aujourd’hui ».

« Vous avez eu raison, mon Révérend. La dernière tentative s’était soldée par la perte de trois des nôtres ».

Des gens entouraient encore le prêtre, mais l’assemblée commençait peu à peu à se disperser. Avant de partir, chacun s’agenouillait devant lui pour obtenir, comme dans l’ancien temps, sa bénédiction.

« Benedicat te omnipotens Deus.. » (23)

Du latin ! Et du plus authentique. Cette langue que, d’après la tradition familiale, connaissait grand-père Patrice, mais dont son fils ne possédait plus que des rudiments…

« Qui sont ces gens ? » demanda à voix basse Eugène Olivier.

« Comment, tu ne les as jamais rencontrés ? Nous partageons pourtant les mêmes abris. Plus exactement, cet abri leur appartient, mais ils nous en laissent aussi l’utilisation. A charge de revanche, bien entendu. Mais eux, ils ne se battent pas contre les Sarrasins, ils ne font que célébrer la messe ».

« Pas étonnant, ce sont surtout des vieux, ils n’ont plus l’âge de se battre » .

« Non, tu ne comprends pas, ils ne veulent pas. Ils considèrent que le temps des Croisades ne reviendra plus. Qu’il n’y a plus rien de bon à attendre sur cette terre. Je ne sais pas comment t’expliquer ça si tu n’as jamais entendu parler de la Fin des Temps. La seule chose qu’ils désirent, c’est que, tant qu’il restera quelques chrétiens, la messe puisse être célébrée. A Paris, il y a trois communautés. Les chrétiens sont sortis des catacombes, et voilà qu’ils y sont revenus ».

« Et où vivent-ils ? »

« Dans le ghetto, ça va de soi ».

Eugène Olivier eut un haut-le-corps. Il fréquentait assidûment chacun des cinq grands ghettos de Paris, où vivaient les Français privés de leurs droits civiques pour avoir refusé la conversion à l’islam. Cette existence derrière les barbelés était sinistre et désespérée, mais beaucoup la choisissait, l’acceptant comme rançon au droit de rester fidèles à eux-mêmes. C’étaient un effroyable dénuement, la promiscuité, et, au moindre faux pas, la mort de la main du premier policier venu qui considérait l’ « infidèle » comme un chien. Mais quel délice de pouvoir narguer l’appel criard du muezzin en sirotant sa tasse à la terrasse d’un café, en se disant que, quittant leurs demeures luxueuses, les collaborationnistes se rendaient précipitamment à « l’exercice de gymnastique ». Bien sûr, dans le ghetto aussi, il était mortellement dangereux de chercher à se procurer du vin, bien sûr, les femmes ne pouvaient sortir dans la rue qu’avec une écharpe jetée sur la tête et les épaules, sous peine d’être battue à mort par la police. Mais leurs visages restaient découverts ! Les habitants du ghetto demeuraient des Français. Ils enseignaient leurs enfants tant bien que mal, malgré la pénurie de livres : les albums d’Astérix, les aventures de Babar, tombés en lambeaux, se passaient de famille à famille jusqu’à ce qu’il devînt impossible d’y déchiffrer le moindre caractère. Parfois, une opération de fouilles s’abattait de façon imprévisible sur le ghetto, à la suite desquelles les maigres bibliothèques privées fondaient comme beurre au soleil. Mais il y avait bien pire. Etait-ce planifié ou aléatoire, nul n’aurait su le deviner, il arrivait que la milice des bonnes mœurs s’en prenne à telle ou telle famille. D’abord l’imam s’invitait fréquemment, puis ses jeunes assistants, encore plus accrocheurs. C’était triste de voir la mine pétrifiée, les visages tendus des gens tombés dans cet engrenage. Ils savaient bien, et nul autour d’eux ne l’ignorait, que trois mois plus tard (étrangement trois mois jour pour jour), les voisins découvriraient au matin une camionnette pour déménager les nouveaux convertis dans un quartier musulman, ou alors, la porte grande ouverte sur un appartement dévasté et les volets condamnés avec des planches. Sur le seuil de ces maisons abandonnées, des adolescents se risquaient parfois à allumer une bougie. Mais qu’il y eût des croyants clandestins dans cette population du ghetto !

« Mais d’où sortent-ils ? Le pape a dissous l’Eglise ! »

« Il n’en avait pas le droit. Tu sais, même avant cette cuisine nauséabonde, il y eut des gens qui suivirent monseigneur Marcel Lefèbvre dans le schisme. Ce sont eux que l’on retrouve dans les catacombes ».

« Pourquoi dis-tu toujours eux ? Tu ne fais pas partie de leur communauté ? »

« Je suis du maquis (24) » Jeanne se mordit avec humeur la lèvre inférieure, rouge comme une baie de berbéris. « Je ne suis pas de la communauté, non. Et puis ne pose pas de questions, d’accord ? ».

Bon, pas de questions, ça veut dire pas de questions. Mais si Jeanne est aussi dans la Résistance (pas dans le groupe de Sévazmiou sûrement, sinon, ils se seraient déjà rencontrés), cela veut dire que d’autres occasions de rencontre, peut-être nombreuses, se présenteront encore. Lui proposer un rendez-vous, ce serait encourir ses moqueries, et, le pire, c’est qu’elle comprendrait. Et puis comment sortir ça, tout à trac ? Non, c’est plus facile de descendre une dizaine de cadis ! C’est parfait qu’il n’y ait aucune initiative à prendre. De toute façon, ils se rencontreront tôt ou tard ! Et puis, il va encore passer ici au moins vingt-quatre heures. Et elle ?

« Allons voir le père Lotaire ». Jeanne était déjà debout, sans douter une seconde qu’Eugène Olivier allait la suivre.

Pas mal comme petit nom, Lotaire ! Dans cette cave aux relents moisis, se dégagea comme un suave parfum de lis héraldique. On avait beau être snob chez les Lévêque, tout de même, on n’était pas allé jusque là. Mais eût-il été simplement père Pierre, Eugène Olivier n’avait aucune envie de bavarder avec un prêtre. Cependant que faire, il était ici dans le cadre de sa mission, et le prêtre avait tout l’air d’être le patron. Et puis, par son attitude, il ferait comprendre que toutes ces histoires de spiritualité ne le concernaient pas. Jeanne, de ce temps, avec un clin d’œil en direction de son compagnon, comme si elle prenait plaisir à le choquer, fit la génuflexion à la manière des enfants, inclina la tête en secouant les mèches courtes de ses cheveux clairs.

« Jube, domine, benedicere ! » (25)

« Bonjour, petite Jeanne ». Les lèvres du prêtre souriaient, mais, dans son regard abaissé vers les cheveux clairs, passa un éclair de souffrance. « Benedicat te omnipotens Deus.. »

« Père Lotaire, c’est Eugène Olivier de la Résistance, dit Jeanne en époussetant son jean. Il va rester chez nous le temps qu’on lui fasse parvenir de Colombes de nouveaux papiers ».

« Je n’ai pas oublié, Jeanne ». On aurait dit qu’en regardant la jeune fille, le père Lotaire ne pouvait s’empêcher d’esquisser un sourire, teinté de bienveillante ironie. Il se tourna vers Eugène Olivier : « Je pense que votre matinée n’a pas été des plus faciles ».

« Oui, mais il me semble que pendant plus de vingt-quatre heures, je vais avoir la chance de me reposer mieux que sur la côte d’Azur »

Eugène Olivier se rendit compte avec satisfaction qu’il avait réussi à éviter une réponse artificielle du genre : « bah, c’est une bagatelle, la routine, quoi ». Cela aurait sonné faux, et le prêtre, avec son regard observateur, voire trop scrutateur, n’aurait pas manqué de remarquer l’affectation de mauvais goût. Il n’en aurait rien laissé paraître, mais aurait enregistré.

« Je vois que vous êtes ici pour la première fois ». Le père Lotaire examinait Eugène Olivier d’une façon appuyée, ouvertement, comme s’il exerçait un droit tout naturel. «Drôle d’endroit, n’est-ce pas ? Ici, tout a été construit aux temps où les gens considéraient la religion comme une innocente bizarrerie démodée, et cela pour la simple raison que l’on avait réussi à mettre en orbite autour de notre malheureuse planète quelques chiens et quelques singes. Ils rêvaient beaucoup à l’avenir, à un épanouissement inouï de toutes les sciences, à des cheminements inhumains de la raison. J’ai lu des livres de cette époque. L’unique cas de figure que ces enthousiastes du progrès ne pouvaient envisager, c’était notre présent actuel. A plus forte raison, il ne leur serait jamais venu à l’esprit à qui et à quoi serviraient leurs abris souterrains ».

« Je ne crois pas en Dieu ». Le regard d’Eugène Olivier croisa celui du prêtre.

« Est-ce qu’Il aurait pu tolérer…tolérer qu’ils parsèment Notre-Dame de ces baquets où ils lavent leurs pieds ? ».

« Est-ce bien Lui qui l’a toléré ? » répliqua le père Lotaire. « C’est nous qui l’avons permis, nous, ou plus exactement, nos ancêtres, et, en premier lieu lorsqu’ils ont commencé à considérer Notre-Dame, non comme le lieu sacré de Son trône, mais comme un monument d’architecture. Au cours du vingtième siècle, ils n’ont fait que céder et céder encore, par petites étapes, par petits morceaux26…Mais puisque l’on parle d’ancêtres… Je jurerais que les vôtres devaient avoir leurs racines en Normandie ».

« C’est bien possible, je ne sais plus au juste ». On ne pouvait dire que la question de ses ancêtres normands passionnât particulièrement Eugène Olivier en ce moment. Mais il était clair que le prêtre voulait détourner la conversation. « Nous habitons Versailles depuis longtemps, enfin, nous habitions Versailles, bien entendu ».

«Et pourtant, je parie que j’ai raison. Vous ressemblez à Jeanne, vous avez le même haut de visage ». Le père Lotaire porta son regard sur la jeune fille. « Et vous n’imagineriez pas une Normande plus typée que Jeanne. Quand j’étais gosse, j’ai vu un portrait de Charlotte Corday peint un peu moins de trente ans après sa disparition. Une beauté commune, sans rapport, je pense, avec l’original. Et parfois, j’ai plaisir à imaginer, en regardant Jeanne, qu’elle est la reproduction vivante de Charlotte. Il était fort probable que Charlotte fût une enfant de Caen. Et des filles comme Jeanne, vous en trouverez aujourd’hui à Caen des centaines ».

« L’horreur ! Des centaines de filles aux cheveux tristes et aux jambes courtes ! » réagit Jeanne.

« Tu préfèrerais sans doute ressembler à miss Univers 2023, plutôt qu’à Charlotte Corday ? » rétorqua le prêtre.

« Vous êtes un farceur, mon Révérend » et, à en juger par l’expression satisfaite de Jeanne, on comprenait que ces passes d’armes étaient une vieille tradition entre eux. « Miss Univers, c’est quoi, le mannequin le plus payé de l’année ? »

« Pas forcément. Simplement la lauréate d’un concours de beauté, auquel prenait part les filles les plus diverses : pas seulement des mannequins, mais des étudiantes, des coiffeuses, des bibliothécaires, même des fonctionnaires de police » ; Le père Lotaire soupira « Chaque fois que je découvre votre ignorance du monde d’antan, j’ai l’impression d’être un vieillard croulant ».

Cependant, le père Lotaire était tout sauf un vieillard. On lui donnait entre trente et trente cinq ans. Mais pour ne pas aggraver son sentiment de vieillesse, Eugène Olivier évita de lui demander qui était Charlotte Corday. Une sœur de la Miséricorde fusillée pendant la première Guerre mondiale ? Oui, semble-t-il, c’était ça, ça lui rappelait quelque chose.

A ce moment, entra dans l’église une femme, mince et élancée, comme Eugène Olivier eut le temps de le remarquer du coin de l’œil avant de la reconnaître.

« Ca, par exemple, mais c’est… » Jeanne avait ouvert de grands yeux.

La nouvelle venue s’avançait vers eux par l’allée centrale entre les chaises. De loin, elle semblait toute jeune en raison de ses hanches étroites et de ses longues jambes, de sa démarche alerte et juvénile. De longs cheveux noirs, comme illuminés de l’intérieur par un éclat argenté, tombaient hardiment, droit sur les épaules. Ils étaient beaux ces cheveux et, bien qu’effectivement denses, ils semblaient lourds, ce qui est rare pour une coiffure raide. Peut-être le poids de cette crinière était-il accentué par contraste avec les épaules frêles. De plus près, on comprenait que le reflet lumineux provenait de l’abondance des mèches grises qui se mêlaient aux cheveux noirs. Ce n’était pas qu’elle fût jeune, elle n’avait pas moins de soixante ans, et nul n’en aurait douté à voir son visage anguleux creusé de profondes rides de caractère soulignant une bouche volontaire. Et cependant, personne ne se serait hasardé à la traiter de vieille femme. Avec ses jeans noirs ajustés, son sous-pull de même couleur, ses tennis et son large anorak, Sophia Sévazmiou, la plus résolue des sept têtes brûlées qui dirigeaient l’armée de la Résistance, ou, plus simplement, le Maquis, semblait exister en dehors du temps. Eugène Olivier remarqua que le regard de Jeanne avait glissé involontairement vers la main gauche de Sophia, gantée de daim gris.

« Je l’enlève quand je me promène la nuit dans leurs quartiers » dit Sophia avec un sourire. « Tu connais bien leur chansonnette ? Bonjour, mon Révérend »

« Oui… ». Jeanne avait rougi, et Eugène Olivier remarqua, avec un nouveau ravissement, que le feu de ses joues était merveilleusement froid, comme chez les Anglaises. Si le père Lotaire avait vu juste, ce n’était pas étonnant. La Manche reste la Manche même en Afrique. Mais, tout en admirant les joues empourprées, il ne put s’empêcher d’avoir pitié de Jeanne qui avait commis une maladresse. Par confusion, elle avait aggravé sa bourde en reconnaissant avoir entendu la berceuse musulmane sur l’horrible sorcière à trois doigts.

« Heureux de vous voir, Sophia », dit le père Lotaire avec un sourire franc de gamin. « C’est Jeanne Sainteville. Quant au jeune homme, inutile, je pense de vous le présenter. Vous vous connaissez, et je ne serais pas étonné que vous l’ayez vu ce matin ».

« Pas facile de vous raconter des blagues, mon père, je sais que ça ne marche pas ! ». Sophie allait fouiller dans sa vaste poche, mais, en jetant un regard sur l’autel, elle se ravisa.

« On peut aller bavarder à la sacristie, puisque vous ne pouvez pas vous passer une demi heure de vos cigarettes à l’appellation mésopotamienne », dit le père Lotaire en l’invitant à se diriger vers une petite porte.

« Mes cigarettes s’appellent Belomorkanal, et je peux vous assurer que ce n’est pas de la contrebande à bas prix. Quant à ce jeune homme, vous pensez au cadi…Il faut reconnaître qu’il y a là une coïncidence étonnante…En deux mots, c’est lui, le défunt, qui avait imposé un nouvel usage pour l’Arc de Triomphe. Bien sûr, nous ne savions pas que la première victime serait Simoulin. Encore un jour ou deux, et, avec un peu de chance, on aurait pu le sauver. Mais le temps travaillait pour eux ».

«Il n’a plus besoin qu’on le plaigne, c’est lui désormais qui a pitié de nous ». Le père Lotaire ouvrit une porte métallique et s’effaça pour laisser passer Sophia, Jeanne et Eugène Olivier. «J’ai déjà une invitée qui m’attend, mais je ne pense pas qu’elle proteste contre la fumée de vos cigarettes ».

*
* *

La pièce qui tenait lieu de sacristie était meublée d’une armoire mobile, d’une table et de quelques fauteuils. A première vue, il n’y avait personne. Eugène Olivier remarqua d’encombrants portemanteaux sur lesquels étaient empilés des ornements liturgiques en velours et en brocart. Tout près de lui, une lourde chasuble en velours cerise, passablement mitée, joliment brodée d’or sombre. Les fils entrelacés dessinaient les lettres I, H, et S, dont Eugène Olivier avait connu, mais oublié la signification. C’est alors qu’Eugène Olivier aperçut, caché derrière les vêtements, un des enfants que l’on avait amenés à la messe et qui, apparemment, jouait à cache-cache .

« Oh là ! Je t’ai trouvé, tu peux sortir ! » dit-il gentiment.

C’était une petite fille qui, avant de se montrer, jeta un coup d’œil de chaque côté des chasubles. Sept ou huit ans, peut-être moins, jolie comme une image, mais son aspect fit reculer Eugène Olivier. Et il y avait de quoi. Les boucles de ses cheveux de lin, grises de crasse et tout emmêlées lui tombaient au milieu du dos. Elle n’avait d’autre vêtement qu’un tee-shirt d’homme, marqué du logo de Monoprix. Ce tee-shirt lui tenait lieu de robe, car il lui descendait au-dessous des genoux, mais l’encolure, trop large, laissait apparaître tantôt une épaule, tantôt l’autre. Ses mignons pieds nus, posés hardiment sur le carrelage, semblaient ne jamais avoir connu l’usage des chaussures. Pas étonnant, évidemment, qu’elle se soit blessée, elle avait du sang sur les pieds.

La petite fille fixa Eugène Olivier de ses immenses yeux bleu ciel. Une mèche bouclée lui étant tombée sur les yeux, elle la rejeta d’un geste impatient. Il y avait aussi du sang sur sa menotte que l’on aurait dit sculptée dans l’ivoire.

« Valérie ! », l’appela Jeanne d’une voix douce « Valérie, viens ici, j’ai quelque chose pour toi ! ».

La petite fille continuait à examiner Eugène Olivier, sans prêter attention à ce qu’on lui disait.

« Tu as renvoyé un diable en enfer, et tu penses que tu en as fait assez ? » finit-elle par lancer d’une voix sonore. « En attendant, la Sainte Vierge pleure. Tu sais où elle habite ? Sa maison est grande grande, elle est vieille et belle avec des fenêtres en couleur. Mais dans sa maison, maintenant, ce sont les derrières qui y vont. Elle ne les avait pas invités, mais ils y vont quand même. Allez, faites quelque chose, vous êtes des grandes personnes, c’est vrai ! »

Le père Lotaire et Sophia regardaient la petite fille avec tristesse mais sans le moindre étonnement. Jeanne, accroupie, tira de la poche de son jean une sucette qu’elle tendit à l’enfant pour l’attirer.

« J’en veux pas ! ». La petite fille repoussa la sucette de ses deux mains. Sa main gauche était également blessée, et d’une façon plus qu’étrange, exactement au même endroit que l’autre main, au milieu de la paume. Ses pieds nus aussi portaient des blessures identiques, un peu au dessus des orteils. Et de ces quatre blessures, du sang coulait encore.

« Valérie, sois gentille, prends la sucette », insistait Jeanne « je l’ai volée exprès pour toi. Les derrières auraient pu m’attraper ! Et toi, tu n’en veux pas, ça me fait de la peine ».

La petite fille fronça ses sourcils dorés idéalement dessinés, s’approcha en faisant la moue, prit la sucette, mais la garda dans son poing serré sans y goûter et se dirigea vers Sévazmiou.

« Sophie, ma gentille Sophie, fais tout pour qu’ils n’y aillent plus. Tu peux, moi je sais que tu peux ! »

« Non, Valérie, je le ferais pour te faire plaisir, mais, je t’assure, je ne peux pas ». Sévazmiou s’adressait à l’enfant sans une ombre de condescendance, comme d’égale à égale, sa voix seulement s’était adoucie. « Comprends-moi. Mes soldats et moi, nous pourrions chasser les « derrières » de Sa maison, comme tu le désires. Mais quand ils nous auront tous tués, ils reviendront à toute vitesse. Je n’aurais pas assez de mon armée pour garder Notre-Dame même une semaine. Tu vois bien que je ne peux pas »

« Si, tu peux, seulement tu ne veux pas comprendre comment ! Et moi, je ne peux pas te le souffler ! La Sainte Vierge interdit de souffler ! » Valérie se mit à pleurer en se barbouillant le visage de traînées sales.

« C’est elle qui s’est fait ces blessures ? demanda Eugène Olivier à l’oreille de Jeanne. Ils s’étaient éloignés du prêtre et de Sophia qui continuaient à deux leur conversation. Que pouvait bien, d’ailleurs, raconter si longuement Sévazmiou au père Lotaire ? «Pourquoi personne ne lui a fait de pansement ? »

Jeanne posa un regard étrange sur Eugène Olivier.

« Ecoute, Jeanne, personne ne peut se blesser comme ça par hasard ! D’où viennent ces plaies, qui a osé faire mal à cette petite fille ? »

« Tu n’as vraiment jamais entendu parler de stigmates ? »

« Non… ». Le mot, à vrai dire, ne lui était pas totalement inconnu, mais était aussi flou dans sa mémoire que les lettres IHS où que la raideur du caractère de Pie X.

« Ce sont les plaies du Christ…Elles s’ouvrent et saignent spontanément. Chez des saints parfois, ou chez des justes. Valérie est une « folle en Christ ». Elle sait tout sur tout le monde. On ne peut pas la tromper ».

« Pourquoi parle-t-elle des derrières ? »

« Tu n’as jamais assisté au namaz ? »(28)

« Et alors… »

« Et tu poses encore la question. Quelle partie de leur corps est alors la plus apparente ? ».

Eugène Olivier pouffa de rire.

«Eh oui…Tu comprends, elle est encore petite. Elle dit ce qu’elle voit. Si tu savais comme ils la redoutent. Elle se promène à travers tout Paris, leur montre le poing, tape du pied….Mais, plus que tout, elle aime la cathédrale de Notre-Dame ». « Notre-Dame ? ». Par une coïncidence qui le saisit, Eugène Olivier avait été obsédé toute la journée par des réflexions douloureuses sur Notre-Dame.

« Oui, c’est elle qui l’appelle la maison de la Sainte Vierge. Et elle supplie qu’on les chasse de là. Elle tourne sans cesse autour de la cathédrale et pleure, pleure qu’on l’ait transformée en mosquée ».

« Ton papi était gentil. Il est au ciel. Et toi, tu vas les chasser ? ». Valérie avait fait un pas vers Eugène Olivier, puis elle fit demi-tour et se dirigea soudain vers la porte.

« Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop fort ! »

se mit-elle à chantonner d’une petite voix incroyablement argentée, incroyablement pure, incroyablement céleste

Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort !

La petite figurine en haillons se glissa derrière la porte. Mais, avant de disparaître, la fillette se retourna et, en regardant sévèrement Eugène Olivier, le menaça du doigt.

« Je ne sais pas pourquoi elle a parlé de ton grand-père, mais tu comprends maintenant pourquoi tout le monde la redoute ? ».

Jeanne suivait Valérie de ses yeux pas très grands aux reflets gris cendrés ombrés de longs cils noirs, desquels coulaient en silence de petites larmes transparentes. Sans doute ne se rendait elle-même pas compte qu’elle pleurait.

« Personne ne sait d’où elle sort, où sa famille a disparu. Même l’hiver, elle est pieds nus et dort dans la rue. Il vaut mieux ne pas lui proposer des chaussures ou des vêtements chauds. Parfois, j’arrive à la laver, ou, au moins à la peigner, mais il faut qu’elle soit particulièrement bien disposée. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle mange. A mon avis, il lui arrive de rester toute une semaine sans rien prendre à part la sainte Communion. C’est vrai qu’elle aime grignoter les hosties non consacrées que le père Lotaire ne manque jamais de lui laisser le plus possible ».

« J’ai dit à ton père Lotaire que je ne croyais pas en Dieu, et il a changé de conversation exprès » reprit Eugène Olivier.

« Tu sais, il est très malin, je préfère t’avertir tout de suite ».

« Et toi….Tu crois ? »

« Bien sûr, tu me prends pour une idiote ou quoi ? »

« Tu as de la chance. Mais alors, pourquoi tu leur tapes dessus au lieu de rester tranquillement chez toi à faire tes prières » dit Eugène Olivier non sans une pointe de provocation.

« Je crois t’avoir demandé de ne pas poser de questions. Ecoute, je dois avouer que tu as touché le point sensible. Très sensible. Il m’aurait été facile de vivre aux temps des Croisades, mais, tu vois, je ne suis pas encore mûre pour la fin du Monde. Où alors, c’est le courage qui me manque, je ne sais pas. Et ne ris pas, pour prier en attendant qu’on te tue, il faut bien plus de courage que pour se battre ».

« Je comprends ». Et en effet, Eugène Olivier comprenait ce qu’il n’aurait pu même concevoir une heure auparavant.

De ce temps, Sophia avait fini par extirper de sa poche un paquet grossièrement décoré d’une carte géographique. Elle en fit sortir une papirosse (29) dont elle écrasa machinalement le bout de carton entre ses doigts.

« Pauvre gamine » dit-elle en tirant une bouffée.

« Elle est très malheureuse » reprit le père Lotaire.

« Je ne parle pas de la petite, mais de la grande. Valérie dépasse nos capacités habituelles de compréhension, lui sont données des consolations que nous ne pouvons pas imaginer. C’est une nature entière, de même que la souffrance qu’elle éprouve. Tandis que Jeanne Sainteville est déchirée entre son âme et son cœur, comme écartelée par deux chevaux de même force ».

« Pour vous, ce sont des notions différentes, je sais. Pas pour moi ».

« En êtes-vous sûre, Sophie ? Dites-moi, avez-vous oublié ce dont vous me menaciez, l’autre jour ? ».

« Bien sûr que non. J’ai effectivement quelque chose à vous raconter, mon père. Peut-être même ce soir si vous êtes disponible… »

« Aux alentours de minuit, pas avant. Je dois maintenant me rendre dans le ghetto au chevet d’un mourant. Dieu seul sait le temps que j’y passerai. Mais vous, je vous attendrai ».

*
* *

Jeanne, suivie de son protégé, remontait en courant un couloir, lui aussi contigu à l’église. Devant une des nombreuses portes métalliques ovales, elle s’arrêta et appuya sur un tableau de commande du même métal.

« Nous y sommes, voilà la cellule des hôtes de passage. D’habitude, elle reçoit des moines qui viennent d’ailleurs ».

La chambre minuscule ressemblait plutôt à une cabine de navire, telle qu’on les montre, par exemple, dans les vieux films. Il ne manquait que le hublot. Un plafond bas, une couchette solidaire du mur. Jeanne fit coulisser une ou deux fois les portes d’une armoire encastrée pour montrer la penderie vide et les étagères sur lesquelles étaient pliées des couvertures et disposés quelques livres. Dans un coin, derrière un panneau de verre opaque, on devinait une douche étroite. Rien de plus, sinon une table de verre sur un unique pied galbé en fer forgé. Eugène Olivier ne s’étonna pas de voir, suspendue au mur, une petite croix de bois ornée d’une branche sèche de genévrier.

« Super. C’est l’hôtel Lutèce. »

« Tiens, voilà le plan de l’hôtel » dit Jeanne en tirant de l’armoire une sorte de croquis. « Le refuge souterrain n’est pas aussi vaste qu’il paraît, mais quand on ne connait pas le plan, on peut se perdre. Quelle sorte de papiers va-t-on te fabriquer ? ».

« Les papiers habituels d’un habitant du ghetto, avec un permis de travail à l’extérieur. Quel genre de travail, pour le moment je n’en sais rien. Eboueur, vraisemblablement ».

« Des papiers de collabo, c’est mieux. Tu as plus de liberté de manœuvre ».

« Pour aller faire la gymnastique ? Ah non, même pour tout l’or du monde ! ».

Jeanne acquiesça d’un signe de tête entendu et les regards des jeunes gens se croisèrent. Ce qu’on appelait « gymnastique » dans leur jargon c’était le namaz. En ce qui concerne les papiers, la charia appliquée à la lettre, faisait le jeu des clandestins : on pouvait les trafiquer autant qu’on voulait, le visage n’avait aucune importance, hommes et femmes étaient interchangeables, l’essentiel étant que les empreintes digitales correspondent à celles du porteur. C’était le seul signe particulier déterminant, mais pour le vérifier, il fallait interroger un fichier électronique, et personne ne se serait donné cette peine à chaque contrôle d’identité. Rien à voir avec une photographie que l’on peut afficher à chaque coin de rue, ni avec un portrait-robot que l’on peut soumettre à des témoins. Dès la première décennie du XXIe siècle, les femmes musulmanes avaient obtenu le droit de cacher sur les photos d’identité leurs cheveux et leurs oreilles. Dix ans plus tard, on décida de ne plus photographier les musulmanes en général pour qu’elles n’aient pas à dévoiler devant des fonctionnaires impudiques leurs faces vertueuses. Après le coup d’Etat, il suffit de décréter que tout portrait, en tant que représentation du visage humain, était, par nature, délictueux.

Eugène Olivier n’ignorait pas que chez les fonctionnaires de police, haut placés ou de grades moyens parmi lesquels on trouve des gens instruits, issus de familles européanisées installées en France depuis trois ou quatre générations, il y avait un fort courant favorable au rétablissement autoritaire des papiers ancien modèle, du moins pour les hommes. Ils étaient bien placés pour comprendre à quel point cette mesure leur faciliterait la tâche et compliquerait celle des clandestins. Mais toutes leurs tentatives se heurtaient au conservatisme des milieux gouvernementaux.

« Bon, voilà, si tu as besoin de quelque chose, suis scrupuleusement les indications du plan ! Tu trouveras toujours quelqu’un » dit Jeanne en s’éclipsant par la porte ouverte.

Eugène Olivier se retrouva seul. Seul, et en complète sécurité pour la première fois de la journée. Un vrai luxe.

Il jeta un coup d’œil dans l’armoire : quatre petits volumes reliés pleine peau, marqués du monogramme du Christ. De vrais bréviaires30 et non des Liturgies des Heures (31). C’est-à-dire, l’office pour tous les Temps de l’année. Par contre, des livres normaux, il en trouva fort peu, à sa grande déception. Une biographie de monseigneur Marcel Lefèbvre, publiée aux éditions « Clovis » au début du siècle, mais l’on pouvait difficilement la considérer comme un livre normal. Quelques livres pour enfants, un peu inattendus dans ce contexte, dont Le petit duc de Charlotte Yonge, en anglais, et Sire de Jean Raspail. C’était déjà plus attrayant ! Il avait une fois commencé la lecture de Sire, mais n’avait pu terminer, car il était dans le ghetto et la police avait confisqué le livre à ses propriétaires.

Eugène Olivier déploya la couchette escamotable et s’allongea avec délectation. Il disposait de vingt quatre heures entières pour lire ! Et, à vrai dire, quelle journée il venait de vivre. « Il avait renvoyé un diable en enfer », assisté à un nouvel assassinat au nom de la charia, découvert les plus authentiques chrétiens, rencontré une fois de plus Sophia Sévazmiou, lui avait parlé, et puis encore, il avait, comment dire…Le livre ouvert lui glissa des mains. Mais le visage qui surgit derrière ses paupières à demi closes, n’était pas celui, pourtant si gracieux et, déjà, si douloureusement cher de Jeanne. C’était le minois sublime, dévoré d’une fureur prophétique, de la petite Valérie.

(19) Pendant la messe, les catholiques utilisent deux flacons, pour l’eau et le vin, dont le contenu permet de remplir le calice. A la différence des orthodoxes, les prêtres catholiques se servent donc des burettes au cours de la célébration.

(20) Le 6 mai, fête de saint Jean l’Evangéliste devant les Portes Latines de Rome. Arrêté sur l’ordre de Domitien, l’apôtre fut jeté dans l’huile bouillante, mais il sortit de la cuve sain et sauf. Il fut ensuite exilé dans l’île de Patmos. Le supplice eut lieu devant les portes de Rome nommées Portes Latines, d’où le nom de la fête. Le récit en est fait par saint Jérôme qui cite le témoignage de Tertullien.

(21) Le cheickYoussef al Karadaoui a déclaré sur la chaîne Al Jazeera : « On demanda au Prophète quelle ville serait conquise la première : Constantinople ou Rome ? Il répondit :d’abord Constantinople. Reste la deuxième cité, nous espérons qu’elle tombera entre nos mains… Cela signifie, que nous reviendrons en vainqueurs dans cette Europe d’où l’on nous a chassés deux fois : la première, dans le sud de l’Andalousie, la deuxième à l’Est ». Bien entendu, il fut précisé que « cette fois l’Europe serait conquise non par le glaive, mais par la prière et l’idéologie ». Admettons, mais quelle différence pour nous que Rome tombe pacifiquement ou dans la violence ? (D’après Corriere della Sera, Une fatwa lancée contre Rome, la ville sera reconquise, 15 mars 2004. Publié sur le site www.inopressa.ru).

(22) On donne ici une description de la barrette, coiffe du clergé catholique (l’équivalent de la skoufia des orthodoxes), actuellement pratiquement disparue dans l’Eglise catholique romaine.

(23) Que Dieu Tout-puissant te bénisse (lat.)

(24) Le maquis est, à l’origine, un mot corse désignant une garrigue, une lande broussailleuse. Prendre le maquis signifiait échapper aux autorités. Pendant la deuxième guerre mondiale, les partisans adoptèrent cette expression. D’où le terme typiquement français de maquisard. Il n’est pas étonnant qu’une trentaine d’années plus tard, cette fameuse appellation ait refait surface.

(25) Bénissez-moi, mon père (lat.)

(26) Deux exemples seulement pour illustrer les propos du père Lotaire. Au printemps 2004, l’Eglise catholique d’Allemagne a pris l’initiative d’organiser dans les locaux de l’épiscopat de Mayence une exposition intitulée « Il n’y a pas de guerre sainte », proposant aux visiteurs de « considérer d’un œil critique » les « méprisables actions » des Croisés. Le cardinal Karl Leman affirma ouvertement l’idée sacrilège que les chevaliers qui s’étaient imposé des souffrances inhumaines en Terre Sainte, étaient mus non par la foi, mais « par la soif de pouvoir et l’amour du lucre ». Comment nommer autrement que trahison du christianisme cette profanation de tombes ? Cherchant, apparemment, à se concilier l’influente communauté musulmane d’Allemagne, le cardinal souligna que cette exposition « jetterait les bases de nouveaux contacts entre l’islam et l’Europe ». La même année, sur la proposition du conseil de communauté de la cathédrale Saint-Jacques de Compostelle en Galice, fut enlevée la statue de Sant Iago Matamoros (le pourfendeur des Maures). Saint Jacques, sur son cheval blanc cabré, sabre les Maures enturbannés qui gisent sous les sabots de sa monture. Le conseil a jugé que « la sculpture était de nature à froisser la sensibilité des musulmans qui visitent aussi ce monument d’architecture ». Dans ces cas comme dans d’autres, il est caractéristique que l’on joue « à qui perd gagne » : tout ce qui est susceptible d’irriter les musulmans est retiré avant même qu’ils ne se mettent à l’exiger. Il faut rendre justice aux catholiques. Ce jeu de dupes, ils ne le jouaient pas qu’au profit des musulmans, ces derniers se sont contentés de rafler la mise. Mais comment ne pas rappeler la liquidation des reliques de l’enfant Simon de Trente effectuée pour cesser « d’offenser » les juifs. Quand la religion, de révélation d’en-haut, se transforme en héritage culturel, le doute s’installe et les scrupules : pourvu que l’on ne marche sur les pieds de personne. Ainsi, tout ce que dit le père Lotaire est exact : la perception ayant changé, le rapport à la religion a été dénaturé.

(27) A l’origine, monogramme grec du nom du Christ, transcrit en lettres latines et interprété plus tard comme les initiales de Iesus Hominum Salvator (Jésus, Sauveur des hommes). Dans l’Eglise latine, ce monogramme ornait non seulement les vêtements liturgiques mais d’autres objets de culte.

(28) Prière rituelle des musulmans.

(29) Cigarette russe à fume-cigarette en carton incorporé.

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