Opération Borodine – 30-Fin

TRENTE

L’évasion des trois rescapées des geôles d’Al Misri, orchestrée et mise en œuvre par les Tueuses d’Ishtar a un retentissement mondial considérable. Tous les magazines étrangers parlent de ces guerrières parfaitement entraînées, devenues en quelques jours une espèce de légende. Les rumeurs les plus folles courent sur leur compte : elles travailleraient pour le Mossad cherchant à anéantir les gouvernements de la vieille Europe soumis à l’Empire ottoman islamiste ou encore pour le MI6 britannique qui viendrait au secours des Français comme il l’a souvent fait à travers l’Histoire.

À Moscou, Claire, Pauline et Viane déclarent qu’elles leur doivent tout et ont été impressionnées par leur professionnalisme. Mais elles refusent d’en dire plus. Non, elles n’ont pas vu leur uniforme car il faisait trop sombre. Non, elles ne savent pas quelle langue elles parlaient entre elles. Avaient-elles un accent ? Oui, peut-être mais il leur est impossible de l’identifier.

Le président de la Fédération de Russie a attribué à chacune des trois femmes qui ont risqué leur vie pour Dietski Gorod, un très bel appartement rue Tverskaya, en plein centre de Moscou. Pauline et Viane se sont demandé si elles allaient définitivement reprendre Louise et Nathan, la directrice s’opposant à des visites sporadiques qui risqueraient de susciter de la tristesse parmi les autres pensionnaires. Mais les enfants ont-ils envie de quitter le centre pour s’installer avec leur mère à Moscou ?

Dans un Skype organisé dans le bureau de la directrice, Louise et Nathan ont été unanimes. Quitter Dietski Gorod ? Jamais ! Nathan apprend le hockey sur glace, prend des cours de théâtre et continue le violon. Quant à Louise, en plus du piano et du karaté, elle s’est mise à la danse classique, ce qui était inespéré pour le garçon manqué qu’elle était. Mais surtout elle s’est beaucoup attachée à Gabriel, son « frère d’izba », dont la maman est toujours emprisonnée à Fleury-Mérogis. Et puis il y a les animaux. D’abord, les ânes qui viennent leur manger dans la main, des lapins, des renards dont ils suivent la trace dans la neige et leur ours Micha qui s’approche maintenant de la grille dès qu’il les entend arriver.

— Non, c’est trop génial ici, dit Nathan. Mais je veux bien que tu reprennes Montesquieu car j’ai l’impression qu’il s’ennuie sans toi.

— Est-ce que vous comprenez qu’on ne pourra pas vous rendre visite jusqu’à la fin de l’année scolaire ?

— Les autres non plus n’ont pas la visite de leurs parents, fait remarquer Louise. Et puis on a maintenant deux petites sœurs Inès et Manon, elles n’ont que cinq et sept ans et elles nous aiment beaucoup.

— On ne peut pas les laisser, plaide Nathan, elles seraient vraiment trop tristes.

La directrice accepte d’organiser un Skype toutes les semaines, comme c’est le cas avec les parents qui peuvent se connecter sans danger.

Viane et Pauline sont à la fois déçues et rassurées. Déçues parce qu’elles s’attendaient à ce que leurs enfants sautent de joie à l’idée de revivre avec leur maman en plein cœur de Moscou et rassurées parce qu’ils sont heureux,n’ont jamais eu autant d’activités et découvrent pour la première fois les responsabilités « familiales ». Elles admettent que pour des enfants uniques qui ne pensaient qu’à eux et autour de qui tournait le monde cette expérience est enrichissante.

— Je me demande si ça leur aurait fait quelque chose de savoir qu’on était condamnées à mort, soupire Viane.

— Ne dis pas de bêtises, la sermonne Pauline. Ils sont dans leur monde et en plus de faire de la musique, de la danse, du théâtre et du sport, ils apprennent enfin à s’occuper des autres.

— Tu as raison. Quand je lui demandais de descendre Montesquieu, il avait toujours autre chose à faire. C’est sûr que j’ai du mal à l’imaginer en train de se promener avec ses deux « petites sœurs ».

— Ils nous les transforment dans le bon sens.

— C’est vrai qu’on les couvait trop. Enfin, moi. Dès qu’il faisait trop froid, je gardais Nathan à la maison.

Viane est heureuse de récupérer Montesquieu. Comme elles n’ont pas le droit de voir leurs enfants, Dimitri s’est proposé de le lui ramener.

Pauline qui n’a pas vu son amant depuis le 22 décembre ne tient plus en place et a déjà essayé toutes les toilettes offertes par le gouvernement russe pour reconstituer leur garde-robe. Mais elle ne peut se décider. Elle les trouve toutes trop sophistiquées. Gaétan l’a appelée en plein essayage pour s’excuser d’avoir dû la renier devant la télévision française. Il n’avait pas le choix. Il a aussi été contraint de se convertir à l’Islam pour pouvoir rester au gouvernement et servir les intérêts de la Résistance. Le Caméléon peut compter sur lui. Violaine a passé au crible tous les lieux de détention pour retrouver leurs voisins Aurélien et Sophie mais aucun fichier ne les a répertoriés. Se pourrait-il qu’ils aient été exfiltrés vers laRussie ? Pauline n’en a aucune idée mais si c’était le cas Viane aurait été prévenue.

De son côté, Claire a mal pris le fait qu’Arnaud refuse l’appartement qu’on lui proposait dans l’immeuble de la rue Tverskaya. Il a préféré un meublé, à quelques mètres du métro Krapotinskaya, avec une vue imprenable sur la Moskova et les bulbes d’or du Kremlin.

En attendant d’y être invitée, Claire a l’occasion de le croiser à la Direction des Affaires françaises. Cette antenne du ministère russe des Affaires étrangères, qui les a tous recrutés en qualité de collaborateurs, poursuit trois objectifs. Le premier est de localiser les parents des enfants de Dietski Gorod qui se cachent quelque part en France ou ont quitté le territoire national à l’annonce du décret de recensement, le but étant de les protéger et de les exfiltrer le moment venu, ce à quoi réfléchissent les membres des forces spéciales russes infiltrées au sein des administrations françaises. Le second consiste à faciliter l’opération Borodine en répertoriant tout le matériel militaire français situé hors de France, comme les bateaux et les avions et inciter les pilotes de chasse et les pachas à se joindre à l’opération. Le troisième est d’aider à la mise en place de la République de France sur le sol russe qui doit devenir la 23e République de la Fédération de Russie. En marge de ces trois objectifs, deux services ont été créés pour suivre l’évolution du partenariat France-Turquie et évaluer l’impact de la suppression du français sur les écoliers du primaire.

Claire travaille directement avec Dimitri à la mise en place de la République de France. Arnaud est chargé de convaincre toutes les flottes, escadrilles et régiments basés hors de l’hexagone d’adhérer à l’opération Borodine. Pauline et Viane recherchent les parents avec le soutien desCaméléon-relais et des jumelles Léa et Chloé qui vivent maintenant ensemble à Marseille. Elles s’occupent aussi des dossiers « partenariat » et « éducation ».

— Cela me fait tellement plaisir de retravailler, s’exclame Pauline. J’avais peur qu’on nous laisse ici à ne rien faire.

— Je suis comme toi, dit Viane et ce qui est super, c’est qu’ils acceptent que Montesquieu vienne avec moi au bureau.

Le Golden Retriever ne veut plus la quitter. Elle a essayé de le laisser seul dans son appartement mais il a tellement aboyé que le gardien l’a appelée en urgence. Depuis, ils partent ensemble le matin, une petite marche de quinze minutes jusqu’aux locaux de la Direction des affaires françaises, situés derrière la place Rouge. Fascinée par l’éclat du soleil contre les bulbes d’or des églises ou l’ombre de leurs croix ouvragées projetée sur la neige, Viane ne se lasse jamais de cette promenade matinale, même quand il fait un peu froid.

À midi, les trois voisines se retrouvent dans un café qui propose des blinis au saumon ou au caviar rouge, des soupes qui tiennent au corps et des pirojkis.

— Si je continue ce menu blinis, je vais ressembler à une matriochka, s’inquiète Pauline.

Après le déjeuner, Viane promène toujours Montesquieu dans le parc situé au pied des remparts. Elle pense à Aurélien et essaie de cacher son inquiétude. Il lui manque. Son fils aussi lui manque mais il a l’air si heureux dans sa nouvelle école que son enthousiasme la console un peu. Pauline, elle, n’a pas le temps de s’ennuyer de Louise. Non seulement Dimitri s’est quasiment installé chez elle mais ils passent le week-end dans sa datcha à l’extérieur de Moscou où il lui fait découvrir les plaisirs de la motoneige,du poisson que l’on fume au feu de bois et le sauna situé au bord de la rivière gelée.

Des trois, c’est Claire la moins heureuse. Toujours professionnelle et toujours seule. Chaque jour un peu plus amoureuse d’Arnaud et chaque jour un peu plus délaissée. Elle a essayé de se confier à Pauline qui n’a pas compris qu’elle s’attache à un homme qui ne sait pas ce qu’il veut alors que les Russes sont si séduisants avec des yeux mille fois plus ensorcelants que ceux d’Arnaud. Mais Claire l’a dans la peau depuis des années, même si elle le voit de moins en moins. Pendant la semaine, il voyage sous une fausse identité dans les territoires où la France a des forces stationnées et le week-end, il trouve toujours une excuse pour ne pas venir ou ne pas pouvoir la recevoir. Elle subodore une relation avec une jeune et belle Moscovite et en souffre. Elle en a parlé à Dimitri qui a infirmé ses craintes. Pour la distraire, il lui a présenté deux collègues des forces spéciales. L’un d’eux, un grand blond charmant, la quarantaine, très athlétique aux yeux gris-bleu en amande est arrivé à lui faire oublier, l’espace de quelques nuits, celui qui la hante jusqu’à l’obsession. Et, chose surprenante, ses règles tardent à venir. À 42 ans, elle n’a jamais pensé à la maternité de façon sérieuse mais elle a décidé que si elle était enceinte de cet homme au visage si parfait, elle garderait l’enfant. Une chose est sûre, c’est que le père ne peut être Arnaud.

L’espion est d’ailleurs rentré du Mali il y a quelques jours avec une surprise qu’il souhaite partager avec tous. Claire redoute le pire bien que le plaisir des nuits passées dans les bras de son prince Igor – c’est son nom – atténue un peu sa jalousie. Il les reçoit dans son salon qui ne comporte que cinq meubles : un très grand canapé, deux fauteuils assortis, une table basse et un piano à queue recouvert de partitions. Il y a posé les verres et leur demande d’ouvrir la bouteille de champagne pendant qu’il prépare la fameuse surprise. Il éteint toutes les lumières puis les rallume aussitôt. Alors, apparaissent dans le fond de la pièce Aurélien et Sophie. Les retrouvailles sont émouvantes. Arnaud les a revus par hasard dans un hôtel de Bamako fréquenté par des expatriés. Tous deux travaillaient depuis dix jours pour une organisation humanitaire britannique qui était parvenue à les faire sortir de France. Aurélien gérait les finances et Sophie intervenait comme psychiatre dans le cadre d’un programme d’aide aux victimes de viol. Il a suffi de quelques coups de fil à Dimitri pour leur obtenir des passeports russes et les voilà à Moscou.

Claire se sent vraiment stupide d’avoir imaginé qu’il allait leur présenter sa nouvelle conquête. Elle s’en veut presque de l’avoir trompé.

TRENTE ET UN

L’opération Borodine se précise. Le Caméléon est enfin parvenu à rencontrer Les Tueuses d’Ishtar. Depuis sa cellule, Fatima a accepté de collaborer en fomentant le chaos dans toutes les villes de France, de façon à faire diversion et occuper au maximum les forces de l’ordre. Elle a aussi étendu le recrutement de ses « filles » à toutes les femmes militaires françaises, quelles que soient leur religion et leurs origines avec une préférence pour les régiments de parachutistes, d’infanterie de marine, les commandos et les blindés. Le capitaine Kenza a sélectionné les meilleurs profils et en a choisi cinq cents prêtes à tuer pour retrouver leur identité professionnelle et rendre à la France ses valeurs.

Agissant sous le commandement du général de division Aubry, qui s’est également rallié à la Résistance, Les Tueuses d’Ishtar ont été chargées d’anéantir tous les symboles de l’islamisme ottoman et saoudien, à commencer par les mosquées construites par l’Arabie saoudite, les maternelles transformées en salles de prières et les écoles primaires.

Fatima a ajouté à ces cibles matérielles, une liste d’allocataires de la Caisse d’Allocations Familiales, occupant des logements sociaux en banlieue et refusant de les quitter, en dépit de revenus importants provenant du trafic de drogue grâce auquel ils se font construire desomptueuses villas au bled et roulent en 4X4 BMW, Audi ou Porche.

Les Maghrébines de la brigade ont été désignées pour s’occuper de ce grand nettoyage qui les a remplies d’un sentiment de vengeance personnelle et de justice sociale. S’introduisant dans les logements de leurs cibles, elles leur ont fait signer, sous la menace d’une arme, un justificatif de « renoncement aux aides de l’État ainsi qu’aux appartements de l’office des HLM ». Tout signataire qui n’avait pas quitté les lieux dans les quarante-huit heures était défenestré avec ses meubles.

La nouvelle a déclenché une véritable panique dans les zones de non-droit. Les imams essayant d’empêcher ces déménagements contraints ont été assassinés, tout comme les chefs de réseaux et les « grands frères » que Les Tueuses d’Ishtar rendent responsables du désastre national, du préjudice causé à leur communauté et de la régression des femmes. Les salafistes qui vouent à la France une haine sans précédent, insultant et menaçant de mort les travailleurs sociaux qui n’accèdent pas à leurs requêtes, ont plié bagage dans les deux jours. Massés à la frontière espagnole et dans les ports de Marseille, ils ont réclamé une autorisation de « retour dans leur pays d’origine pour atteinte à la vie » et, pour le bien de tous, cette autorisation leur a été accordée.

L’ensemble des forces de l’ordre ont été mobilisées et un couvre-feu a été décrété pour venir à bout de ces redoutables femmes de l’ombre.

En vain.

TRENTE-DEUX

Le 1er avril a été choisi pour le déclenchement de l’opération Borodine. Le chef d’état-major des armées le général Aubry ainsi que les trois chefs d’état-major de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la Marine, les généraux Sorgues, De Langlas et l’amiral Pradel sont arrivés à Moscou le 30 mars, après avoir prétexté une courte absence pour raisons familiales.

Le jour J, le ballet incessant d’avions de chasse français atterrissant toutes les deux minutes sur les bases aériennes russes, filmé par les télévisions du monde entier, a eu un impact considérable sur l’opinion publique internationale. En effet, il a suffi de quelques heures, pour que l’ensemble de la force de frappe française se place sous le commandement des districts militaires aériens russes de Moscou, Leningrad, du Nord-Caucase, de la Volga-Oural, de Sibérie et du Moyen-Orient.

Présentateurs et téléspectateurs ont d’abord cru à un poisson d’avril jusqu’à ce que les pachas des principaux bâtiments de combat français – frégates anti-sous-marines, anti-aériennes, de types Lafayette et Mistral –, ainsi que le pacha du porte-avions Charles-de-Gaulle équipé de ses 36 chasseurs-bombardiers Rafale déclarent devant les caméras qu’ils s’étaient rangés sous le commandement russe des flottes russes du Nord, du Pacifique, de la Baltique et de la mer Noire. Les colonels de trois régiments d’infanterie de marine, d’un régiment de blindés, de deux régimentsd’hélicoptères de combat, d’un régiment de chasseurs alpins et de quatre régiments de parachutistes ont également affirmé, vidéos à l’appui, avoir rejoint les districts militaires de l’armée de terre russe, disséminés sur tout le territoire de la Fédération de Russie.

Dans les rédactions des principaux groupes de presse, les journalistes étaient sans voix pour annoncer que la France et ses territoires d’outre-mer s’étaient vidés de leurs forces en moins de vingt-quatre heures et que l’armée française avait accompli, avec la coopération de la Russie, le putsch militaire le plus spectaculaire de l’Histoire. Dans le même temps, Les Tueuses d’Ishtar et les membres de la Résistance confirmaient, sous couvert d’anonymat, qu’ils lutteraient depuis la France, pour reprendre le pays aux mains des islamistes.

Dix jours après cet extraordinaire coup de force, le Président russe, invitait tous les chefs d’États et de gouvernements de la nouvelle Société des Nations qui souhaitaient intensifier leurs relations avec son pays, à fêter l’avènement de la 23e République de la Fédération de Russie.

Sur la place Rouge, un immense écran a été installé. Aux premiers rangs des tribunes figurent les dirigeants de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, du Japon, de l’Argentine, du Brésil, de l’Union des pays scandinaves conduite par la Norvège, du Bloc du centre, dirigé par la Hongrie, des trois pays baltes, de l’Ukraine qui est sagement retournée dans le giron russe, de la Biélorussie, des trois pays du Caucase, du Kazakhstan et des anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale. Plus en retrait sur les gradins se tiennent les représentants du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et du Royaume-Uni.Les grands absents sont les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union européenne, noyautés par les responsables d’Ouroub al Islamioun qui occupent maintenant tous les postes de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. Quant aux États-Unis, ils n’ont pas été invités, chacun s’accordant à reconnaître que l’administration présidentielle avait tué l’Europe, d’abord en étouffant le Vieux Continent sous des hordes de réfugiés musulmans payés par la CIA, ensuite en facilitant avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

L’hymne national russe s’élève, majestueux sur la place Rouge. Deux gigantesques drapeaux russe et français flottent dans le vent et s’entremêlent. Le Président, entouré du chef d’état-major des armées le général de division Aubry et des généraux De Langlas, Sorgues et de l’amiral Pradel rappelle qu’ils fêtent aujourd’hui l’avènement de la 23e République de la Fédération de Russie, dénommée Respoublika istinoï frantsi – République de la Vraie France.

Il revient brièvement sur le fonctionnement de ces structures territoriales et administratives qui possèdent chacune leur propre Constitution, ont le droit d’établir leurs langues officielles, élisent leur Parlement et leur président sur la base du suffrage universel direct mais restent soumises au Kremlin, pour les grands sujets, notamment la Défense, la Justice et l’Éducation.

— La création de cette république va permettre d’une part d’accueillir les Français de France que nous essaierons d’exfiltrer au fur et à mesure mais elle servira surtout de tremplin à la reconquête du territoire français, dit-il.

Il regarde à gauche, attend le signal d’un officier et s’écrie, plein de fougue :

— Et maintenant, accueillons ces courageux militaires français hommes et femmes qui sont venus à nous de leur propre gré pour reconquérir leur pays.

Les contingents de l’opération Borodine, régiments, pilotes et personnels des bâtiments de la marine nationale font leur entrée sur la place Rouge sous un tonnerre d’applaudissements. Les femmes qui avaient été mises à pied par Al Misri et que l’opération Borodine a réintégrées ne passent pas inaperçues. Parmi elles, onze pilotes de chasse, de nombreuses marinettes, artilleuses et parachutistes. Un jour exceptionnel pour ces femmes militaires qui doivent non seulement reconquérir la France mais rendre à leurs consœurs d’infortune leurs droits confisqués.

Devant les tribunes, tous se mettent au garde-à-vous. Un orchestre avec chœurs entonne La Marseillaise. Un moment solennel chargé de sentiments diffus sur cette France qui les a laissés tomber, jusqu’à ce que les militaires russes se rangent à leurs côtés dans cet espace immense et rouge. Au-dessus d’eux, des avions de chasse français et russes exécutent des prouesses aériennes en dessinant les couleurs des deux pays.

— La Russie n’a jamais oublié Normandie-Niemen, dit le président qui s’éclaircit la voix pour cacher son émotion, cette escadrille de courageux pilotes de chasse français qui, en 1942, avaient rejoint la base aérienne d’Ivanovo pour combattre l’ennemi à nos côtés. Aujourd’hui ce n’est pas une simple escadrille qui va reconquérir la France mais l’ensemble de sa force de frappe, de sa Marine et plusieurs de ses régiments. Un tonnerre d’applaudissements l’interrompt.

— Là-bas, nous disposons d’un noyau dur d’intrépides guerrières, des femmes militaires rayées des registres par legouvernement d’Al Misri et prêtes à tout pour sauver leur pays et ses valeurs.

Il se tourne vers les tribunes et fait venir sur le devant de la scène Claire, Pauline et Viane.

— Cette brigade qui se fait appeler Les Tueuses d’Ishtar a libéré des geôles d’Al Misri nos trois héroïnes qui étaient condamnées à mort pour avoir évacué les deux mille enfants français de Dietski Gorod.

La foule crie sa reconnaissance. Assez intimidées, les trois voisines saluent et remercient. Le président les serre contre sa poitrine.

— Maintenant tout reste à faire pour reconquérir la France, et surtout ne pas endommager son fabuleux héritage culturel, poursuit-il. Cela prendra peut-être un peu de temps car nous ne voulons pas que Paris ou les châteaux de la Loire se transforment en champs de ruines. Mais nous sommes confiants. Nous avons les meilleurs avec nous et les plus courageux sur place.

De nouveau l’hymne russe retentit pendant qu’une immense carte de la Russie est projetée sur l’écran.

— Je laisse à mon conseiller Dimitri Sergueivitch le soin de vous révéler l’emplacement de la Respoublika Istinoï Frantsi, la République de la Vraie France.

La foule retient son souffle tandis que Dimitri s’approche du micro.

— Vous devez tous vous dire « mais où nous ont-ils casés » ? craignant sans aucun doute de devoir émigrer en Russie extrême orientale où le climat n’est pas toujours très clément.

Il montre une partie des tribunes occupée par les PDG des grandes entreprises et groupes industriels français, récemment installés sur le territoire russe.

— Pourtant eux l’ont fait, déclare-t-il dans un geste admiratif.

Puis il rassure son auditoire. Non, ils ont choisi la partie européenne de la Russie pour créer la République de la Vraie France. Il fait encore durer le suspense en promenant son laser de la Volga à la mer Noire, du Caucase à Saint-Pétersbourg. Suit un roulement de tambour qui met tout le monde en effervescence. Le tambour s’arrête. Le silence est total. Dimitri reprend le micro et annonce :

— La capitale de la Respoublika Istinoï Frantsi est Sotchi. Nous vous offrons 35 000 km2 pris sur le Krai de Krasnodar qui vous cède la moitié de sa superficie, soit un peu plus que votre Région Provence Alpes Côte d’Azur.

Des hourras fusent de toutes parts tandis qu’un trait rouge indique sur la carte les contours de cette nouvelle circonscription administrative.

— On vous a cédé notre Côte d’Azur et en plus vous avez les montagnes ! Vous vous y sentirez comme chez vous. À compter d’aujourd’hui, vous êtes libres d’organiser votre Constitution et vos Institutions et d’accueillir sur votre territoire tous ceux qui vous semblent dignes de ce petit morceau de France.

Puis, il précise que les Républiques de la Fédération de Russie n’ont aucune frontière et que tous les citoyens russes, sans aucune discrimination fondée sur l’ethnie ou la religion, peuvent y circuler ou s’y établir.

— Vive la République de la Vraie France, s’exclame le président et vive la Russie.

L’émotion est à son comble et c’est dans ce climat de liesse que le chef d’état-major des armées, le général Aubry, prend la parole :

— Au nom de tous les Français civils et militaires présents sur le sol de la Fédération de Russie et de tousceux qui souffrent chez nous sous le poids d’une dictature religieuse que nous ne pouvions même pas imaginer il y a un an, je remercie profondément le Président russe de nous donner la chance de continuer à exister.

ÉPILOGUE

Trois mois plus tard, dans la République de la Vraie France, les drapeaux français et russe flottent côte à côte. Les inscriptions des bâtiments officiels apparaissent en russe et en français et tous les panneaux de la circulation sont traduits dans les deux langues. Les écoliers portent un uniforme, comme c’est le cas dans toutes les écoles de la Fédération de Russie. Un théâtre de style néo-classique présente sur de grandes affiches les pièces du moment : La Sauvage de Jean Anouilh en russe et La Cerisaie de Tchékov en français. Un mélange des genres, des styles et des langues. De nombreuses terrasses de cafés, noires de monde encombrent les rues et les boulevards alors que sur le quai, un bâtiment accueille de longues files de personnes arrivant visiblement de France. Des hommes, des femmes, des enfants… Ils sont peut-être une centaine aujourd’hui. Exténués par le voyage. Une affichette placée au-dessus d’une benne à ordures indique qu’il faut jeter son niqab et tout foulard évoquant l’Islam. Ces nouveaux migrants regardent autour d’eux : des restaurants, des palmiers, des gens libres, des femmes en jupe et talons hauts, aux chevelures flottant sur des épaules nues…

— Regarde, dit une dame à son mari, on se croirait dans la France d’avant.

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