Operation Borodine – 23-25

VINGT-TROIS

Une semaine avant l’opération Mary Poppins, les jumelles remontent sur Paris. Elles font la connaissance d’Adnan, le fils des réfugiés qui a presque leur âge et retrouvent Pauline, Viane, Aurélien et Arnaud. À l’occasion d’un petit-déjeuner de travail, Claire félicite ses Poppins. Les deux listes sont complètes pour les cinq zones avec un bon équilibre entre les filles et les garçons. Les familles, qui ont découvert avec effroi la suppression du français dans les écoles primaires, réclament l’ouverture d’une troisième liste alors que la deuxième, dépendant du succès de la première évacuation, n’est encore qu’hypothétique. De nombreux contrats signés par un seul des deux parents ont été acceptés par la Russie en raison des circonstances, les quotas d’enfants d’origine asiatique et africaine sont remplis mais Claire cherche encore à imposer une dizaine de descendants de Harkis que Dimitri rejette catégoriquement.

— Il a raison, dit Léa. On a refusé les contrats à tous les musulmans alors pourquoi faire une exception pour ceux-là ?

— Quand on voit que Fatima a fini par sombrer dans l’Islam alors qu’elle nous a fait brûler nos niqabs sur les Champs-Élysées, réagit Chloé, ça n’incite pas à croire dans la parole des musulmans.

Leur mère les met en garde. Personne ne sait ce qu’elle a subi dans son premier lieu de détention et despsychotropes lui seraient administrés, une information que Jean-Marc tient du CICR.

Claire tape une bouteille avec une cuiller pour obtenir l’attention de tous. La veille du jour J, les Poppins se trouveront dans une des villes de leur zone de responsabilité d’où ils géreront la location des bus, le recrutement des chauffeurs, la convocation des parents, la sélection d’un lieu de chargement sûr, la tenue des délais et la nomination de deux Caméléons-relais qui voyageront avec les enfants et les encadreront jusqu’à la base navale. Ces Caméléons-relais devront s’assurer que les petits candidats n’emmènent rien avec eux – pas même de doudous ou de poupées – qu’ils portent tous un pantalon, un t-shirt, un pull, un anorak et des chaussures de marche.

Deux bus par ville seront nécessaires, soit six par zone. Les chauffeurs regagneront aussitôt leur point de départ après avoir déposé leurs passagers à Brest et à Toulon pour organiser le deuxième chargement. Sur zone, ils devront attendre le signal pour approcher le semi-remorque que les Russes ont agencé de telle sorte qu’il peut contenir les cinq cents enfants. Leur trajet sera donc scrupuleusement minuté. Les quatorze chauffeurs venant de Brest, Nancy, Bourges, Paris, Calais, Le Havre et Nantes rouleront vers Brest où les « Cinq » du ministère des Situations d’Urgence effectueront le transfert des enfants vers le semi-remorque qui, une fois plein pénétrera à l’aube dans la base navale, l’heure habituelle des livraisons, pour se garer sous le hangar, en bordure de l’eau. Un aéroglisseur entièrement banalisé, provenant du Yantar, le navire de la flotte de la Baltique accostera discrètement pour évacuer vers le navire de guerre les enfants en un seul voyage. Les Russes netoléreront aucun Français à bord ni aucun contrôle des normes de sécurité.

— Et sur Toulon ? demande Léa.

— Ce sera exactement le même schéma, explique Claire. Six autres collaborateurs du ministère des Situations d’Urgence sont arrivés à Toulon il y a une semaine pour aménager le camion. Le navire de la flotte de la mer Noire, l’Almaz, possède, lui aussi, un radier permettant d’abriter un aéroglisseur.

— Ce sont des chalands de débarquement, intervient Arnaud. La France en possède deux ou trois. Ces navires sont en général destinés au transport de troupes mais servent aussi de bateau-hôpital. Cette ville flottante plaira beaucoup aux enfants.

— Combien de jours durera la traversée ?

— Quatre jours pour Kaliningrad et trois jours pour Sébastopol.

Claire poursuit son briefing. Les bus de Dijon, Clermont-Ferrand, Lyon, Bayonne, Toulouse, Perpignan et Marseille convergeront sur Toulon.

— Et les deux bus de Bordeaux ? s’exclame soudain Viane. Tu ne les as pas mentionnés.

— Je voulais qu’ils soient évacués en totalité sur Brest mais les Russes s’y sont opposés. L’un ira donc sur Brest et l’autre sur Toulon.

Le briefing se termine et tous se ruent sur le petitdéjeuner que vient de livrer un coursier. Sophie s’inquiète de savoir à quel moment les enfants seront prévenus du départ.

— Au dernier moment.

— Mais comment vivront-ils la rupture ? Les parents sont censés leur parler de la Russie en termes élogieux dès la signature du contrat. Albums illustrés à l’appui, ils doivent leur faire comprendre que c’est un pays vers lequel ils aimeraient tous émigrer, le royaume des enfants, du cirque, de la musique, de la danse, des traîneaux et de la neige… Un territoire immense qui fait la moitié de la partie nord de la Terre et où les femmes, depuis près d’un siècle, sont scientifiques, cosmonautes, pilotes de chasse et conductrices de tram, un pays où la population a appris le français par amour de la France et de sa culture.

— Et tu penses que ce sera suffisant ?

— Ils auront tous cinq minutes avant le départ du bus pour leur expliquer qu’ils les rejoindront bientôt. Aucun ne mentionnera la Russie. Par souci de sécurité, les enfants ne doivent pas savoir où ils vont.

— Je crains qu’il n’y ait beaucoup de pleurs, s’inquiète la psychiatre.

— Les Caméléons-relais épongeront peut-être quelques larmes mais la séparation ne devrait pas être si dramatique.

— Dès qu’ils seront à bord des navires de guerre russes, les éducateurs du ministère des Situations d’Urgence les prendront en charge et de très nombreuses animations sont prévues. Ils ne s’ennuieront pas une seconde, rassure Claire.

Montesquieu qui mendie des morceaux de croissants, regarde Viane en penchant la tête sur le côté, comme s’il essayait de lui rappeler qu’il faudrait peut-être penser à son avenir. Elle serre sa tête dans ses mains et supplie ses camarades :

— Est-ce que Nathan pourra l’emmener ?

— Non, les Russes sont formels, dit Arnaud, aucun jouet, aucun doudou, aucun animal de compagnie.

— Mais je ne peux plus le garder à Paris, se lamente Viane. Il vit chez Claire et ne peut pas sortir. Si je me fais prendre à le promener, ils le jetteront à la fourrière.

Arnaud lui caresse le museau.

— Je le prendrai bien, dit-il, mais je n’ai pas de jardin.

Claire a une idée. Certains d’entre eux seront sur la base de Brest pour assister au transfert des enfants depuis le semi-remorque jusqu’à l’aéroglisseur. À la dernière minute ils peuvent essayer de l’imposer.

— Tu n’as pas peur que les Russes le balancent à la mer ?

— Ils aiment trop les bêtes. Dimitri sera furieux mais ils s’en occuperont bien et je leur demanderai ensuite de l’installer dans l’izba de Nathan.

— C’est risqué, remarque Arnaud.

— Le seul risque est de mettre Dimitri en colère, dit Claire.

— Et les autres enfants, intervient Sophie, tu y as pensé ? Ils vont se dire : « Pourquoi lui a droit à son chien et pas nous… »

VINGT-QUATRE

Dans le sous-sol du Caméléon, les amiraux Dutilleux et Duchemin n’en finissent pas de se ronger les sangs. Peu de participants à cette réunion, la dernière avant le déclenchement de l’opération Mary Poppins. Les « Cinq » sont à Brest, les « Six » à Toulon, les troupes de Claire dans leur zone de responsabilité, Viane à Bordeaux, Chloé à Marseille, Léa à Toulouse et Aurélien à Nancy. Seule Pauline, qui gère la logistique de son secteur depuis Paris, a pu se libérer et encore parce que Dimitri est présent et qu’elle ne l’a pas vu depuis un mois. Sophie a également été conviée pour réfléchir à la conception d’un test à caractère subliminal qui permettrait de sonder les velléités islamisantes de certains militaires.

— Je suis très inquiet au sujet de l’opération Mary Poppins, lance Dutilleux. S’il y a le moindre blessé parmi les enfants, je ne me le pardonnerai pas.

— Faites-leur confiance, lui conseille Claire.

— Vous êtes drôle, vous ! Ce ne sont pas des magiciens non plus et je sais qu’il est impossible de faire tenir cinq cents enfants dans ce semi-remorque.

— Il n’a pas tort, intervient l’amiral Duchemin. À moins de les tasser comme de la viande, c’est impossible.

— C’est la première fois que je dois donner mon accord pour une opération que je ne contrôle pas, ajoute Dutilleux.

— On peut encore tout annuler, propose Duchemin.

Claire bondit.

— Vous n’y pensez pas !

— Vous voyez bien qu’il y a trop de risques.

Dimitri sort de son silence et le fait sans aucune diplomatie.

— Vous, les Français, vous êtes des trouillards sans imagination. Moi qui ai visité ces semi-remorques et étudié le plan minutieux de la disposition des enfants sur le logiciel, je peux vous assurer que celui qui l’a conçu est un génie et qu’il n’y a aucun risque, même pour un enfant qui souffre de claustrophobie. C’est comme un grand jeu. Et il en va de même pour les aéroglisseurs.

Arnaud propose du café et quelques chocolats pour détendre l’atmosphère. Puis s’adressant aux amiraux :

— Laurent sera avec vous Amiral sur la base de Toulon, moi je serai avec l’amiral Duchemin sur la base de Brest. Le ministère des Situations d’Urgence sait tout gérer pour peu qu’on ne lui mette pas de bâtons dans les roues.

Les amiraux sont très stressés. Dutilleux demande un doigt de whisky pour améliorer le mauvais goût de son café et le général De Langlas essaie de minimiser le poids de leur responsabilité en la comparant à l’opération Borodine.

— Imaginez dans quel état je serai, en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air la veille de l’opération Borodine ! Et là ce ne sera pas une poignée d’enfants qu’on évacuera vers la Russie…

Les amiraux se calment. Claire et Pauline sortent pour fumer. Depuis qu’on leur impose de se couvrir la tête et le corps, elles ont repris leurs mauvaises habitudes, plus par provocation. Elles se sentent libres ici. Dès qu’elles se glissent dans le souterrain, elles retirent leur niqab.Les participants profitent de la pause pour évoquer l’après Mary Poppins et le risque que courront les familles qui auront envoyé l’un de leurs enfants à Dietski Gorod.

— Vous pensez à des représailles de la part du gouvernement ? interroge le général Sorgues.

— Pressions, arrestations, emprisonnements… Ils peuvent sortir toute la panoplie et décider de recenser les enfants de cet âge…

L’assistance se tourne vers Dimitri, comme s’ils attendaient de lui une solution.

— N’y pensez même pas, se défend le Russe. Nous nous chargeons des enfants, pas de leurs parents.

— Vous avez bien exfiltré les familles des cinq petits martyrs…

— C’était différent et il n’y avait que vingt personnes. Là, ce serait 7000 personnes au bas mot, sans compter les grands-mères…

— Dans ce cas, il vaut mieux attendre l’après « Borodine », reconnaît le général De Langlas.

— En dehors de quelques villages paumés de Bretagne ou de Corrèze, je me demande bien où ils seront à l’abri en France, se demande l’amiral Pradel.

Claire et Pauline regagnent leur place et rappellent qu’en signant le contrat, les parents ont accepté tous les risques, notamment celui de se voir accusés d’intelligence avec l’ennemi.

— Tous les parents sont des nôtres, ajoute Pauline et ils nous ont permis de grossir de quatre mille membres les rangs du Caméléon.

— Bon, ben s’ils sont prévenus, tout va bien, conclut l’amiral Dutilleux. Je ne vois même pas pourquoi on en parle.

Dimitri déplie une carte des différentes unités de l’armée de terre française : les troupes de marine, les blindés, les parachutistes, l’infanterie, l’artillerie, les hélicoptères de l’ALAT(8), les chasseurs alpins, le corps des spécialistes, les forces spéciales…

— Ce que vous voyez en vert, dit le Russe, est le degré d’infiltration des sympathisants d’Ouroub al Islamioun, d’après nos services de renseignement.

L’amiral Dutilleux se presse les tempes et soupire bruyamment.

— C’est pire que ce que je pensais, fait-il, l’air abattu. Notre armée est vraiment pourrie de l’intérieur. Aucune arme ne montre de pourcentage nul, même les troupes de marine.

— Jusqu’à quel point vos estimations sont-elles fiables ? interroge le général Sorgues ?

Dimitri montre une autre carte beaucoup plus réconfortante, marquant la différence entre officiers, sousofficiers et militaires du rang.

— Les éléments islamisants sont quasiment tous des militaires du rang, fait remarquer l’amiral Pradel.

— Et des sous-officiers, corrige le général Sorgues. Le problème c’est que sans eux, notre Défense n’existe pas.

Le général De Langlas demande à Sophie s’il lui serait possible de mettre au point une espèce de questionnaire psychologique qui, soumis aux militaires sous une forme qui ne leur mette pas la puce à l’oreille, permettrait d’identifier leurs tendances en vue de l’opération Borodine.

Elle le pense. Elle développe actuellement, avec le psychiatre qui l’a remplacée, un Irakien très familier des opérations psychologiques américaines menées dans les prisons de Bagdad, une thérapie qui agirait comme antidote sur les personnes ayant été confrontées à un processus d’islamisation, volontaire ou involontaire.

L’amiral Dutilleux ne cesse de répéter que le ver est dans la pomme et qu’aucun programme n’y changera rien.

— Notre erreur a été de recruter dans l’armée ces jeunes de banlieue qui, en plus d’être musulmans, ont tous une deuxième nationalité.

— Musulman ou pas, j’estime inconcevable qu’un militaire français puisse avoir deux nationalités, s’exclame Claire, même quand il s’agit des nationalités française et suisse !

— Le problème, c’est que les Maghrébins qui sont devenus français, soit par naturalisation, soit par la naissance conservent leur nationalité d’origine qu’ils le veuillent ou pas.

— C’est ridicule !

— Au contraire, dit Dimitri. Cela entretient l’attachement aux racines et permet à tous ces pays de maintenir sur eux leur influence.

— Sachant cela, on n’aurait jamais dû les accepter dans l’armée.

L’amiral Pradel se souvient de discussions qui avaient lieu sur le sujet alors qu’il était un jeune officier. À l’époque, le terrorisme islamiste n’était pas envisagé comme une menace par la doctrine militaire et les gouvernants visaient la « non-discrimination » tous azimuts. Le slogan qui soudait la société française du moment était « touche pas à mon pote ».

— Et le « pote » est devenu le ver dans la pomme, rabâche l’amiral Dutilleux. Je leur ai toujours dit qu’ils se retourneraient contre nous…

— Vous n’en êtes pas encore là, fait Dimitri. Regardez la carte. Vous pouvez toujours compter sur vos officiers.

— En tout cas, quand vous traversez le mess et que vous passez à côté d’immenses tablées qui ne mangent qu’hallal, je peux vous assurer que ça fait froid dans le dos, en frémit le général Sorgues.

— Ce que je n’arrive pas à comprendre c’est que l’armée en soit arrivée à produire des rations hallal, s’indigne Pauline. Je rappelle quand même que l’expression signifie « en accord avec les règles de la charia ». Pour Arnaud l’apparition du hallal dans l’armée est le résultat d’un concours de circonstances. Lorsque les forces françaises se trouvaient en Afghanistan, elles utilisaient les services de traducteurs pachtounes qui refusaient de manger français. Ils exigeaient que leur nourriture soit bénie par l’imam. L’économat des armées leur a donc commandé des rations « hallal » qui étaient proposées au self au milieu des rations classiques et des rations « sans porc ». Du coup, les militaires français musulmans ont choisi ces menus qui ont accentué leur communautarisme.

— Intéressant, remarque le général De Langlas. Je ne connaissais pas cette version.

— Je ne suis pas tout à fait d’accord, dit Sorgues. J’étais sur le terrain et j’ai vu nos militaires musulmans inciter les traducteurs pachtounes à réclamer du « hallal ».

— Il a raison, fait Dutilleux. Je suis marin mais j’ai quand même eu l’occasion de me rendre en Afghanistan et je peux vous assurer que les traducteurs ne demandaient rien. Trop contents d’avoir un boulot, ils auraient mangé n’importe quoi, même du porc.

Les hauts gradés se regardent, impuissants, en colère contre eux-mêmes.

— En tout cas c’est bien l’introduction du hallal qui a sonné le glas dans les armées, se rappelle Sorgues. On en a fait des militaires « à part » qui se sont pris, très vite, pour des « intouchables ».

— Il n’y a pas de mystère, quand le plancher est pourri, la maison s’écroule, relève un gradé.

— Vous voulez dire qu’on ne peut plus compter sur notre armée ? s’inquiète Sophie.

— Le ver a pourri la pomme, vous ne comprenez pas ? s’énerve l’amiral Dutilleux.

Ils se remémorent les recrutements de l’après 11 Septembre et les directives gouvernementales qui leur imposaient d’embaucher des musulmans ! Des musulmans ! Alors que les institutions de la république déclinaient à tous les cas possibles les principes de la laïcité !

— Comme si ces jeunes, dénués de sens patriotique et qui n’aspiraient qu’à toucher leur solde à la fin du mois, allaient aider la France à combattre le terrorisme ! s’insurge l’amiral Pradel. Comme si leur baragouin parlé nulle part ailleurs que dans le Maghreb – et encore dans les zones incultes – devait permettre d’appréhender les vrais terroristes et servir la nation !

Dans la série des erreurs lourdes de conséquences, le général Sorgues évoque l’autorisation de pratiquer le ramadan en opérations extérieures !

— Ils touchaient trois fois leur solde et dormaient toute la journée. On ne pouvait rien leur confier. Même traverser la cour les épuisait !

— Littéralement scandaleux ! Ils passaient leur temps à prier dans les chambrées les fesses en l’air. Du sur-mesure !

— Alors que l’armée n’a jamais fait de sur-mesure pour les femmes, note Arnaud. Combien de fois ai-je entendu : « À partir de maintenant, vous n’êtes plus des femmes maisdes soldats. Si vous avez vos règles, on s’en fout, si vous êtes enceinte, on ne veut pas le savoir tant que ça ne se voit pas. Vous ne bénéficierez d’aucun traitement de faveur ».

Se levant brusquement, l’amiral Dutilleux se met à arpenter la pièce d’un pas agressif. Il fustige ses chefs de l’époque qui n’ont rien vu venir, des exécutants dénués de vision. Il fustige les généraux et amiraux dont ils font tous partie et qui n’ont pas réagi.

— Pourquoi n’avons-nous rien dit ? Tous restent silencieux.

— Par lâcheté, avoue Arnaud. La moindre remarque sur l’Islam comptait des points en moins pour le tableau d’avancement.

L’amiral frappe un grand coup sur la table, destiné à faire sursauter l’assistance.

— On n’a rien dit, rugit-il, parce qu’on percevait déjà que l’État n’était plus laïc et qu’une politique de l’ombre visait, à très haut niveau, à le transformer en État musulman.

Sa remarque jette un froid. L’amiral Pradel avale sa dernière gorgée de café froid. Le général De Langlas se gratte le nez, les autres tripotent leur stylo ou regardent leur montre. Seul Dimitri esquisse un sourire. Sophie brise le silence.

— J’aimerais que quelqu’un m’explique ce qu’est l’Opération Borodine, fait-elle, agacée. Vous en parlez tous de façon laconique ce qui est très désagréable. Donc, en dehors d’être une mission secrète – ce que j’ai pu comprendre –, c’est quoi ? Une guerre totale ? La fin du monde ?

— La fin de la France, lance Arnaud.

Pendant ce temps, Pauline et Dimitri échangent des regards chargés de désir. Le Russe fait courir son index et son majeur sur la table pour lui faire comprendre qu’en sortant du repaire elle devra le retrouver à son hôtel…

VINGT-CINQ

Nathan et Louise essaient de deviner sur un puzzle représentant la carte de France leur lieu de vacances. Viane et Pauline ne leur ont donné que trois informations : il y a des cirques, ils seront ensemble et le voyage sera long. Ils collent de petits drapeaux sur les zones qui leur semblent envisageables.

— C’est soit chez ma grand-mère, soit chez la tienne, dit Louise. Je pense que c’est plutôt chez la mienne car c’est ma mère qui nous accompagne.

Elle enfonce un petit drapeau à l’emplacement de la ville de Rouen. Mais Nathan n’est pas d’accord.

— Rouen c’est trop près de Paris. Maman a parlé d’un long voyage. Donc, c’est automatiquement chez ma tante de Nice.

Et il place un petit drapeau sur la ville de Nice.

— Maman a dit qu’il y avait un cirque. C’est donc Rouen, conclut Louise. J’y vais chaque fois que je suis chez ma grand-mère.

— Mais je vais aussi au cirque quand je suis à Nice, insiste le petit garçon.

Ils ont laissé la porte entrouverte et Ferdous les regarde discuter. Où vont-ils ? Que font-ils ? Elle n’a que des questions. Et sa maman, où est-elle ? Elle ne l’a pas vue de la journée. Pourquoi ne vont-ils plus à l’école ?Louise n’a pas envie de lui répondre. Elle ne l’aime pas et la trouve fouineuse.

— Viens, dit-elle à Nathan. On va chez toi.

Viane a confié son fils à Nour pendant la préparation de l’opération Mary Poppins en prétextant un enterrement en province. La Syrienne ne pose jamais de questions. Elle est le contraire de Ferdous que Pauline tient à distance depuis qu’Adnan a révélé aux jumelles que les policiers du quartier convoquaient les réfugiés pour les interroger sur leurs familles d’accueil. À quoi les parents occupent-ils leur temps libre ? Quelles chaînes de télé regardent-ils ? Quelles sont leurs lectures ? Boivent-ils de l’alcool ? Fument-ils ? Quelles sont les relations du couple ? Se déplacent-ils en dehors de Paris ou hors de France ? Quelle est leur attitude envers l’Islam ? Les enfants apprennent-ils les cours de leur manuel ? Que pensent-ils de leurs professeurs ? Autant de réponses qui permettent aux policiers d’établir des fiches de renseignements individuelles.

La diplomate se méfie. Elle aime de moins en moins prendre ses repas « en famille » bien qu’elle apprécie toujours autant la cuisine orientale de Ferdous.

Le jour du grand départ, elle envoie Louise dormir chez Nathan. Vers vingt-deux heures, elle les réveille et les fait sortir discrètement de l’appartement. Pour ne pas se faire repérer, ils prennent l’escalier, se baissent en passant devant la loge du concierge et courent jusqu’à sa voiture qu’elle a garée devant l’immeuble. Pendant ce temps, Gaétan distrait Ferdous et Hussein pour les empêcher de sortir sur le palier, ce qu’ils font souvent quand ils téléphonent.

Sur l’aire de stockage d’Ivry, les Caméléons-relais sont à l’œuvre. Ils vérifient les empreintes digitales des petits candidats au départ et rendent les doudous aux parents. Louise et Nathan sont très étonnés de se retrouver parmi tous ces enfants qui, comme eux, ignorent l’endroit de leurs vacances. Ils comprennent seulement qu’ils ne vont ni chez la grand-mère de Rouen, ni chez la tante de Nice. Les deux bus au départ de Paris portent les lettres F et G, un système alphabétique destiné à faciliter l’approche du hangar où les enfants seront transférés dans le semiremorque qui pénétrera, tel un camion de livraison, dans la base navale. Les bus A et B qui ont quitté Nancy en début de soirée et ceux du Havre, de Nantes, Lyon ou Marseille qui partiront après minuit arriveront simultanément à Brest et à Toulon.

Deux animateurs choisis parmi les Caméléon-relais encadrent les enfants jusqu’à la zone de transfert. Arnaud, Claire et Pauline montent à bord du bus F où Louise et Nathan sont déjà assis, tandis que Montesquieu est placé en soute dans une valise à claire-voie. Sophie rejoint les Caméléon-relais du bus G d’où elle observe le comportement des enfants au moment de la séparation. Les parents agitent leurs mains puis disparaissent dans l’obscurité. Les plus grands qui ont collé leur front contre la vitre sont vite consolés par la pochette-surprise qui vient de leur être distribuée.

Depuis l’écran d’un ordinateur portable, Claire et Arnaud suivent le déplacement des bus et contrôlent la sécurité. Un escadron de la gendarmerie mobile, acquise à leur cause, accompagne chaque convoi dans un véhicule banalisé qui se tient prêt à intervenir en cas d’imprévu. Un point vert lumineux indique les bus qui roulent, un jaune les départs imminents, un bleu les arrivées.Aurélien, parti de Nancy en début de soirée à bord du bus A se dirige vers Brest, tout comme Viane qui a pris place à Bordeaux à bord du bus E.

Sur le coup des quatre heures du matin, les points lumineux des quinze bus passent du vert au bleu, aussi bien à Brest qu’à Toulon. Les Russes du ministère des Situations d’Urgence les appellent un à un sur la zone de transfert, ce qui déclenche un clignotant orange qui s’éteint dès que les passagers ont été déchargés.

Brest et Toulon présentent le même schéma avec un hangar situé sur une aire de stockage, à moins d’un kilomètre de la base navale. La porte sud du hangar de Brest s’ouvre de moitié pour accueillir le bus F, celui de Claire, tandis que le E celui de Viane, ressort par la porte nord. Le semi-remorque apparaît sur la droite. À gauche, une table pliante supporte un thermos de café près de laquelle se tiennent Aurélien et sa femme qui vient d’arriver. Apercevant le bus de Paris, ils se précipitent.

— C’est quoi ce gigantesque camion ? demande Nathan.

— On va où ? s’énerve Louise.

— Ici on peut vous le dire, fait Pauline en s’adressant à tous les enfants.

Elle prend sa respiration et lâche dans un souffle :

— Vous partez en Russie.

— En Russie ! s’écrient-ils, en chœur.

Le mot « Russie » semble provoquer une allégresse qui se propage parmi les petits candidats, comme s’il était synonyme de magie, de cirque et de ballet.

— Vous allez prendre le bateau jusqu’au port de Kaliningrad, une enclave russe sur la mer Baltique où untrain de conte de fées vous emmènera à Moscou puis à Dietski Gorod, la ville des enfants, poursuit la diplomate, rassurée par l’enthousiasme général.

Galia du ministère des Situations d’Urgence s’impatiente. Les parents les serrent très fort dans leurs bras.

— On doit monter dans ce gros camion ? s’étonne le fils de Viane.

— C’est pour vous cacher jusqu’au bateau, fait sa mère.

— C’est une opération secrète ? demande Louise.

— Très secrète, fait Galia en les prenant par la main.

L’équipe de Claire aimerait voir comment s’organise la disposition à bord du semi-remorque mais les Russes ne laissent approcher personne.

— Je les observe depuis trente minutes, explique Aurélien, et leur organisation m’impressionne. Les bus entrent et sortent, entrent et sortent… Tout est parfaitement coordonné.

Près de la table, la valise à claire-voie que le chauffeur du bus F vient de déposer se met à bouger. Viane accourt pour libérer Montesquieu qui semble encore tout étourdi par les somnifères.

— Il faut lui donner à boire, conseille Arnaud qui verse de l’eau dans un gobelet.

Sophie descend du bus G et se joint à la compagnie. Elle remarque Sacha et s’avance pour le saluer mais il a l’air préoccupé.

— J’espère que vous n’avez pas l’intention de nous imposer ce chien, dit-il à Viane d’une voix dure.

La Prof le supplie.

— S’il vous plaît, laissez-le rejoindre les enfants… À Paris, ils vont le mettre à la fourrière et l’euthanasier…

— Impossible, dit Sacha. On a dit aucun animal de compagnie. Il y a beaucoup d’autres enfants qui auraient aimé emmener leur chien, vous ne croyez pas ?

Elle lui prend la main mais il se dégage et retourne vers le camion.

— C’est raté, dit Claire tristement. Je pensais que ce beau Tatar serait moins rigide que ses collègues…

Les derniers bus arrivent, déchargent leurs passagers et repartent à vide, transportant seulement les deux animateurs. Le semi-remorque affiche complet. Galina et Irina montent à l’arrière avec les enfants, tandis que les hommes referment les portes. Installé au volant, Sacha démarre le moteur. Vassili range la table pliante et le thermos puis souffle quelques mots en russe à l’oreille du Golden-Retriever qui aboie deux fois.

— Je prends votre chien sous ma responsabilité, dit-il à sa maîtresse. On s’est parlé et il est d’accord. Quel est son nom ?

— Il s’appelle Montesquieu, dit Viane, éperdue de reconnaissance.

— Comme le philosophe ?

Elle rit et les accompagne jusqu’à la cabine. Vassili installe le chien sur la banquette et le serre contre lui.

— Ne vous inquiétez pas, dit-il, on en prendra grand soin et je crois qu’il comprend la situation.

Mais Montesquieu colle son museau contre la vitre et gémit au moment où le semi-remorque quitte le hangar.

— Et nous ? demande Pauline, on reste là, en rade ?

— Une camionnette de la base va venir nous chercher, dit Arnaud.Ils arrivent juste à temps pour assister au transfert des enfants vers l’aéroglisseur.

Louise aperçoit sa mère et lui crie : « Maman, c’était génial le camion ! Tu n’imagines même pas. Comme un film en 3D ».

Vassili donne le signal du départ et les matelots retirent la passerelle. Debout, sur le bord du quai, les deux mères se prennent la main.

— Tu crois que Montesquieu est dedans ? demande Viane en regardant l’énorme bateau sur coussin d’air s’éloigner dans l’obscurité.

Pauline ne répond pas. Des larmes coulent sur ses joues. Aurélien les rejoint et serre les deux femmes dans ses bras.

— Ne soyons pas tristes, dit-il. Ils seront heureux là-bas et ils le sont déjà ! Vous avez vu leur réaction quand ils ont appris qu’ils partaient en Russie…

L’équipe de Claire, les « Cinq » des Situations d’Urgence, Arnaud, le commandant de la base et tous les officiers mariniers, enseignes de vaisseau et quartiers maîtres qui ont participé à l’opération sont rassemblés dans la salle des télécommunications, encombrée d’ordinateurs, d’écrans et de micros.

— Combien de temps leur faut-il pour atteindre les eaux internationales ? demande Arnaud.

— Une demi-heure.

— Quand même !

Des minutes qui semblent être des heures. Chacun suit le déplacement des aiguilles de la pendule indiquant l’heure locale. Personne ne parle ou seulement à voix basse. La tension est palpable. Seule la VHF émet un grésillement continu.« Bravo-Tango, ici Yankee à vous », dit soudain une voix émergeant du silence.

— Yankee ici Bravo-Tango, répond l’opérateur radio avant que Vassili ne s’empare du micro et poursuive en russe.

Quelques échanges, ponctués du mot « priom ». Les visages de Claire et des Russes s’animent. C’est l’effusion.

— Tout s’est bien passé, dit Vassili à l’adresse des francophones. Les enfants sont à bord du Yantar et en pleine forme.

Une vidéo apparaît sur l’un des écrans. Visiblement émerveillés, les petits voyageurs montent et descendent les échelles reliant les différents ponts et courent dans les coursives. L’amiral Duchemin félicite les « Cinq » pour la qualité de leur travail.

— Bravo-Tango de Tango-November, les nôtres sont aussi à bord de l’Almaz, intervient l’amiral Dutilleux, en direct de la base de Toulon.

Derrière lui, les jumelles s’agitent. Il ajoute :

— Je crois qu’on peut déclencher la deuxième phase de l’opération.

Le lendemain, alors que les indicateurs lumineux montrent que tous les bus roulent à une bonne cadence vers les bases navales, une alarme retentit sur les ordinateurs de Claire et d’Arnaud. Celui de Bordeaux clignote en rouge, arrêté au niveau d’Angoulême. Viane se précipite tandis que Claire active les caméras pour savoir ce qu’il se passe. La police est montée et veut comprendre pourquoi ces enfants voyagent en pleine nuit. Un décret l’interdit. Qui sont-ils ? Où vont-ils ? Les informations données par les Caméléon-relais ne semblent pas les convaincre. Ils interrogent un petit de sept ans qui leur parle du cirque. Sceptiques, ils se renseignent. L’amiral se demande pourquoi l’escadron de la gendarmerie n’est pas intervenu. Arnaud passe un coup de fil.

— Aucun système n’est infaillible, dit-il en raccrochant.

— Ils savent qu’on va à Brest ? interroge Claire.

— Non. Les gendarmes étaient censés lever l’escorte à Rennes.

Gaétan informe Arnaud par SMS que le gouvernement a été mis au courant d’une évacuation d’enfants. Il est parvenu à orienter les soupçons sur l’Angleterre et les trains mais il sait que cette ruse n’est que temporaire. Quand les policiers et les gendarmes auront fini de contrôler toutes les gares entre Saint-Lazare et Calais, ils s’en prendront aux bus et interdiront aux embarcations de quitter les côtes. Pour l’instant, seuls les ferries ont reçu l’ordre de suspendre leur traversée. Le bus de Bordeaux repart enfin. Il a une heure de retard et les « cinq » refusent de l’attendre, leur semiremorque n’étant pas conçu pour garder les enfants aussi longtemps à bord.

— On n’a qu’à le faire entrer directement dans la base, suggère un capitaine de Frégate.

— Dans ce cas, il faudra vous débrouiller avec vos bateaux parce que l’aéroglisseur n’attendra pas non plus, prévient Vassili.

— On a des vedettes, dit l’amiral.

En douce, il laisse entendre que ces Russes sont encore plus rigides que des Allemands et des Scandinaves réunis.

— C’est ce qui fait l’excellence de ce ministère, dit Claire pour justifier leur attitude.

Comme la veille, Arnaud, Claire, Viane, Pauline, Aurélien et Sophie assistent au transfert des enfants vers le semi-remorque et du semi-remorque vers l’aéroglisseur. Une heure après le départ de l’engin sur coussin d’air, le bus de Bordeaux pénètre dans la base. Les trente-cinq petits Bordelais sont pris en charge par le personnel de la vedette qui s’éloigne aussitôt.

Au même moment, l’amiral Dutilleux, annonce fièrement depuis Toulon que l’Almaz vient de lever l’ancre pour Sébastopol avec, à son bord, mille enfants. Claire vient d’en avoir la confirmation sur sa tablette mais débriefe les Caméléon-relais du bus de Bordeaux qui ont vécu une expérience traumatisante.

— On a vraiment cru qu’ils allaient nous arrêter, dit la plus jeune. Je regardais mon fils dormir et j’ai pensé à un moment que je ne le reverrais plus.

— Des hommes auraient dû accompagner les enfants, note la plus âgée. C’était inconscient de confier ce rôle à des femmes. Nous n’avons plus aucune légitimité.

— Il y avait autant d’hommes que de femmes parmi les encadrants, rectifie Claire.

— Pas dans notre région.

La femme de terrain admet que ce risque n’avait pas été envisagé, pas plus que le décret interdisant aux enfants de voyager la nuit qui, visiblement, vient d’être publié. Elle les félicite que tout se soit bien terminé.

Le soleil est déjà levé quand le pacha du Yantar intervient en français par radio avec un gros accent russe :

— Nous sommes prêts à lever l’ancre pour le port de Kaliningrad, dit-il. À notre bord, mille enfants plus un passager clandestin, un philosophe dont j’ai oublié le nom. Il a quatre pattes et il est blond.

— Montesquieu, fait Claire, amusée.

— Ah oui, vous avez raison, il remue la queue à l’évocation de son nom. Mais c’est tellement difficile à prononcer qu’on a décidé de l’appeler Pouchkine pendant la durée du voyage. On espère qu’il ne sera pas vexé !

L’assistance applaudit. Les bouchons de champagne sautent. Les Russes sortent de leur sacoche une bouteille de Vodka.

— Nous sommes habitués à un carburant un peu plus corsé que votre doux vin à bulles ! murmure Sacha à l’adresse de Sophie.

— On a réussi, se réjouit Claire.

Aux jumelles qui suivent par Skype l’explosion de joie de la base de Brest – celle de Toulon ayant déjà eu lieu – elle conseille d’attendre un peu avant de regagner Paris. Les deux sœurs demandent si elles peuvent se dégrimer et s’installer ensemble à Marseille. Claire ne s’y oppose pas mais les met en garde contre les risques de représailles quand les Russes révéleront au monde ce sauvetage culturel.

Depuis Calais où il a été dépêché par Al Misri, Gaétan appelle Arnaud. La police n’a rien trouvé qui confirme la rumeur d’une évacuation mais les ferries vers l’Angleterre sont fouillés pour empêcher les Français de se réfugier à l’étranger. Un nouveau décret exige un accord spécial de la préfecture pour sortir du pays. Toutes les frontières que le Traité de Schengen avait supprimées sont rétablies.

Pauline prend le téléphone des mains d’Arnaud.

— Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour nous, dit-elle à son mari. Je ne l’oublierai jamais.

(8) ALAT signifie aviation légère de l’Armée de terre. Elle est composée d’hélicoptères.

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