Invasion et chute de la France – Le Camp des Saints [14-15]

Le temps des mille ans s’achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée. [Apocalypse, XXe chant.]

Jean Raspail avait vu juste, voici le récit de l’invasion migratoire de la France jusqu’à la chute du pays.

CHAPITRE 14

Dire que la nouvelle du départ de la flotte, quand elle fut connue et publiée, inquiéta sérieusement le monde occidental, serait, à l’origine, contraire à la vérité. C’est pourquoi tant de gens, aussitôt, tartinèrent-ils avec complaisance et talent la crème onctueuse éjaculée de leur cervelle. Les vaches à lait de la pensée occidentale contemporaine se prêtèrent en frétillant de la queue à la traite quotidienne, d’autant plus joyeusement que rien ne prouvait pour le moment que l’on fut en présence d’un problème majeur.

Si l’on veut comprendre quelque chose à l’opinion occidentale, face à la flotte immigrante ou face à n’importe quoi d’autre d’une nature étrangère, il faut se pénétrer d’une notion essentielle, à savoir qu’elle se fiche éperdument de tout. C’est une chose étrange à constater, mais son ignorance insondable, la veulerie de ses réactions, la vanité crasse et le mauvais goût de ses élans toujours plus rares, ne font que croître au rythme de son information. Oh ! bien sûr ! elle s’offre des états d’âme, comme elle va au cinéma et se mobilise au feuilleton de la télé, spontanément ou par professionnels interposés. Le spectacle du monde, servi à domicile par la putain nommée Mass Media, vient simplement animer le néant où elle s’est abîmée depuis longtemps. Qui croit penser ne fait que saliver devant l’événement. À notre tour, ne crachons pas sur cette salive. Bavée à l’heure des informations ou de la lecture des journaux, elle prouve qu’il y a jeu apparent de la pensée, comme la salive du chien de Pavlov établissait le mécanisme de l’instinct. L’opinion anime son inertie, voilà ce qu’elle fait. Croit-on sérieusement qu’un quelconque Occidental moyen, confronté avec les grands mouvements du monde, au sortir de l’usine ou du bureau, réussit autre chose qu’une interruption provisoire de l’ennui monumental où il se meut ?

Quand le premier hélicoptère de presse, du côté de Ceylan, prit à basse altitude la première série de photos de la flotte immigrante, photos proprement bouleversantes qui furent publiées en scoop dans les journaux du monde entier, que croyez-vous que pensa le petit mec occidental ? Qu’il était menacé ? Que l’horloge du temps venait d’entamer le compte à rebours de sa mort ? Pas du tout. Il pensa tout bonnement qu’au rythme désespérant où s’avançait la flotte, semant ses morts sur l’océan, il tenait cette fois un bon feuilleton.

Mais imaginons un réveil brutal, un plongeon dans le réel, avec tout le monde au bain, comme il ne s’en est plus produit depuis la Seconde Guerre mondiale. Le feuilleton crève soudain l’écran qui s’émiette avec fracas dans le bifteck-frites. Et voilà que les personnages jaillissent en foule et dévalent dans le living, exactement semblables à ce qu’ils étaient dans l’aquarium où ils s’amusaient tant quelques instants plus tôt, mais ne jouant plus, ayant cassé la vitre protectrice, armés de misère, de plaies, de plaintes, de haine et de mitrailleuses. Ils traversent l’appartement saccagé, détruisent l’harmonie somnolente, pétrifient les familles digérantes et se répandent dans toute la ville, sur tout le pays, sur le monde entier, photos douées de vie, problèmes soudainement ambulants, comédiens de grand reportage disant brusquement « merde ! » au réalisateur, dès lors frénétiques et incontrôlables. Alors le petit mec s’aperçoit qu’il a mal écouté ou mal lu : que l’événement, cette fois, n’était pas publié et diffusé pour sa jubilation quiète. Ce que le petit mec entendra pour de bon, c’est : « Un million de réfugiés du Gange prêts à envahir la France demain matin. Cinq autres flottes ont pris la mer, depuis l’Afrique, l’Inde et l’Asie. » Alors le petit mec courra acheter du sucre et de l’huile, des nouilles et du saucisson. H enfouira les napoléons en chaussettes sous une lame de parquet. Il léchera les savates graisseuses du seigneur pompiste pour les deux jerrycans d’un exode cyclique. Enfin, les yeux humides de mâle tendresse, il contemplera sa femme, sa fille et sa vieille mère déjà nimbées de l’auréole outrageante. Après quoi, ayant roté une dernière fois les vapeurs du dernier banquet des anciens combattants de la gastronomie, il se déclarera fin prêt à « affronter l’événement ». Pour cela, son regard s’est déjà modifié, rusé et soumis à la fois. Le petit mec s’apprête à biaiser, c’est sûr. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour le moment, en compagnie de millions d’autres, le petit mec est endormi dans la salive où il se noiera. Il écoute paisiblement les clochettes qu’agitent ses maîtres à penser.

Et quel concert ! Que de talent ! Rien que du classique, nourri aux plus solides traditions de la grande musique humanitaire. Comment citer tous les maestros ? Les premiers jours, ce fut un déluge, une avalanche de notes séraphiques à vous tirer des larmes. Essayons. Nous nous lasserons de les lire ici avant qu’ils se soient lassés de parler et d’écrire, mais n’oublions pas qu’ils portent tous une lourde responsabilité. Ils embobinèrent le petit mec. Peu s’y employèrent volontairement, mais ceux-là, serviteurs du monstre, savaient ce qu’ils faisaient. Ils le firent bien. Les autres éjaculèrent encre et parole pour des motifs navrants dont le plus commun était le refus de la férocité, comme si l’animal menacé à la lisière de sa forêt odorante et grasse refusait soudain de rugir et de montrer les dents, alors qu’une simple démonstration de férocité suffisait à le protéger : cela n’a pas de sens ! Il entrait aussi, dans la veulerie épidémique de leurs commentaires, des craintes morales – ce sont les plus lâches – comme celle de ne pas ricaner juste dans le concert des hyènes, de ne pas pleurer en mesure dans le choeur des tartufes, de ne pas bêler avec les imbéciles, de faire preuve par inattention d’une imagination distinctive, et surtout de se faire montrer du doigt par la conscience universelle comme un empêcheur de trahir en rond. Ah ! les beaux plumitifs, les jolis phraseurs que nous eûmes en ces jours de sursis !

Il faut noter, en tête du florilège, l’ineffable M. Jean Orelle. Porte-parole du gouvernement français, il jacassa en premier, car c’était son office d’ouvrir le feu des enchères. Chacun espérait bien qu’il fixerait la mise assez haut. Il n’y manqua pas. La France éternelle se devait, respectant la coutume mondialement admise, de pousser en solo de sublimes cris d’amour, sans réfléchir aux moyens de s’en dépêtrer, une fois les carottes cuites.

CHAPITRE 15

— Sans surestimer pour autant la portée de l’événement, commença le ministre en posant devant les micros un petit dossier bien léger…

En fait, les ministres étaient restés secs.

« Et s’ils arrivent jusqu’en Europe et choisissent de débarquer en France ? » fit l’un d’eux.

« Ils n’y arriveront jamais », répondit un amiral, « j’ai examiné les photos : une bonne tempête là-dessus et on n’en parle plus ! »

Se noient, silencieusement, un million de miséreux au rez-de-chaussée de l’Élysée, tandis que le vent agite doucement les arbres du parc habillés de tendre et fraîche verdure.

« En somme », remarqua le Président, souriant à son habitude comme entre poire et fromage, « il suffit de s’en remettre à Éole et Neptune. »

Quelqu’un toussa, cherchant une idée simple : « Ne peut-on demander aux gouvernements du sous-continent indien de les intercepter alors qu’il en est encore temps ?

« Ricanement en bout de table. « Est-ce que ça existe vraiment, un gouvernement dans le sous-continent indien ? » demanda un petit secrétaire d’État, d’ordinaire silencieux.

Soupirs aux places d’honneur. « Je suis déjà en mesure de vous communiquer leur réponse », dit le ministre des Affaires étrangères, « voici : les gouvernements du sous-continent indien, fortement préoccupés par la situation intérieure et par la détérioration brutale de l’économie alimentaire… »

Nouveau ricanement. « Un bordel ! » dit le petit secrétaire.

Le Président apprécie les anecdotes de dessert, mais juge que c’est un peu tôt : « Monsieur le secrétaire d’État ! » dit-il sévèrement, « veuillez observer la décence qui convient. Poursuivez, monsieur le ministre des Affaires étrangères. »

Nouveau soupir. « Les gouvernements du sous-continent indien, en ce qui les concerne, déclarent impossible toute action, de quelque nature que ce soit, et déclinent à l’avance toute responsabilité. Ils expriment leurs regrets… » On retourne à zéro.

« Voilà qui est clair », dit le Président, « et quelle agréable façon de gouverner ! Je me demande s’il existe quelque part au monde un gouvernement responsable de quelque chose ? Et si l’amiral se trompait, ne pourrait-on quand même pas tenter une action quelconque ? Une démarche officielle ? Prudente, évidemment. Du côté de l’ONU, par exemple ? »

Jaillit comme un diable sur sa chaise le petit secrétaire d’État. Il jubile : « Saisissons l’ONU de la proposition suivante : internationalisation de la flotte nomade sous pavillon bleu de l’ONU, avec débarquement à bord de marins-observateurs suédois, éthiopiens et paraguayens. L’UNRWA prend en charge le ravitaillement par hélicoptères de la population embarquée, ainsi que l’entretien des navires. Et la flotte tourne en rond sur tous les océans du globe pendant vingt ans, à la satisfaction générale. L’idée n’est pas neuve, d’ailleurs. Elle a même beaucoup servi. Évidemment, dans vingt ans, la population embarquée aura plus que certainement doublé. L’inaction, la chaleur… Il faudra construire des navires-camps pour renforcer la flotte. Croyez-moi, messieurs, on pourra durer longtemps ! Les petits-fils des émigrants ne sauront même plus pourquoi ils ont la mer pour horizon et le pont d’un navire pour territoire national. Car il faut y penser : leur viendra aussi la conscience politique. L’inaction, la chaleur… Ils revendiqueront. Ils exigeront l’indépendance. Et pourquoi pas ? Sur les bancs de l’ONU siègent les représentants de cent nations inviables. On en inventera une cent unième, voilà tout ! La République ambulante des mers océanes. Bien entendu, selon l’usage, il y aura partition. On séparera la flotte en deux, en prenant soin que les morceaux tournent en sens contraire et ne se rencontrent jamais. Évidemment, il faudra payer. Les nations occidentales se verront réclamer, au prorata de leurs richesses convoitées, une participation aux frais d’entretien des deux républiques océanes. Nous en avons l’habitude. Que faisons-nous de plus quand un problème se présente au tiers monde et que nous voulons avoir la paix ? Nous payons. Nous renâclons, mais nous payons. Au prix des rations de l’UNRWA et du cachet d’aspirine de l’OMS, c’est d’ailleurs pour rien, avouez-le. Une paix au meilleur prix, un petit bonheur bien tranquille et qui dure, sans trop s’inquiéter des voisins, n’est-ce pas ce que vous désirez ? Monsieur le président, je vous fais don de mon idée. »

Le Président examina sous cape le petit secrétaire d’État : « D’où sortez-vous, monsieur Perret ? – De la majorité marginale. – Je veux dire : avant ? – De Normale-Sup Lettres. – Je m’en doutais. Vous plaisantez, n’est-ce pas ? »

La désapprobation fronça tous les visages, en un masque douloureux qui convenait à l’appel désespéré des idées. « Messieurs », dit le Président, « on se croirait à l’oral du bac. Vous séchez lamentablement ! Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État… »

Il passa un sourire entre eux deux. « Je plaisante, en effet, monsieur le président. Mais il semble que je sois le seul à trouver tout à fait bouffonne et parfaitement extravagante cette prétendue menace d’un envahissement pacifique du monde occidental. A-t-on jamais vu le mouton se jeter sur le loup et le manger ? »

Agitations des maroquins : « Odieux ! Odieux ! Honteux ! Sans entrailles ! » Quand on n’a pas de tête, il faut avoir une âme, c’est bien le moins.

« Monsieur le président », dit le secrétaire d’État, « lorsque mes collègues voudront enfin converser raisonnablement, je me permettrai de leur suggérer vingt solutions sérieuses à ce problème bouffon. »

Le Président : « Par exemple ? »

Se dressa le secrétaire d’État, balayant la table du conseil de ses deux mains pointées de façon enfantine comme une arme imaginaire : « Tac tac tac tac etac, etac etac tac tac. Vous êtes tous morts », dit-il.

L’effarement fut à son comble lorsqu’on entendit l’amiral, dissimulé sur un tabouret derrière le fauteuil de son ministre: « Poum ! Poum Poum ! » fit-il.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda le ministre, l’oeil affolé, en se retournant.

« Monsieur le ministre, c’est le canon », répondit l’amiral.

Trois ministres se cachaient le visage entre les mains jointes. Un autre se tapotait la tempe. Deux étouffaient de colère tandis que trois autres s’efforçaient de la chauffer. L’un, enfin, pleurait dignement. Ce fut lui qui rompit le silence obsidional, levant lentement vers le conseil, à travers ses mèches, le masque tragique du conseiller du roi.

« Est-ce que nous sommes le gouvernement de la France », dit-il, « réuni en conseil extraordinaire autour de M. le président de la République pour délibérer humainement d’un drame sans précédent depuis le profond Moyen Âge, à l’échelle de la sublimation que l’homme se doit enfin à lui-même au terme de la grande mutation matérialiste, ou bien est-ce que nous sommes un conseil municipal de village assemblé par son maire pour aggraver de façon paysanne et bornée l’arrêté réglementant le stationnement des gitans sur le territoire de la commune ? »

C’était M.Jean Orelle.

Le Président éprouva le besoin malin d’alléger l’attaque. « Tiens ! tiens ! » dit-il, « c’est exactement le souci dont je faisais part au conseil lors de la grève générale de l’an passé, ou encore à l’occasion de la dernière dévaluation du franc : est-ce que nous sommes le gouvernement de la France ? » Satisfait, il ajouta : « Poursuivez, monsieur le ministre. »

Souffla le vent de l’Histoire, qui emporte les flottes aveugles, les nations prophétiques, les armées militantes, les peuples saoulés de fanfares et les royaumes de Dieu vers les calmes abyssaux où s’épuisent à la fin les plus fières tempêtes. Ce vent-là redressa les bustes et releva les mentons, autour de la table élyséenne, il ouvrit les regards sur l’infini humain. Encore une fois, quand on a peu de tête et le coeur mal placé, il faut aussi s’inventer une âme pour assumer toutes les lâchetés. Seul, le petit secrétaire d’État souriait dans son coin, l’air narquois. Mais plus personne ne songeait à lui, sauf peut-être, bizarrement, le Président.

« Le génie propre à la France », poursuivit le ministre Jean Orelle, « l’a toujours conduite à travers les grands mouvements de la pensée contemporaine comme le vaisseau amiral qui trouve instinctivement la voie et s’y engage, pavillon déployé en toute netteté d’intention, à la tête de la flotte des nations éclairées, indiquant les virements de bord qui conviennent pour affronter les tempêtes que soulève l’humanité en proie aux vents violents du progrès… »

Et ronronna la machine à bien penser, garantie Orelle, dernier cri de la technique moderne, l’intelligence nickelée, la cervelle plastifiée contre la rouille du doute, le coeur de série tapant ses soixante conneries-minute, à crédit, modèle perfectionné pour cadres supérieurs, modèle renforcé de luxe pour millionnaires sociaux et directeurs de journaux. «

Et si l’on en venait au fait », murmura le Président, avec un clin d’oeil discret au sténotypiste pour qu’il ne soit pas tenu compte de sa marque On y arriva un quart d’heure plus tard, après un cheminement de haut vol par la nuit du 4 août, la Déclaration des droits de l’homme, l’abolition de l’esclavage, le suffrage universel, l’école républicaine, les conquêtes de 36, la libération de Paris, celle de l’Algérie, l’aide au tiers monde et le socialisme à la française.

« Messieurs », dit le ministre, « qu’importe que cette flotte qui s’avance vers les rivages occidentaux, comme un reproche moribond qui se fraie avec ses ultimes forces un chemin à travers nos consciences, aborde les rivages de la France, de l’Angleterre ou de l’Allemagne Car c’est toutes ensemble, rassemblées, que les nations favorisées devront écouter, gravement, l’éternelle question, posée une dernière fois et de quelle tragique façon : Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? Ne croyez-vous pas, messieurs, que la France se doit d’y répondre clairement, fraternellement, en proposant dès maintenant un plan d’accueil qui soit à la mesure de nos richesses matérielles et morales ? Il faut savoir, le moment venu, reconnaître les symboles et vaincre nos égoïsmes ! »

Ah ! la belle chanson ! Comme se rengorge ce peuple lorsqu’il ne s’agit que de chanter ! De refrains en formules, comme il sait bien, aujourd’hui, s’agiter sans se donner ni se refuser, marquer le pas sous les fanfares, descendre dans la rue et y scander la révolution sans qu’aucun mort, pour une cause quelconque ne sanctifie jamais le pavé, se donner des illusions de grandeur à peu de frais ! Approuvèrent aussitôt les ministres en conseil. Un plan ? Mais comment donc! N’allait-on pas étonner l’univers à l’écoute ?

« N’est-ce pas précipiter inutilement les choses ? » remarqua simplement le Président.

« C’est dans la spontanéité », répondit le ministre, « que se reconnaît la vraie générosité.

La France se doit… » Le Président dit d’une voix forte : « La France se doit, en effet… » Il y eut un silence. « La France ne se doit rien du tout de ce genre, si ce n’est la vérité. Est-ce qu’elle ne devrait pas, enfin, cesser de composer avec l’inéluctable et choisir le refus, qui tonifie… ? »

Ainsi pensa le Président, haussant aussitôt les épaules, imperceptiblement, pour lui-même. Après tout, n’était-il pas le premier des Français, englué jusqu’au cou dans la gueule du monstre, persuadé à la longue du contraire de tout, raciste antiraciste, patriote objecteur, jouisseur marxiste, fasciste démocrate, propriétaire communiste, catholique oecuménique, individualiste syndiqué, assuré, retraité, irresponsable, égoïste humanitaire ?

« La France se doit, en effet », répéta le Président, « de présenter au monde une vision concertée de l’événement. M. le ministre porte-parole du gouvernement est autorisé à développer pour la presse, dans les limites de la prudence et surtout avec le recul qu’offrent encore, ne l’oublions pas, la position lointaine et la destinée incertaine de la flotte immigrante, la première ébauche d’un plan très général d’accueil dans le cadre d’une coopération internationale qui nous permettrait, le cas échéant, de ne pas supporter seuls les conséquences d’une générosité que, pour ma part, je redoute. Mais si vous voulez le fond de ma pensée… » Il se surprit à lever les deux mains à hauteur de sa hanche, dans une ébauche de geste aussitôt abandonnée et transformée habilement en battements pendulaires de dénégation, signifiant que ce jour-là, tout compte fait, il s’abstiendrait de livrer le fond de sa pensée.

Au bout de la table, le secrétaire d’État ne fut pas dupe. Fixant les yeux du Président, avec ses lèvres il forma silencieusement quatre mots brefs : tac tac tac tac. « C’en est fini pour aujourd’hui, messieurs », dit le Président en se levant. Puis il gagna son bureau, donna l’ordre qu’on ne le dérangeât point, se servit un whisky bien ambré, dégrafa sa cravate, déboutonna le col de sa chemise, alluma le récepteur géant de la télévision, soupira d’aise et se laissa aller, dos ordinaire et rond enfoncé au plus profond d’un fauteuil. En couleurs, M.Jean Orelle :

— Sans surestimer pour autant la portée de l’événement, commença le ministre en posant devant les micros un petit dossier bien léger, le gouvernement français a le sentiment qu’il s’agit là d’un symbole annonciateur d’une sorte de socialisme à l’échelle mondiale. L’aile du symbole effleure soudain le vieux monde qui frissonne à son contact, de peur ou de fierté. C’est afin de préciser ce choix historique que je suis là, messieurs, pour répondre à vos questions.

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