Chroniques du Grand Effondrement [1-2]

Dans le premier quart du XXI ème siècle, la France dut affronter un triple défi : économique, social et  dentitaire. La grave récession provoquée par la crise de 2008 entraîna un affaissement de structures socio- économiques déjà fragilisées par la globalisation, l’explosion des déficits publics et une paupérisation sans précédent des classes moyennes.

Cet affaiblissement fut mis à profit par le Califat islamique enraciné au Proche-Orient pour multiplier des  vagues d’attentats en France et pour soulever la jeunesse radicalisée des banlieues. Les violentes émeutes urbaines de 2018, difficilement réprimées par l’intervention de l’armée, plongèrent le pays dans la  sidération et le désarroi alimentant en réaction la mouvance identitaire.

L’effondrement du tourisme et des investissements étrangers entraîna une dégradation de la dette française par les agences de notation. En janvier 2019, Fitch Ratings déclara à la City :«   En l’absence de croissance, cette dette représente le niveau insoutenable de 400 % du PIB en réintégrant les engagements hors bilan comme les retraites.   » La spéculation financière qui suivit ne fut endiguée que grâce à l’intervention  massive du FMI : une aide conditionnée à l’adoption par ordonnance d’un plan de rigueur draconien appelé Lois temporaires de sauvegarde nationale.

Ce plan ouvrit la période spéciale imposant des licenciements massifs dans la fonction publique, la hausse drastique de la fiscalité, la suppression de la plupart des aides sociales, hormis celles aux réfugiés, la  privatisation de l’assurance maladie, le gel des salaires et des retraites. Ces lois autorisèrent également le nantissement des biens publics pour garantir la dette, la création dans les quartiers à vocation touristique de zones sécurisées avec accès réglementé.

En 2028, l’Union européenne s’était dissoute, la France vivait depuis déjà neuf ans en période spéciale et  Paris était une ville duale partagée entre un centre historique devenu une vitrine touristique luxueuse où habitaient les privilégiés et d’immenses banlieues rongées par l’islamisme radical et le crime.

Précis d’histoire contemporaine, tome VII, Clio Éditeurs

CHAPITRE 1

Cela faisait deux jours qu’un vent glacé venu du nord balayait le pays. Un blizzard qui avait traversé des continents congelés avant de précipiter des déferlantes sur les côtes de l’Arctique, s’engouffrant entre Orcades et Shetland, drossant une houle grise sur les côtes de Frise pour débouler dans les Flandres et les plaines picardes où plus rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Ce vent atlantique pénétra l’immensité  périurbaine en faisant frissonner les nombreux SDF du boulevard Barbès. Puis il passa l’octroi Lafayette pour s’engouffrer boulevard Haussmann et n’eut aucun mal à transpercer le blouson d’un grand blond aux cheveux en brosse pour venir, telle la lame d’un couteau, lui glacer les omoplates.

Alex alluma une cigarette pour se réchauffer. Ses doigts étaient jaunes de nicotine. Chaque matin, il calait sa puissante musculature au fond du siège, jambes légèrement écartées, l’avant-bras gauche sur le rebord de la portière, le poignet pendant à l’extérieur avec au bout son poing capable de broyer des crânes.

— Tu prends le look patrouille, le charriait Lucas.

Le look patrouille   ! Qu’est-ce qu’il en savait Lucas   ? Ce qu’il appelait look c’était une question de vie ou de mort. Fallait que la racaille se dise : ces mecs-là, mieux vaut pas les chercher.

Plusieurs attentats avaient touché le pays depuis le début de l’année : des actions coordonnées menées par des groupes kamikazes très mobiles qui semaient la mort autour d’eux avant d’être abattus par des  commandos de l’armée ou de la police. Partout, les consignes de vigilance avaient été renforcées.

La Peugeot se gara rue de la Chaussée d’Antin. Les mains dans les poches, Alex fixait d’un air maussade la foule qui entrait aux Galeries Lafayette. Soudain son visage s’anima et il se tourna vers Lucas.

— Hier, Belleville était noire de monde. J’ai levé une métisse du tonnerre… vraiment du tonnerre.

— Tu penses vraiment qu’à ça, Alex.

— Tant que je peux, j’en profite. Pourquoi j’enprofiterais pas   ? Tu peux me dire? Tu crois que je vais attendre d’être grabataire?

Des touristes chargés de sacs rejoignaient leurs hôtels. Le crépuscule tombait déjà sur la ville lorsqu’une Volkswagen Passat s’engagea rue de la Victoire et s’immobilisa devant la Grande Synagogue : un lieu où il était formellement interdit de stationner pour des raisons évidentes de sécurité. Dans la tête d’Alex, un voyant se mit à clignoter comme un warning sur un tableau de bord.

Le conducteur ne sortait pas.

Alex se dirigeait vers la Passat quand une explosion souffla le véhicule. Une giclée de lumière aveuglante dilata ses pupilles. La carcasse du véhicule monta à une dizaine de mètres du sol comme arrachée par la main d’un géant invisible. Il eut juste le temps de se jeter dans le renfoncement d’un immeuble pour éviter l’effet de souffle. Les dernières images qui imprimèrent sa rétine furent la tête d’une femme décapitée et le haut d’un torse enfoncé par la déflagration.

Quand il reprit connaissance, le visage de Lucas était penché sur lui. Une puissante odeur d’explosif et d’essence lui brûlait les yeux et les muqueuses.

— Ça va Alex? On peut dire que t’es pas passé loin cette fois-ci.

La rue ressemblait à une zone de guerre : des blessés graves par dizaines, des membres arrachés, des gémissements de corps agonisants, des formes animées de convulsions. Des sirènes de police et d’ambulances convergeaient vers les grands magasins.

Alex se releva. Il n’avait rien. Le quartier venait d’être bouclé quand la radio annonça plusieurs attaques  simultanées dans la capitale : une brasserie de la rue de Lappe avait été mitraillée laissant une dizaine de cadavres sur le pavé   ; une école juive du onzième arrondissement avait été prise pour cible par des terroristes lourdement armés tuant une trentaine d’enfants à l’heure de la sortie. Mais l’attaque la plus grave était encore en cours rive gauche.

Ils reçurent l’ordre de rejoindre la rue de Lille. Un kamikaze avait déclenché sa ceinture d’explosifs devant le Musée d’Orsay tuant lesvigiles et plusieurs touristes et ouvrant la voie à une douzaine de terroristes qui avaient investi le musée aux cris de Allahu Akbar.

La cohue était indescriptible autour du bâtiment. Des policiers, arme au poing, progressaient en se cachant derrière les voitures pendant que des rafales retentissaient depuis le hall du musée. Aux premières salves, rapprochées, succédaient des déflagrations ponctuelles, sourdes. Les abords du musée étaient en cours d’évacuation, des Chinois ébahis se retrouvaient nez à nez avec des policiers qui les braquaient en leur criant de «foutrele camp».

Les riverains avaient reçu l’ordre de s’enfermer, les bars, de baisser leurs rideaux métalliques. RAID, GIGN, BRI, commandos militaires : tout ce que le pays comptait d’unités spéciales convergeait de manière chaotique vers le musée. Des colonnes casquées progressaient en longeant les façades. Un cordon de  sécurité avait été mis en place, mais derrière le bandeau jaune se massait déjà une foule de curieux, smartphone à la main, prêts à immortaliser l’assaut imminent des forces de l’ordre. Des policiers en tenue leur demandaient de se mettre à l’abri… “Reculez, il y a des tireurs sur les toits”… Pompiers et ambulances
arrivaient par dizaines. Un hôpital de campagne s’improvisa rue de Solferino devant le siège du Parti socialiste.

À l’intérieur du musée, les otages vivaient un véritable cauchemar. Les tueurs tiraient dans la foule à l’arme de guerre, s’arrêtant juste pour recharger. Certains achevaient les blessés à l’arme blanche.

Un jeune Japonais rescapé fut le premier à rapporter ce qui se passait dans le bâtiment. Des traces de sang souillaient son pantalon blanc. Il avait réussi à sortir en profitant de la confusion. L’homme parlait face caméra, au micro de la NHK : J’avais des morceaux de cervelle sur moi, il y avait du sang partout, des
cadavres, il promena un regard vide sur le parquet du bar dans lequel il s’était réfugié. J’étais avec ma fiancée, j’ignore où Kimiko se trouve… Peut-être avec les pompiers, peut-être morte, égorgée. Je ne sais pas. Quand la fusillade a commencé, nous étions dans la section Peintres impressionnistes. Les gens tombaient par grappessous les impacts. Au début, des rafales, puis balle par balle pour économiser les munitions.

Le Japonais parlait sur un ton monocorde, le regard vide, comme s’il voulait chasser les images de sa tête :  à un moment, ça s’est arrêté, j’ai levé la tête pour voir ce qui se passait. Ils étaient en train de recharger. Ils marchaient au milieu des gens et se donnaient des consignes pour faire un maximum de victimes. Un des tueurs n’avait pas plus de dix-huit ans. On aurait dit des morts-vivants, je suis étudiant en médecine, je crois qu’ils étaient shootés. Ce n’était pas une prise d’otages. Ils voulaient faire un carnage et mourir. Ils ont
épargné un jeune à la peau mate. Un tueur l’a d’abord visé avant de baisser le canon en disant : toi, tu es un Frère! Alors il a abattu un jeune Blanc, à côté en lui tirant en plein visage. Quand la police a cerné le musée, ils ne pouvaient plus sortir, ils n’ont même pas essayé. De toute façon, ils n’en avaient aucune intention. Il était clair qu’ils voulaient se faire exploser en tuant le maximum de flics pour mourir en martyrs.

La presse souligna que presque deux heures s’étaient écoulées avant l’assaut final en début de soirée. Une vingtaine de personnes présentes dans le restaurant du musée survécurent en se cachant dans une chambre froide. D’autres se réfugièrent dans une cour intérieure. Un gardien du musée qui connaissait les lieux a débloqué une porte, expliqua un survivant, il y avait des enfants avec nous. On craignait que la porte s’ouvre sur un homme cagoulé. On l’a bloquée avec des poubelles. Le pire c’était l’attente. Quand les snipers de la police sont arrivés, les lasers rouges de leurs fusils m’ont balayé le visage. Ils ont arraché nos chemises pour être sûrs que nous ne portions pas de ceintures d’explosifs.

Au moment où le GIGN avait investi le bâtiment pour donner l’assaut, une grande explosion avait ravagé le musée : les assaillants venaient de se faire sauter.

Les rescapés furent regroupés à l’angle du boulevard SaintGermain et de la rue de Solferino. La plupart étaient en état de choc : des morts-vivants revenant d’une zone de guerre. Sur des brancards, des dizaines de blessés enveloppés dans des couvertures de survie étaient embarqués dans un ballet  ininterrompu d’ambulances. Ceux tenant encore debout se déplaçaient lentement par petits groupes, encadrés par les gilets fluo de la Croix-Rouge qui leur tenaient le bras. Une cellule d’aide psychologique était déjà sur place.

La rue débordait de policiers en uniforme, en civil, de pompiers, de sauveteurs, de journalistes. C’est un  carnage à l’intérieur, souffla une secouriste qui évacuait un Américain au tee-shirt maculé de sang. Les urgences des hôpitaux furent débordées, les médecins parlaient de chirurgie de guerre, de manque de  matériel, de manque de sang. Un appel au don de sang fut lancé sur les ondes. Il faut laisser les morts à l’intérieur, c’est le boulot de la police scientifique, lâcha un officier.

Une silhouette circulait en serrant des mains entre uniformes et gilets pare-balles. Le maire socialiste de Paris était la première personnalité politique sur place. Le visage grave, les yeux embués, il s’entretenait avec le préfet de police, cherchant de l’œil les caméras qui immortaliseraient sa présence. Une compassion médiatique qui serait utile pour une réélection qui s’annonçait difficile.

Un officier du GIGN annonça que les lieux étaient sécurisés et que toute menace était écartée. Il arrivait lors des attaques suicides qui touchaient régulièrement le pays que les terroristes minent le bâtiment pour le faire sauter une heure plus tard et tuer policiers et secouristes.

Il était plus de minuit quand le champ fut enfin libre pour la venue du président de la République accompagné du ministre de l’Intérieur. Un long convoi avec gyrophares traversa la Seine au niveau du Pont de la Concorde. Une déclaration solennelle fut faite Boulevard Saint-Germain devant la brasserie “Le  Solférino”. Les images étaient retransmises en direct sur toutes les chaînes du pays.

Il y était question de fermeté, de valeurs républicaines, de condoléances, de soutien aux forces de l’ordre, d’hommage aux morts et d’unité nationale.

Si la scène avait des airs de déjà-vu, c’était la première fois depuis la création de la zone sécurisée qu’elle était touchée. La guerre qui rongeait la banlieue depuis des mois venait de franchir l’octroi. La revendication du Grand Califat islamique Mondial fut mise en ligne dans la nuit sur le site internet Al-Hayat et authentifiée par les experts américains.

Le communiqué évoquait les Frères morts en martyrs et la Mère des batailles qui approchait, affirmant qu’après la conquête arabe de l’Espagne et celles des Balkans par la Sublime Porte, cette troisième tentative de conquête de l’Europe serait couronnée de succès, car non seulement l’Occident était entré en décadence, mais le Califat avait désormais le soutien actif des dizaines de millions de musulmans et de convertis déjà installés au cœur de l’Europe.

CHAPITRE 2

Au fond, les gens sont terrifiés par la violence terroriste. Ils ignorent que faire. Certains fuient, d’autres refusent le réel et développent une forme d’autisme coupant les ponts avec un monde devenu hors de  contrôle.

Alex augmenta le volume de la radio :

«Après la vague d’attentats qui a dévasté la zone sécurisée, le gouvernement a décidé de renforcer les mesures de contrôle. Il est probable que la fréquentation touristique soit affectée dans les prochaines semaines. L’opposition a critiqué de son côté le laxisme des unités chargées des octrois».

Sur les plateaux télévisés, des intellectuels comparèrent les Juifs aux canaris dans la mine, quand, deux  siècles plus tôt, les mineurs de fond plaçaient des canaris en cage dans les mines de houille. Dès que la  concentration en monoxyde de carbone devenait critique, les oiseaux tremblaient, leurs plumes se hérissaient dans une agonie salvatrice qui prévenait les mineurs de l’imminence du coup du grisou et  déclenchait l’évacuation des galeries.

Depuis des décennies, les islamistes avaient ciblé en priorité la communauté juive. Beaucoup de familles juives avaient fait leur alya : une montée vers Israël annonciatrice du coup de grisou. Désormais, la communauté juive se résumait à quelques milliers de personnes âgées, trop attachées à leurs habitudes pour les quitter. L’école attaquée dans le onzième arrondissement était un des derniers établissements  encore ouverts en France.

Les débats se nouèrent sur la déchéance de nationalité, l’expulsion des criminels étrangers et des individus radicalisés, lacréation de camps d’internement préventif. Un député de droite fut conspué par un philosophe de gauche quand il évoqua la possibilité de procéder à des exécutions extrajudiciaires. L’intellectuel lui fit remarquer que cette abdication de nos valeurs républicaines était justement l’objectif recherché par le Califat, aucune décision ne fut prise si ce n’est de renforcer encore un peu plus les contrôles de police.

Alex coupa la radio. Quand la voiture de patrouille passa la Seine, il aperçut un touriste asiatique qui s’était mis à crier Police police… en agitant son poignet nu. Lucas repéra tout de suite le voleur de montre à sa coupe de cheveux en bonnet : un style en vogue chez les racailles.

L’homme marchait plus vite que les passants, il se dirigeait rue Mazarine. Il n’avait aucun signe religieux, mais tous les flics connaissaient la porosité croissante entre criminalité et islamisme radical.

Comme le jeune se débattait, Alex lui éclata le nez d’un discret coup de crosse, rassurant les badauds inquiets d’un “No problem, it’s OK… No problem…”. Il se pencha près du visage de la petite frappe.

— Fais pas le mariole, sale petit suceur de pine, t’es à peu près aussi fort qu’une merde. Comment tu t’appelles   ?

— Jamel, M’sieur.

— Tes papiers.

— J’en ai pas.

Son haleine empestait l’alcool à brûler avec derrière cette odeur rance de peur qu’il reconnaissait et qu’aucun parfum ne pouvait masquer, même pas celui de l’alcool industriel que le type avait avalé pour se donner du courage.

Vus de loin, ils avaient fait ça en douceur, même si le sourire d’Alex affichait trop de férocité pour mettre à l’aise qui que ce soit. La consigne était de ne pas effrayer des touristes déjà complètement paranos quand ils visitaient Paris.

— Maman, qu’est-ce qu’il a, le monsieur? demanda un enfant.

— Ce n’est rien, une égratignure. Allez, viens.

La jeune mère entraînait son fils si vite qu’il était obligé de courir. Elle avait une expression terrifiée lorsqu’elle se retourna pour jeter un coup d’œil à Alex. Qu’avait-il fait exactement? Il examina Jamel, son nez explosé pissait le sang. Il lui jeta une couche-culotte extraited’un paquet de Pampers qu’il gardait dans la Peugeot pour ce genre de situation.

En arrivant au commissariat de Maubert, le jeune homme avait les yeux inquiets d’un mouton pris dans une clôture barbelée. Derrière un bureau, un policier prenait la déposition d’un adolescent en larmes dont le sweat à capuche portait inscrit : Université de Paris-Sorbonne. Près des fenêtres grillagées, un agent en tenue et un officier de police judiciaire examinaient des photos, têtes rapprochées. De l’autre côté de la salle, un rack d’écrans vidéo surveillant les rues du cinquième arrondissement.

Alex bouscula un peu le gardé à vue. Je vous en prie, aurait bien voulu dire Jamel, me frappez plus, je vous dirai tout ce que vous voudrez, mais me faites pas mal. Oui, il aurait bien voulu dire ça, mais avec le sang dans sa bouche, il n’arrivait pas à articuler un mot. Pas un seul.

Alex plaqua la main sur son entrejambe et commença un lent mouvement circulaire, sa paume enrobant le petit morceau de chair qui avait plus ou moins gouverné la vie de Jamel depuis ses douze ans. L’anus du suspect s’était soudain contracté au point qu’on aurait pu à peine y glisser un cure-dent.

— Dis-moi tu bandes, mon salaud. Tu serais pas un peu pédé par hasard? Le genre à se faire défoncer la rondelle dans les backrooms du Marais. Paraît que tous les Rebeu sont un peu pédés. Pédés ou baiseurs de chèvres. C’est selon.

Le flic se pencha si près que Jamel pouvait sentir l’odeur de tabac qui chargeait son haleine.

— Tu veux que je te le dise notre secret à Maubert?

Jamel était tétanisé. Alex ne sembla pas se formaliser de son absence de réaction. Le visage qu’il tournait vers le jeune homme fluet était souriant… ou en donnait l’impression, si l’on ne tenait pas compte des yeux.

— Les tafioles en situation irrégulière dans ton genre, on se les garde au chaud pour jouer avec. Et je crois que tu me plais bien ma petite pédale.

Jamel ne savait pas si c’était du lard ou du cochon, mais il était pris d’un très mauvais pressentiment. Une saloperie de mauvaispressentiment. Il baissa les yeux vers son sexe en érection sous sa braguette.

— Je suis pas pédé, M’sieur.

Les doigts puissants du policier se plaquèrent pour emprisonner ses testicules à travers la toile. Il serra si fort que Jamel hoqueta.

— Si t’es pas pédé, sac à foutre alors c’est que t’as une copine. Une Gauloise, je parie. Vous les aimez
bien les Gauloises. Hein? T’es en Francedepuis quand?

— Deux ans, on va se marier.

Alex ne comprenait pas grand-chose à ses borborygmes à cause de son nez en sang. Il resserra un peu son étreinte. Le cœur du jeune prenait de la vitesse comme un train qui quitte une gare pour débouler en pleine campagne. Il jetait des coups d’œil désespérés autour de lui comme s’il cherchait de l’aide.

— T’es mal barré, cousin. Je t’explique : t’as deux solutions. Ou tu te mets à table en me disant par où t’es entré ou tu plonges et tu seras expulsé dans ton bled de merde. Sans maille, ta gamine finira sur le trottoir.

— Elle fera jamais ça, protesta le jeune beur.

— Tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude, petit. Tu crois que t’es le premier?

Sa main s’empara plus sèchement de ses testicules. Jamel laissa échapper un cri rauque. Sa peau se couvrit de mauvaise sueur.

— Non M’sieur, j’suis pas le premier.

Il sentait toute la puissance de cette main. Un étau d’acier.

— Tu veux que je te dise ce qui va arriver?Tu veux vraiment le savoir?

La main desserra un peu son étreinte, mais seulement d’un cran. Le bas-ventre de Jamel était un lac de douleur, sauf que son pénis restait toujours aussi dur. Soudain, Alex lâcha son sexe pour l’attraper des deux mains par le col de son blouson. Son visage carré se colla contre celui du prévenu.

— Maintenant écoute-moi bien sale petit suceur de pine, chuchota-t-il à l’oreille du jeune pétrifié, les maquereaux ont des bites plus mahousses que la tienne, des artistes qui font grimper les gamines aux rideaux. Avant une semaine, ta petite aura oublié jusqu’à ton prénom. Dès qu’elle verra son barbeau, elle battra des paupières en mouillant grave sa petite culotte en coton rien qu’en pensant à sa grosse queue. Chaque soir, elle sera sur le pavé pour lui payer ses chaînes en or, un costard Zegna et des pompes Berluti.

— Je balance que dalle… j’suis pas une donneuse.

Alex le lâcha, l’air complètement dégoûté.

— Écoute Cousin! Je vois comment ça marche dans ta tête, et ce que je vois me plaît pas du tout. T’es clandestin et dès que tu peux tu voles. Comme il y a plus rien à voler extra-muros, tu zones dans le centre pour dépouiller les touristes. Sauf que t’es sur mon territoire et qu’en plus t’es un sacré baltringue. Tu t’es fait prendre et si tu recommences, tu te feras prendre à nouveau. Quand le juge t’enverra croupir en  centrale, tu te demanderas si t’as pas déjà franchi les portes de l’enfer. Ta petite t’attendra pas, tu peux me croire. Mais tu te consoleras en servant de femme à de plus méchants que toi.

La gouape ressemblait à un chat enfermé à double tour dans une cave avec une dizaine de pitbulls à jeun, mais il hésitait encore à se déboutonner.

— Comme tu veux, ça changera pas ma feuille de paie en fin de mois.

Alex émit un grognement du genre qu’on entendait uniquement lors de la visite de la section Grands prédateurs terrestres du zoo de Vincennes. Il attrapa la gouape par les couilles et donna un violent tour de vis. La douleur fut si intolérable que le jeune se pencha pour vomir.

— Alors, mouche à merde, demanda Alex en serrant plus fort, tu vas finir par te coucher?

Des formes noires dansaient dans le champ visuel de Jamel. Des trucs qu’il combattait désespérément. Si jamais il tombait dans les vapes, ce malade était capable de le tuer, rien que par dépit.

— Duroc, je suis passé par l’octroi de Duroc, avoua-t-il d’une voix faible se terminant en un profond bruit de gorge.

Alex le regarda dans les yeux en souriant. Un sourire qui donnait au jeune beur l’envie de hurler.

— Je savais que t’étais pas le mauvais bougre, juste la bonne dose de lâcheté pour survivre. Si tu m’as baladé, petit suceur de pine, je t’arrache la peau des couilles au cutter et je te la fais bouffer avec du  Tabasco.

— Duroc, je suis sûr, sanglota Jamel.

Il était surtout sûr que l’autre enfoiré de flic lui avait éclaté les couilles à force de les serrer. Alex lui jeta une serpillière sale.

— Nettoie ta merde. S’il en reste je te fais bouffer la serpillière.

Puis il remplit un formulaire de garde à vue et le boucla au sous-sol avant d’aller trouver Lucas.

— Le petit pédé est passé par Duroc, encore Max. Faut absolument qu’on parle à cet enfoiré, ce type est un vrai danger ambulant.

[A suivre]

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