Guerilla – Tome 3: 27-31

– 27 –

La vie est l’attente de la mort.
— Alcuin

PARIS, LE TRENTE-DEUXIÈME JOUR,
23 HEURES.

Le tueur avait fait un feu dans la vieille cheminée. Il se préparait mentalement à son dernier combat. Il était calme, peut-être un peu frustré. Pas vraiment de s’être fait coincer dans cette souricière, ça devait arriver. Plutôt de ne pas avoir pu tuer le propagandiste de ses mains. Akoniti, disaient les Grecs. Vainqueur sans poussière. Vainqueur par forfait. Ce n’était pas par la décision honorable de sa proie. Celle-ci n’avait du reste plus la moindre importance. Un tigre dédaigne toujours la charogne.

Assise dans un coin du réduit, la gamine se tenait les yeux fermés, marmonnant quelque chose.

« Que fais-tu ? » demanda Gite.

La fillette ouvrit les yeux.

« Tu vas te moquer ?

— Non.

— Je prie.

— Tu pries qui ?

— Jésus. »

Gite ne disait rien.

« Pour qu’il aide les gentils, se justifia la gamine, et pardonne les méchants. »

Elle se signa.

Fusil à la main, Gite observait la rue à travers le rideau métallique. La lumière aveuglante des projecteurs braqués sur eux.

« Et toi, demanda-t-elle, tu pries qui ? »

Du côté des Liquidateurs, tout semblait calme. Aucun mouvement à signaler.

« Je ne prie pas. »

Cette réponse étonna la fillette.

« Tu ne crois pas en Dieu ?

— J’aimerais. J’ai essayé.

— Mais comment tu fais ?

— Comment je fais ?

— Quand quelque chose ne va pas. »

Gite ne sut que répondre.

« Tu sais, reprit la fillette, tu devrais essayer encore. Tu tues des gens, c’est très mal. Jésus il ne va pas aimer ça. »

Gite s’éloigna des rideaux. La lumière zébrée des projecteurs glissa un instant sur lui.

« Peut-être. Mais je ne suis pas Jésus, ma parole et ma volonté ne suffisent pas. Je n’ai pas d’autre moyen d’empêcher les méchants de faire le mal. »

La gamine hocha les épaules.

« Moi je le fais en priant. »

Le tueur avait souri, l’espace d’une seconde.

« Et ça marche ?

— Je crois.

— Tant mieux. »

Gite vint s’asseoir auprès du feu.

« Tu vas encore tuer des gens ? » demanda-t-elle en montrant le dehors.

Il sortit du sac une ration de nourriture, et la lui tendit.

« Si ce n’est pas moi, déclara-t-il, d’autres le feront. La guerre est comme moi une bête, tapie dans l’ombre et qui attend son heure. Toujours elle reviendra. »

Les minutes passèrent et la gamine s’affaissa sur sa couche et s’endormit. Les heures passèrent, le vent souffla au-dehors et le feu s’éteignit. Et Vincent Gite ne dormait pas.

À l’orée du périmètre de sécurité, côté Scar et Liquidateurs, on hésitait encore. Certains pensaient que le tueur pouvait avoir conservé une grenade défensive. Il en avait à l’Assemblée, il lui en restait aumoins une à Vincennes. S’il se pulvérisait avec la fillette, et quelques agents au passage, ce ne serait pas du meilleur effet.

Pour l’instant, les médias se contentaient de faire monter la pression, de battre le rappel du public France. Escard commanda d’agir au petit matin, après le couvre-feu, quand un maximum de gens seraient devant leur écran. Il reviendrait à Buvard d’ordonner l’assaut.

En attendant, le régime remporta une première victoire : Jarvis, le jeune surdoué de la chambre de force, parvint à localiser la fameuse cellule clandestine, qui piratait une fréquence derrière plusieurs VPN.

« L’organisation » était un gamin de quatorze ans, fils désœuvré d’un officier de la Scar, émettant depuis sa chambre en trafiquant sa voix… La descente de Liquidateurs en force, sous l’œil des caméras, ne constitua pas une séquence exploitable. Le régime se contenta d’une sobre annonce, informant la population que l’émetteur fasciste venait d’être détruit et ses commanditaires arrêtés.

La psy fut amusée par l’idée. Un peu moins par le fait que le gamin fut convaincu de crime de haine verbale, ce qui excluait toute circonstance atténuante ou excuse de minorité. Les quatre chaînes dénonçaient ce commerce avec le pire, et promettaient à d’éventuels sympathisants des châtiments « historiques ».

– 28 –

Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté
et violence, je conseillerais la violence.
— Gandhi

ROISSY, LE TRENTE-TROISIÈME JOUR,
3 HEURES.

Sur l’insoupçonnable base militaire de Roissy, les mutins attendaient leur moment. Les moyens étaient limités, mais le plan du général fort simple : utiliser leur force de frappe et la zone d’exclusion au nord de Paris pour prendre d’assaut le cœur du gouvernement, l’immeuble du Pouvoir et le ministère des Émissions. Si l’armée régulière se trouvait ainsi privée de tête, elle ferait probablement défection.

« D’après mes informations, expliqua l’officier supérieur, cette zone est bien sécurisée. Mais si nous parvenons à détruire leurs studios, le régime n’aura plus de voix. Les Liquidateurs ne sont pas nombreux, la troupe loyale non plus, il y a trop de points névralgiques à sécuriser en province. En frappant aussi le Califat, les camps loyaux, et en bloquant les voies de circulation, la désorganisation sera totale. Si on plonge le pays dans le noir, on peut espérer un soulèvement spontané contre la Vigilance citoyenne. »

L’armement était intéressant. Un hélicoptère Caracal, trois canons CAESAR, un AMX AuF1, quelques blindés. Une troupe solide, plusieurs régiments de la 9e RIMa – spécialisée dans les raids blindés et combats urbains –, dont le 2e RIMa et le 11e RAMa, acquis à leur chef. Sans parler de quelques autres officiers bien placés pour entraîner une partie de l’armée régulière dans l’opération. Le capitaine Danjou voulait avant tout récupérer son sergent, faire la guerre à l’armée d’occupation. Il ne se faisait guère d’illusions. Ils n’auraient pas de quoi renverser le pays. Juste les moyens de prolonger leur folle résistance.

« On ne peut pas compter sur la population, disait Danjou. Jamais. Se battre pour la France, c’est presque toujours se battre contre les Français. Les saints se battent avant tout contre eux-mêmes… »

À la télévision, les heures passaient, la rue Emma Watson restait déserte, dans la lumière crue des puissants projecteurs, sans la moindre animation. Il fallait meubler. Pendant un bref intermède, la dirigeante de l’association Fat and Furious, représentant d’ordinaire les « personnes victimes d’obésité systémique », invitait les Blancs à la « flagellation généalogique ».

« Petit blanc, disait-elle d’un ton intime, rappelant les émissions nocturnes de psychanalyse. Ton père a forcément été oppresseur. Par ta perpétuation de lui, tu accomplis son œuvre mauvaise. Veux-tu donner au monde un futur Vincent Gite ? Ne plus se reproduire, laisser sa place, c’est faire sa part du travail. Qui es-tu pour l’ignorer ? Comment oses-tu l’ignorer ? Occupe-toi maintenant de détruire ton héritage. »

Les officiers échangèrent un regard consterné.

« Quand bien même la population serait à bout, fit le capitaine. Il y a toujours ça… »

Il désignait l’écran de tout son mépris. Le général hocha la tête.

« Tous les moyens de communication sérieux sont détenus par l’usurpateur. C’est un fait. Tant qu’il maintient les cerveaux enfoncés dans cette boue numérique, nous n’avons aucune chance. Les émissions pirates, c’est trop risqué, vous l’avez vu. Ce serait nous livrer… Non, ce ne sera jamais le bon moment… Il nous faudrait… quelque chose. Un élément déclencheur. Et comme il n’arrivera pas, nous tenterons de nous y substituer, vous et moi. J’ai bien conscience que c’est de la folie. Mais vous savez, j’ai toujours tout accepté. J’ai accepté toute la folie des autres. Et c’est pour ça que nous avons perdu.

Parce que nous avons renoncé, avant même d’essayer. D’oser dire non.

J’ai accepté. C’est bien le mot. Accepté l’invasion. Accepté de voir parader sous mes fenêtres des gens à poil avec des plumes dans l’oignon. Accepté d’applaudir ma disparition. Accepté tout ce que la télé m’a imposé. Tout ce mépris, cette haine à mort de ce que nous sommes. Et les impôts, la Vigilance, les petits flics, cet enferquotidien… Nous l’avons tous accepté. Est-il encore un homme en ce pays pour ne pas en faire autant ? »

– 29 –

Les principes sont les principes,
dussent les rues ruisseler de sang.
— Rudyard Kipling

PARIS, LE TRENTE-TROISIÈME JOUR,
9 HEURES.

La France était devant sa télévision. L’homme en uniforme noir approchait la planque en longeant les murs. Il était seul. Le tueur le guettait à travers le rideau métallique.

« Petit gendarme, murmura-t-il, ils t’envoient à moi. Toi, ta routine, ton entraînement et tes armes. Tes espoirs de récompenses et ta ferveur inutile… Ton sens du devoir et ta famille si fière de toi. Tu ne sais pas. »

L’homme de la Scar s’immobilisa à une dizaine de mètres, reprit son souffle.

« Tu ne sais pas ce que je suis, continua Gite, ni ce que je sais faire. »

L’autre fit signe à son dispositif, puis regarda vers la planque.

« Je suis le négociateur ! gueula-t-il. Je ne suis pas armé. »

Il tourna lentement sur lui-même, les bras en l’air, puis exhiba son talkie-walkie, comme pour prouver ses dires. Gite garda le silence.

« J’avance », lança l’homme, les bras en l’air, talkie brandit bien haut.

Il se présenta devant la planque et ce fut comme si la planque le recracha, le négociateur volant en arrière dans le nuage de son sang et des lambeaux de vêtements, le talkie tournoyant dans les airs et retombant sur place. Gisant désarticulé sur la chaussée, le corps eut un spasme, le cerveau commanda de l’air aux poumons, mais les poumons n’existaient plus.

« Je crois qu’il y a un problème », dit une voix dans le talkie.L’homme était mort, percé de neuf grains de chevrotine entre le sternum et la gorge. La censure mit cinq bonnes secondes à flouter le corps. Il y eut du mouvement côté Liquidateurs, et Gite s’éloigna du rideau.

« Tu l’as tué, souffla la fillette du fond de la pièce. Tu l’as tué.

— Je n’avais pas demandé de négociateur. »

Gite éjecta la cartouche vide, réarma, en glissa une autre dans le magasin.

« Il voulait juste parler, le monsieur. Et tu l’as tué. »

La gamine se tenait assise dans un coin sombre du réduit, entre des piles de vieux cartons.

« Oui, fit Gite en s’asseyant auprès d’elle. Ils voulaient un signe de vie. Je leur donne ce qu’ils attendent. Une bête féroce qui sème la terreur. Pourquoi crois-tu qu’ils mettent tout ce temps ? Ils font monter le suspense. C’est bon pour l’audience. Et vois-tu, c’est un mauvais calcul. Le jeu est trop déséquilibré. Qui pourrait se ranger passionnément du côté des hommes ? En secret, on a envie que la bête gagne. Parce qu’on a soif de mystère. On voudrait que parfois la réalité perde. Et pourtant elle tuait des enfants. »

La petite réfléchissait.

« Toi, tu ne tues pas d’enfants.

— Non, seulement des gens qui ne sont pas adultes.

— Mais pourquoi tu fais ça ? »

Ce fut à Gite de réfléchir.

« Et pourquoi ne le ferais-je pas ? En vérité, je n’ai le choix de rien. Es denkt in mir… Das ich ist nicht Herr im eigenen Haus.

— De quoi ?

— Je ne m’appartiens pas. Je fais ce que j’ai à faire. Ne t’attache pas à moi. Je ne suis pas un nom, je ne suis pas un homme, ni ce visage que tu vois. Je suis un principe. »

La gamine semblait triste.

« Moi je t’aime bien quand même.

— Je sais. C’est une maladie. Avec lui, vous êtes deux. »

Gite regardait le chien, de nouveau assoupi au milieu de la pièce.

Des bruits d’agitation leur parvenaient de la rue. Le dispositif d’assaut se mettait en place.

« Ces hommes, tu vas les tuer ?

— Sûrement pas. Ce sont eux qui vont me tuer. C’est leur métier. Ils vont patienter encore un peu, et puis m’abattre. Et on montrera mon corps au pays comme un trophée.

— Tu vas les laisser faire ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Je te l’ai dit, je n’ai pas le choix. Je suis seul, coincé là, avec un mauvais fusil. C’est l’inéluctable de l’Histoire. Eux non plus ne sont maîtres de rien. Personne ne l’est. Pas même l’État. Donc ils vont jouer leur rôle, et je dois tenir le mien.

— Et moi ?

— Toi ils ne te feront rien. Ceux qui te sauveront de moi seront héroïques. On prendra soin de toi. Tu retrouveras ton père. »

Cette perspective n’enchantait pas la gamine.

« Et le méchant journaliste ?

— Il ne se servira plus de toi. Peut-être que d’autres le feront, mais ça n’a plus d’importance.

— Tu l’as tué ?

— Non. Une fille l’a tué. »

La petite était stupéfaite.

« Une fille, ça peut tuer ? »

Gite hocha la tête.
« Ça peut se faire tuer aussi, si ça n’écoute pas les grandes personnes.

— Et toi tu vas te laisser tuer ? Tu vas me laisser toute seule ? »

Gite ne répondit pas. La gamine fronça théâtralement les sourcils, baissant la tête derrière ses bras croisés, pour bien montrer à quel point elle boudait.

« N’aie pas peur, petite. La peur a une odeur. Les prédateurs peuvent la sentir. Et tu sais la mort n’a pas d’importance. L’important est ce que l’on est. Un loup mort vaut toujours mieux qu’un chien vivant. Ne l’oublie pas. »

La fillette redressa la tête, son visage s’illumina.

« Tu ne m’as pas raconté la fin de l’histoire. Celle de la bête. Tu avais promis. »

Gite esquissa un sourire, qui s’évanouit aussitôt.

« Où en étions-nous ?— Au chasseur du roi.

— Le chasseur du roi, oui. Antoine. Eh bien il s’est rendu au pays des longs hivers, en Gévaudan, il a organisé d’immenses battues, avec beaucoup d’hommes, et de chiens. Les gazettes de l’époque ne parlaient que de ça. On en parlait même dans les pays voisins. Juste après la guerre de Sept Ans, Louis XV, le roi de France mettait en jeu sa crédibilité, c’était un pari risqué. Tu imagines, le souverain le plus puissant du monde, tenu en échec par une sorte de bête ? Il promit six mille livres de récompense à quiconque l’abattrait et ramènerait sa dépouille. À l’époque, une somme énorme. Et finalement, lors d’une de ses battues, dans le bois de l’abbaye des Chazes, Antoine et un gardechasse ont tué un énorme loup. Certains témoins y ont vu la bête. Antoine l’a fait embaumer et l’a présenté à la cour du roi, à Versailles.

— Et c’était vraiment la bête ?

— C’est ce qu’on croyait. Ce qu’on a fait croire. Après quelques jours d’accalmie, les attaques ont repris. Mais je vais devoir arrêter là : je crois que les voilà. »

Deux colonnes de Liquidateurs, casqués, équipés de fusils d’assaut, approchaient le long des murs, derrière de lourds boucliers Ramsès. Gite se leva.

« Alors adieu, petite. Adieu. Voilà les chasseurs du roi. Sois sans crainte. Quelqu’un d’autre te racontera la suite. Ferme les yeux et compte jusqu’à cent. »

La gamine ferma les yeux très fort et se mit à compter à haute voix, comme pour jouer à cache-cache, ou conjurer le sort. Dans un fracas énorme, le rideau de fer se désintégra. La gamine hurla. Plusieurs grenades incapacitantes tombèrent dans la pièce. « Force-K ! Force-K ! »

Et les grenades explosèrent, aveuglantes, assourdissantes.

– 30 –

La vie d’un homme entre ciel et terre
passe comme le saut d’un poulain blanc
franchissant un fossé : un éclair et c’est fait.
— Zhuangzi

PARIS, LE TRENTE-TROISIEME JOUR,
10 HEURES.

La France entière scotchée à ses écrans.

« L’opération est une réussite ! » tonna un officier. On vit la fillette, indemne, entourée par les Liquidateurs, menée jusqu’à leur dispositif où caméras et médecins l’attendaient. Un commentateur égrenait les accusations de maltraitances et d’actes infâmes dont elle fut l’objet.

« Ne lui faites pas de mal ! cria-t-elle au milieu des visages souriants. Il n’a pas été méchant avec moi… »

Elle fut aussitôt interrompue par un médecin.

« Elle est en état de choc, vous comprenez. Il va lui falloir beaucoup de temps. »

On vit d’autres Liquidateurs sortir de la planque, puis d’autres encore, et enfin une petite équipe portant un corps sous un drap blanc. Le silence se fit. La bête était là. C’en était donc fini de Vincent Cite.

Le témoignage du commandant de l’assaut fut tout particulièrement attendu. Les journalistes se bousculaient devant lui.

« Tout s’est passé comme prévu. Force est restée à l’État. Nous savions qu’il ne se laisserait pas prendre vivant, et notre priorité était de sauver l’enfant. C’est chose faite. Pour elle, le calvaire est terminé. Elle va enfin retrouver son père. »

Les flashs crépitèrent.

« Peut-elle nous parler ? » demanda un journaliste.

« Non, répondit le commandant, la priorité est de prendre soin d’elle. Nous avons dû tirer des grenades incapacitantes. Elle a été enlevée voici plus d’un mois, elle a subi des sévices particulièrement traumatisants, ainsi que vous pouvez l’imaginer. Les médecins doivent d’abord l’examiner. »

On voulut savoir comment Vincent Gite était mort.

« Mes hommes n’ont pas fait usage de leurs armes létales. Au moment de l’assaut, le terroriste s’est tiré une balle dans la bouche. Fidèle à lui-même : lâche jusqu’au bout. »

Buvard apparut à son tour. Resté longtemps dans l’ombre du réduit, il refusa d’un geste les questions des journalistes. On diffusait déjà une photo du suicidé, de ce visage aux yeux mi-clos, reconnaissable mais distordu par la mort, gisant dans son sang et sa cervelle.

En larmes, la fillette voulut voir le corps. On tenta de l’en dissuader, et les médecins l’emmenèrent. On parla de syndrome de Stockholm, et puis elle et le corps furent convoyés jusqu’à l’immeuble du Pouvoir, dans deux ambulances, au milieu d’un imposant dispositif de blindés légers.

– 31 –

Sois le maudit et non le maudissant.
— LeTalmud

ZONE GRISE,
LE TRENTE-TROISIÈME JOUR,
11 HEURES.

« Enfin ! s’exclama Jeanine en terminant un biscuit lyophilisé, seule dans son salon, avant de remettre son masque. Ce cauchemar est fini ! »

Dans tout le pays, le bon citoyen disait son soulagement. Pour l’occasion, on autorisa même quelques regroupements, sur les places et dans les cafés, y compris dans la Zone grise. L’occasion pour certains de dire toute leur haine de l’extrême droite, en espérant que les oreilles de la vigilance prennent acte de ce zèle.

Au pire, on admettait à voix basse que la situation restait difficile et que le régime n’était pas très net. Mais il fallait toujours condamner les actes de Vincent Gite. Mieux valait en faire beaucoup trop que pas assez.

Quand Cédric se laissa aller à son amertume, en parlant de cirque et de mise en scène politique, Alice elle-même le reprit.

« On ne peut rien cautionner de ce que ce type a fait. Tu sais que ce n’est pas la solution. Il méritait bien d’y passer. Pour le coup j’aurais pu l’abattre moi-même. »

Et Cédric, comme tous les sceptiques, acquiesça et garda le silence.

Un sondage national disait la population à 78 % « très satisfaite » de l’élimination de Vincent Gite, 19 % des répondants s’estimant seulement « satisfaits », « à condition d’éliminer rapidement ses complices ». La cote de popularité d’Escard battait de nouveaux records.

Peu à peu, tout le monde évacuait la rue Emma Watson. Les journalistes interrogeaient encore quelques riverains, disant tout leur effroi d’avoir frôlé de si près la trajectoire du monstre.

« Ça aurait pu être moi », assura un vieil homme, sans qu’on sache au juste de quoi il parlait.

Hormis Laurent Buvard, dont les maux de ventre atteignaient des sommets, personne ne faisait attention à ce berger australien qui se tenait assis devant la planque. Quand tous les Liquidateurs, journalistes et techniciens eurent quitté les lieux, le chien restait là. Et Buvard fixait ce chien.

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