Opération Borodine – 8

HUIT

Treize jours plus tard, le 15 octobre, la nouvelle tombe : la Turquie vient d’intégrer l’Union européenne. Personne ne s’y attendait, sauf les Russes qui ont exfiltré vers la Russie les cinq enfants de la maternelle et leurs familles.

Claire ne peut oublier la réaction des parents quand elle est venue leur annoncer que les bambins étaient tous en vie, retenus dans une des résidences présidentielles. Ils ne la croyaient pas. La plupart vouaient au président Fleuriot et à son équipe une véritable admiration. Il ne se passait pas une semaine sans que celui-ci ne leur fît parvenir des billets pour un séjour au soleil, des places de théâtre, des entrées VIP. Ils ne pouvaient concevoir qu’ils aient été victimes d’un complot politique fomenté au plus haut niveau de la hiérarchie institutionnelle ni que les forces spéciales russes puissent sauver leurs enfants. Comme beaucoup de Français, ils éprouvaient à l’égard de la Russie et de son peuple du mépris et de la condescendance. En dehors de quelques-uns, Claire avait été confrontée à une méfiance totale, même lorsqu’elle leur avait révélé que cette opération était menée conjointement par les services secrets français et russes.

Dimitri l’avait prévenue que l’exfiltration des parents ne serait pas simple et qu’elle devrait commencer par confisquer tous les portables et ordinateurs pour empêcher les appels quasiment inévitables qui risqueraient de compromettre la mission. De son côté, Arnaud avait fournil’assistance psychologique et médicale nécessaire et le bus aux vitres fumées traitées pare-balles pour accueillir les familles. Il avait aussi envoyé sur de fausses pistes la kyrielle de paparazzis qui, depuis le drame, campaient sur le trottoir des proches.

Gérer pendant de longues heures dix adultes à la fois traumatisés, sceptiques et désagréables, sans compter une douzaine de frères et de sœurs avait été pour Claire un vrai parcours du combattant. Une fois la mission accomplie, elle avait exigé deux jours de tranquillité absolue. Elle en avait profité pour flâner dans Moscou, revoir les collections du musée Pouchkine et assister à deux pièces de théâtre. Jamais auparavant elle n’avait ressenti à ce point le besoin de faire le vide dans sa tête.

Claire regarde sa montre. Elle n’a pas encore la confirmation que la Turquie fait partie de l’Union européenne. Son rendez-vous avec Dimitri va l’éclairer sur ce point. Aussi, elle presse le pas, admirant au passage les silhouettes des sept gratte-ciels moscovites. Ces pyramides aux tours étagées, associant le baroque russe, le gothique stalinien des années 1940 et le style newyorkais la fascinent. Elle les surnomme « les châteaux de Staline ». La nuit, leur flèche illumine toujours le ciel de son étoile rouge. Symboles de Moscou, ces colosses de pierre continuent d’inspirer la crainte, en dépit des centaines de bulbes d’or qui ornent la capitale. Pour Claire, le contraste entre cette architecture religieuse composée d’églises, de chapelles et de monastères et ces monuments à la gloire du marxisme-léninisme et de l’athéisme scientifique expriment la complexité de l’âme russe. Les façades lourdes et sculptées rappellent l’univers de certains romans où l’expression « magie russe » décrit cet entremêlement de briques anciennes, de clochers de la période d’Ivan le Terrible, de châteaux staliniens, d’architecture impériale aux tons pastel qui alternent avec des trésors d’Art nouveau associant mosaïques et carreaux de faïence.

Elle regarde de nouveau sa montre. Elle vient d’arriver au café du lieu de rendez-vous. La terrasse est chauffée et les serveuses distribuent des plaids. Elle attrape la pile de quotidiens dont les gros titres la figent bien qu’elle s’y attendît : « La Turquie dans l’UE : le retour de l’Empire ottoman » ; « Une accession sous haute corruption » ; « Le non-respect des règles entraîne le départ de sept pays membres » ; « La France a fait plier ses partenaires pour imposer la Turquie » ; « Les États-Unis sortent de leur isolationnisme pour faciliter cette accession » ; « Des financements auraient été proposés par l’Arabie saoudite et acceptés par de nombreux pays ».

— Louche ! s’écrie Claire en se renversant sur sa chaise.

Quand Dimitri l’a contactée il y a une semaine pour lui dire : « Tiens-toi prête pour évacuer les familles, nous, on exfiltre les enfants de la maternelle », elle a compris que l’entrée de la Turquie était imminente, alors que le vote des « Vingt-Trois » n’était prévu que dans trois mois, avec des délais toujours repoussés.

L’agent russe, infiltré à l’Élysée, avait appris qu’une réunion confidentielle se préparait et que la décision d’intégrer la Turquie serait prise dans le secret des alcôves de la Commission européenne.

— Vous m’appeliez ? demande une serveuse en s’approchant de Claire.

— Je suis sous le choc, fait la femme de terrain, toute retournée. Je viens d’avoir la confirmation que la Turquie était bien devenue membre de l’Union européenne.

La serveuse lui apporte un petit verre de vodka-maison joliment posé sur un napperon de dentelle pour se remettre de ses émotions. Claire l’avale d’un trait.

— Vous venez d’un pays membre de l’Union européenne ? demande la jeune fille, comme pour satisfaire sa curiosité.

— Oui, je suis française.

— Française « pure » ?

— Oui, pure.

— Si vous saviez comme on a du mal à imaginer, nous autres, Russes, que le pays d’Alexandre Dumas et de Victor Hugo soit dirigé par un islamiste !

— Oui, c’est regrettable.

— On dirait que les Français ont oublié leur histoire.

— Peut-être.

— C’est pour vous soutenir que notre président nous a imposé le français. Il veut en faire la deuxième langue du pays, comme du temps des Tsars.

— Et ça marche ?

— En dehors des retraités, tout le monde est censé suivre des cours. C’est indispensable pour le travail et beaucoup commencent à bien se débrouiller.

Elle continue en français :

— On a si peur que vous ne soyez tous obligés d’apprendre l’arabe et que votre langue ne disparaisse ou ne soit interdite.

Elle s’excuse. On l’appelle à l’intérieur.

Autour de Claire, les Moscovites ont déjà ressorti les manteaux de fourrure car le thermomètre indique une température proche de zéro. Claire sirote son cappuccino sans trouver le courage de se plonger dans la lecture des quotidiens dont les unes la dépriment. Les deux hommes assis près d’elle n’ont pas l’air de se soucier du bouleversement géopolitique que constitue l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Ils continuent de parler affaires tout en mentionnant l’île de Sakhaline et Vladivostok. Leurs préoccupations semblent tournées vers l’Extrême-Orient russe et non vers la vieille Europe avec laquelle il est devenu quasiment impossible de commercer.

Claire aperçoit Dimitri de l’autre côté de Sadovoe Kaltso, le boulevard-jardin dont les arbres, malgré le froid, n’ont pas encore perdu leurs feuilles. Il emprunte le passage souterrain et réapparaît à quelques mètres du café. Il s’assoit en face d’elle et retire sa chapka.

— Tu as vu ? fait-il en dirigeant les fentes étincelantes de ses yeux gris vers les gros titres des quotidiens.

Claire a vu mais n’a encore rien lu. Elle se demande, indignée, comment la Turquie a pu obtenir l’unanimité des signatures. Le diplomate la rassure. Elle ne serait jamais devenue membre si la France et les pays les plus touchés par les attentats n’avaient modifié une clause du traité en invoquant la « force majeure ». Le mot « unanimité » s’est transformé en majorité en termes de population ce qui a fait pencher la balance, d’autant que les gouvernements les plus hostiles à la Turquie avaient touché d’importantes sommes d’argent pour voter en faveur de son adhésion, provoquant la colère des pays nordiques et du Centre.

— La Suède, le Danemark, la Finlande, l’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont immédiatement révoqué leur statut et quitté l’Union. L’UE devient l’Europe des « Dix-Sept ».

— Quelle hécatombe ! fait Claire. Dix retraits en moins de six mois.

— Les « Sept » exigent le retour immédiat de leurs contributions et menacent de rendre à l’UE tous les réfugiés qu’elle leur a imposés depuis 2015.

Dimitri attrape le quotidien Kommersant et montre à Claire une carte de la nouvelle Europe où la France et la Turquie sont légendées en vert Islam comme s’il s’agissait d’un seul et même pays.

— Paris et Ankara ont signé un partenariat qui a été annexé au traité de l’UE sous la forme d’un protocole additionnel, dit-il. Il concerne la Défense, les Affaires étrangères, l’Intérieur, la Justice et l’Éducation.

— L’Éducation ?

En unissant leurs populations dans tous ces domaines, la France et la Turquie atteignent 147 millions d’habitants et court-circuitent l’Allemagne dont le vote était, jusque-là, toujours majoritaire.

— L’entité France-Turquie dirige désormais l’Europe, conclut le diplomate. Du moins sur ces sujets !

— Mais pourquoi l’Éducation ? s’étonne Claire.

Dimitri appelle la serveuse et lui commande un petit déjeuner complet. Elle répète ses choix : des blinis au caviar rouge, une omelette au crabe, de la salade de betteraves, un jus d’orange et un thé. Dimitri la félicite pour son excellent français.

— C’est extraordinaire, dit-il. On se croirait revenu dans la Russie des Tsars ! La différence, c’est qu’aujourd’hui tout le monde parle français et pas seulement l’élite.

Moqueuse, Claire ne cache pas son scepticisme :

— Tu crois vraiment que ces deux businessmen, derrière nous, perdent leur temps à apprendre le français quand leurs affaires concernent l’Extrême-Orient ?

— Ceux qui échouent à leur examen linguistique biannuel sont lourdement imposés.

Il parie une bouteille de Dom Pérignon qu’ils sont capables de tenir une conversation élémentaire. Claire parie le contraire et, se retournant pour vérifier, elle demande aux deux hommes ce qu’ils pensent de la nouvelle Europe.

— C’est une très grosse idiotie, répond l’un d’eux dans un français plutôt bien construit.

— Ne pensez-vous pas, au contraire, que cette adhésion amènera de la stabilité en Europe et que les attentats cesseront ?

— Mais pas du tout, intervient l’autre avec moins d’accent mais beaucoup d’agacement. La Turquie va vous manger et vos enfants n’apprendront plus que l’arabe.

— Heureusement que les 146 millions de Russes que nous sommes avons décidé de sauver votre culture et votre langue, réagit le premier.

— Votre gouvernement vous y oblige, fait Claire.

— Dans un sens oui, admet l’autre, mais nous sommes fiers de restaurer le français qui a été pendant deux siècles la langue de nos élites.

Ils sont convaincus que même à Sakhaline le citoyen lambda parle la langue de Molière.

— Comme à Mourmansk et au Kamtchatka, renchérit le plus gros qui replonge son nez dans ses blinis.

— Nous sommes prêts à accueillir toutes les entreprises françaises dans notre grand et beau pays, ajoute son camarade et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver la culture française.

Claire les remercie pour leur soutien tandis que Dimitri la reconnecte à l’actualité géopolitique en lui faisant promettre d’oublier dans l’heure ce qu’il va lui montrer. Étonnée par le tour mystérieux que prend leur échange, elle promet. Il sort alors de sa mallette un manuel incluant deux couvertures : l’une en arabe qui s’ouvre de la gauche vers la droite, l’autre dans une langue que Claire ne parvient pas à identifier bien qu’elle soit écrite en alphabet latin.

— Qu’est-ce que c’est ?

— La version « garçon » du nouveau programme des écoliers de France, annonce le diplomate à voix basse.

Claire le feuillette gravement et constate consternée qu’il n’y a pas un seul mot de français.

— Cette autre langue, c’est quoi ? demande-t-elle.

— Du turc.

— Du Turc !

Elle est bouleversée d’entendre que le français sera supprimé de toutes les écoles primaires dès janvier mais émue d’apprendre que les Russes ont entrepris la construction d’un centre pédagogique susceptible d’accueillir, dans un premier temps, jusqu’à cinq mille enfants pour préserver la culture et la langue des petits Français âgés de cinq à dix ans.

— Nous sommes encore confrontés à de nombreuses inconnues, fait Dimitri. Les parents, accepteront-ils d’envoyer leurs enfants à Moscou ? Si oui, comment parviendrons-nous à les sortir de France ? La révélation du mensonge d’État entraînera-t-elle la révolte du peuple français ou accentuera-t-elle son assujettissement à ce régime ?

— Ils sont tellement attachés à leurs petites victimes qu’ils risquent de se réfugier dans le déni.

— La contre-offensive médiatique d’Al Misri discréditera encore davantage la Russie… C’est la seule chose dont nous sommes vraiment sûrs.

— Quand est-ce que vous lâchez votre scud ?

— Dans une semaine, dix jours au plus tard. Le temps de digérer l’adhésion de la Turquie pour être en mesure de comprendre que l’attentat du 22 mai était une effroyable supercherie.

— Quand je pense que les parents eux-mêmes ne me croyaient pas quand je suis venue leur annoncer que leurs enfants étaient en vie…

Deux jours plus tôt, à côté de Paris…

Les cinq enfants de la maternelle sont en forêt avec leur éducatrice Irina qui se fait appeler Irène. Elle a prétexté un empêchement de dernière minute pour échanger ses horaires avec sa collègue qui travaille de jour.

La forêt est attenante à la résidence présidentielle et s’étend sur plusieurs hectares. Les enfants portent chacun un panier pour ramasser des châtaignes qu’ils feront griller dans la cheminée du domaine. Ils sont très excités, d’autant qu’ils ne sortent pas souvent des limites de la propriété.

Alice est devenue Manon, Clémence, Juliette ; Jules, Maxence ; Arthur, Clément et Simon, Léo. Ils se sont tellement habitués à leur nouveau prénom qu’ils ne pensent plus à ceux qu’ils portaient avant l’attentat. Il leur arrive pourtant de réclamer leur maman, au moment du coucher. Ils ont déjà bien marché quand un van s’approche lentement et leur coupe la route. Deux hommes sautent à terre, neutralisent le garde du corps qui les suit en permanence et les font monter dans l’Espace.

— On va où ? demande Arthur un peu inquiet.

— Nous allons retrouver vos parents, annonce la jeune Russe en leur distribuant leur goûter.

Les enfants sont fous de joie.

— Un jet nous attend sur le petit aéro-club de SaintCyr l’École, fait le chauffeur en russe, tous les accès ont été obtenus.

Au même moment, à Paris…

Un bus à deux étages aux vitres teintées se gare devant le domicile des parents du petit Arthur, avenue de Suffren. Claire s’assure que les paparazzis ont bien été appelés ailleurs et monte au deuxième. Une enfant lui ouvre.

— Tes parents sont là ? demande Claire.

— Ben oui, c’est dimanche fait la petite fille. Vous êtes journaliste ?

Une voix retentit depuis le salon :

— Aude, on t’a dit mille fois de ne pas ouvrir !

La mère surgit, les traits tirés.

— Ah non ! On n’en peut plus des journalistes. Laisseznous tranquilles pour l’amour de Dieu ! Vous n’avez donc aucune pudeur ?

Claire sort sa carte des services secrets français.

— Me permettez-vous d’entrer ? demande-t-elle.

— Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin !

— Vous parler, c’est très important.

Lasse, la mère finit par l’accueillir au salon. Le père qui travaillait sur son ordinateur s’approche. La petite fille qui a ouvert la porte s’installe entre eux sur le sofa.

— Avant de commencer, dit Claire en déclinant sa fonction et son identité, je dois savoir de quels outils de communication vous disposez et leur nombre.Le père s’énerve.

— Mais enfin, de quoi s’agit-il ?

— De la survie de votre fils Arthur. Vous devez déposer dans ce sac tous vos outils de communication : PC, tablettes, portables…

Le père sort de ses gonds :

— Notre fils est mort, c’est quoi cette plaisanterie ?

Sa femme le calme et demande d’une voix tremblante :

— Mon Arthur est en vie, c’est ce que vous êtes venue nous dire, n’est-ce pas ?

Claire hoche la tête et la mère court aussitôt ramasser tous les ordinateurs, portables, tablettes, y compris ceux de sa fille qu’elle dépose dans le sac.

— Cela vous évitera d’être tentés d’appeler une grand-mère, un frère, une amie quand vous comprendrez que votre enfant est sain et sauf et qu’il est gardé avec les quatre autres dans la résidence présidentielle de La Lanterne depuis le 22 mai.

— J’ai toujours su qu’il était en vie, dit la mère en sanglotant. Je voulais qu’on fasse ouvrir le cercueil mais mon mari s’y est toujours opposé. Parlez, je vous en prie.

Claire prend une profonde respiration et commence. Le faux attentat, l’évacuation des cinq enfants par les services de l’Élysée, les nouveaux prénoms, le jeu pour eux, le drame pour la nation et ce ministre islamiste…

— Vous avez été les victimes d’un mensonge d’État.

Le père est pris d’une crise de rage. Sa fille essaie de le calmer. La mère, elle, reste concentrée :

— Continuez ! Dites-nous ce que nous devons faire.

— À l’heure qu’il est, les forces spéciales russes sont en train d’exfiltrer les cinq enfants. Ce soir, si tout se passe bien et si personne n’a parlé, ils seront à Moscou sains et saufs. De mon côté, je me charge de rassembler toutes les familles pour organiser leur évacuation vers la capitale russe, juste les parents et les enfants, et ce, afin que le gouvernement français ne vous utilise pas pour servir sa contre-offensive médiatique quand les Russes révéleront ce qui s’est réellement passé.

— Vous allez donc en parler, s’excite la mère. Vous allez dire au monde entier ce qu’ils nous ont fait ?

— Le président russe adressera un message à toutes les nations pour dénoncer le plus effroyable mensonge d’État que l’Histoire ait connu.

— Oh merci ! Merci ! crie-t-elle en embrassant les mains de Claire. Mais mon Arthur, comment va-t-il ?

— Il est trop petit pour se rendre compte de quoi que ce soit et avec son nouveau prénom, il croit participer à un jeu. Nous ne pensons pas que les enfants soient traumatisés, même s’ils réclament leur maman le soir avant de se coucher.

Claire montre une vidéo des enfants à La Lanterne, dans le jardin, durant les repas, pendant le coucher… L’émotion des parents est à son paroxysme. Le père qui a cessé de s’énerver se demande comment l’État a osé leur faire subir une telle torture mentale.

— Si votre douleur n’avait pas été authentique, le mensonge n’aurait pas fonctionné et Al Misri n’aurait jamais pu être imposé par le président.

— Le président collabore depuis le début avec ces islamistes ?

— Depuis le début. Aucun membre de son ancien gouvernement n’a trempé dans la combine. C’est une opération qu’il a menée seul avec une équipe réduite.

Claire leur demande de préparer quelques affaires pendant qu’elle se charge des outils de communication. Sur place, à Moscou, tout leur sera fourni, jusqu’aux sous-vêtements. Le plus important est de prendre les médicaments qui leur ont été prescrits et les ordonnances.

— Là, c’est simple, fait le père. Nous tenons tous grâce aux antidépresseurs.

— Et j’aurai besoin de votre aide pour convaincre les autres, dit Claire à la maman d’Arthur qui se prénomme Gaëlle. Vous avez toujours été celle qui n’a pas cru à la mort de son fils. Vous m’épaulerez car ce ne sera pas facile. Ne rien changer dans leur humeur. Personne ne doit se douter. Ils recevront de faux papiers et décolleront de l’aéroport de Vatry qui se trouve à une heure trente de Paris. Ils prendront un avion russe qui dépend d’une filiale d’Aéroflot. Ils seront les seuls à bord. Mais jusqu’à l’embarquement l’attitude de l’un ou de l’autre peut tout faire échouer. Claire restera avec eux jusqu’à Moscou.

Ils sont les premiers à monter dans le bus. Une psychologue les prend en charge. Une hôtesse leur sert une collation. Un médecin est présent et deux maquilleuses-costumières attendent les ordres pour passer à l’action. Les Russes ont exigé une métamorphose temporaire complète car leurs visages sont connus de tous les Français.

Quand les cinq familles sont enfin à bord, que Claire s’est épuisée à récupérer les outils de communication que personne ne voulait remettre, que la maman d’Arthur a aidé à convaincre de l’existence bien réelle de leurs cinq enfants, qu’ils ont perdu du temps à montrer des vidéos de La Lanterne, que les émotions ont été partiellement maîtrisées, que les opinions négatives à propos des Russes ont été dépassées, les costumières peuvent commencer le grimage. Elles ont prévu des habits pour chacun, des perruques, des moustaches, des barbes, des lentilles decontact. Les vêtements personnels sont consignés dans des valises et seront remis pendant le vol.

Certaines mères ont l’impression de revivre la mort de leurs enfants. Les pères ont envie d’alerter la presse. Claire est là pour les calmer, assistée par les deux psychologues et le médecin. Jusqu’au décollage de l’appareil, les organisateurs ne sont pas tranquilles, en particulier dans la salle d’embarquement du petit aéroport. Ils suivent les parents et les enfants jusque dans les toilettes. Gaëlle surprend la maman d’Alice, suppliant un passager de lui prêter son portable. Elle l’empêche d’appeler.

— Tu veux tout faire foirer ? lui demande-t-elle ? Tu veux que nos enfants se fassent vraiment assassiner ?

— Je veux juste appeler ma mère ! insiste l’autre.

— Mais tu ne comprends pas qu’à la moindre information nos enfants seront en danger ?

— Ma mère ne parlera pas !

Et ces épisodes se multiplient jusqu’à l’embarquement. Claire attend que l’indicatif lumineux des ceintures de sécurité se soit éteint, quelques minutes après le décollage, pour souffler. Elle confie à Gaëlle :

— Sans vous, je n’y serai pas arrivée.

Les costumières les démaquillent et leur rendent leurs habits. Le médecin distribue des calmants mais la plupart préfèrent se régaler à l’avant de l’appareil dans un espace aménagé en salon VIP.

Ils viennent d’atterrir quand Claire reçoit un appel de Dimitri lui annonçant que les cinq enfants sont sains et saufs et s’amusent dans la salle de jeu de la résidence où les familles seront logées. Elle en informe les parents qui ne cessent de remercier la Russie. L’une des mères s’agenouille et embrasse le sol russe, une autre s’évanouit d’émotion. L’opération d’exfiltration a réussi même si l’un des pères a risqué leur vie en envoyant à ses proches un SMS qui les a tous inquiétés : « Myriam, Chloé et moi partons rejoindre Jules ». Croyant qu’il planifiait un suicide collectif, ils ont prévenu la police qui les a cherchés en vain, tandis que les paparazzis échafaudaient toutes sortes de scénarios macabres sur la disparition des cinq familles.

Claire est furieuse contre ce père irresponsable et égoïste. Arnaud lui demande, par téléphone, d’être indulgente mais elle n’en a nulle envie. Elle s’abstient juste de ne pas lui faire la morale devant les autres.

— Ce que vous avez fait était stupide et égoïste, lui dit-elle après la vérification des passeports par les autorités. Votre SMS envoyé depuis Paris a alarmé vos proches qui ont cru que vous alliez mettre fin à vos jours. Votre téléphone a été localisé dans une poubelle devant chez vous.

— C’est là que je l’ai jeté, avoue-t-il, la suppliant de ne rien dire aux autres de peur qu’ils ne lui pardonnent pas.

— Et nos ordinateurs ? s’inquiète la maman d’Alice.

— Tous vos outils de communication vous seront remis quand vous serez réellement en sécurité dans votre nouvel immeuble, gardé vingt-quatre heures sur vingt-quatre par les forces spéciales russes et où vos enfants vous attendent, fait Claire.

Laisser un commentaire

Votre commentaire sera publié apres contrôle.



Soyez le premier à commenter