Invasion et chute de la France – Le Camp des Saints [4-6]

Le temps des mille ans s’achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée. [Apocalypse, XXe chant.]

Jean Raspail avait vu juste, voici le récit de l’invasion migratoire de la France jusqu’à la chute du pays.

CHAPITRE 4 [Chapitres précédents]

C’était une nuit étrange, tellement paisible que New York ne se souvenait pas en avoir vécu de semblable depuis plus d’une trentaine d’années. Central Park désert, vidé de milliers de Caïn. On aurait pu y envoyer jouer de blondes fillettes en jupe courte, duveteuses, toutes fraîches, roses de plaisir de pouvoir enfin courir derrière un cerceau. Ghettos noirs et portoricains calmes comme des églises. Le docteur Norman Haller avait ouvert ses fenêtres. Il écoutait la ville et n’entendait rien. D’ordinaire, montaient vers lui à cette heure de la nuit les effroyables notes de ce qu’il appelait « l’infernale symphonie » : cris de détresse, galopades de talons en fuite, hurlements de terreur, coups de feu isolés ou en rafales, sirènes de police, aboiements humains, rires sauvages, pluie de vitres brisées, appels angoissés de klaxons lorsque la belle Cadillac climatisée, stoppée à un feu rouge, est brusquement submergée par de noires silhouettes brandissant des pics, et tous ces non ! non ! non ! NON ! hurlés sans espoir dans la nuit et vite étouffés par le couteau, le rasoir, la chaîne, la massue à clous, les mains, les doigts, le sexe…

Trente ans que cela durait : une statistique sonore au volume s’amplifiant d’année en année jusqu’à ces derniers jours où la courbe avait subitement décliné jusqu’à revenir à l’impossible point zéro, cette nuit-là. Trente années d’impuissance, mais sans reproches à se faire, docteur Norman Haller ! Sociologue-conseil de la ville, il avait tout prévu et fort exactement, ses rapports en faisaient foi, lumineux et inefficaces. Aucun remède : on ne change pas l’homme blanc, on ne change pas l’homme noir tant que l’un est blanc et l’autre noir et que tout, absolument tout ne s’est pas fondu dans du café au lait. L’un détestait. L’autre méprisait. Égaux, ils se haïssent. Le sociologue-conseil constate et s’enrichit. La ville de New York avait payé fort cher son oeuvre monumentale consacrée à l’examen des ravages et à l’annonce de l’inévitable. Rien à faire ? docteur Haller – Rien à faire, monsieur le maire, à moins que vous ne les tuiez tous, les uns ou les autres, faute de pouvoir les changer, le pouvez-vous ? – Damnation ! non. Attendons la fin en essayant de vivre… Qu’il était beau et confortable, l’appartement de Norman Haller au vingt-cinquième étage de la plus distinguée des résidences de Central Park ! À l’abri de la jungle et coupé du monde extérieur : douze gardes armés en bas dans le grand hall, des détecteurs partout, rayons invisibles, chiens féroces, sonneries d’alarme et le garage comme un sas, un pont-levis entre la vie et la mort, entre la haine et l’amour, tour d’ivoire, station lunaire, blockhaus de luxe. Terriblement coûteux, des milliers de dollars pour des centaines de pages destinées à la ville de New York et signées par le plus célèbre sociologue-conseil d’Amérique : le docteur Norman Haller s’était construit un monde parfait dans l’oeil du cyclone et, de cet oeil, observait la tempête qui allait l’emporter. Whisky, glace pilée, musique douce, va mettre cette petite chose si jolie et si chère et que tu appelles une robe, ma chérie. Téléphone : le maire de New York.

— Êtes-vous en smoking, Jack ! Betty en robe du soir, plus séduisante que jamais, si bien que vous en êtes vous-même étonné ? Troisième whisky ? Cristal partout ? Envie de voir personne ? Fête intime sans raison ? Une idée subite ?

— Vrai ! Mais comment le savez-vous ?

— La jungle familière s’est tue. L’homme blanc a peur. Riche et solitaire, que voulez-vous qu’il fasse dans sa blanche dignité ? Célébrer encore une fois sa richesse inutile et sa précieuse solitude. À votre santé ! Entendez-vous tinter la glace dans mon verre ? Baccarat, Jack, et scotch à cent dollars ! Les yeux verts de ma femme : jamais vu aussi verts ! Je vais m’y noyer.

— Norman ! Tout dépend des Français, n’est-ce pas ? Croyez-vous que ces gens-là seront encore capables de tuer un million de pauvres types désarmés ? Je ne l’espère même pas. Et les ghettos de New York ne le croient pas non plus. Ni ceux de Chicago ni ceux de Los Angeles… Ils sont devenus moutons, dans leurs cages à fauves. Ils ne savent plus qu’écouter les nouvelles à la radio, ou bien chanter dans leurs églises folles et prier pour cette flotte de malheur. Avez-vous déjà été emporté par un troupeau de moutons au galop, Norman ?

— Et le loup ne veut plus être loup, c’est bien ça ? Alors, faites comme moi, Jack, buvez un autre verre, caressez longuement la peau blanche de votre épouse, comme quelque chose de très précieux, et attendez.

CHAPITRE 5

Si l’on peut découvrir quelque logique dans la formation d’un mythe populaire, c’est au consulat général de Belgique à Calcutta qu’il faut chercher l’origine de celui que nous appellerons pour le moment : le mythe du nouveau paradis. Un petit consulat de rien du tout, installé dans une vieille villa coloniale en lisière du quartier diplomatique et qui se réveilla un matin avec une sorte d’émeute silencieuse à sa porte. Depuis l’aube, le garde sikh avait bouclé la grille du portail. De temps en temps, il passait le canon de son vieux fusil à travers les barreaux pour faire reculer les premiers rangs de la foule et comme c’était un brave homme et que personne, en réalité, ne le menaçait, ni lui ni la porte qu’il gardait, il disait avec bonhomie :

— Peut-être, tout à l’heure, vous aurez à manger. Mais après le riz, il faudra s’en aller. Cela ne sert à rien d’attendre. C’est écrit sur la pancarte et signé par M. le consul en personne.

— Qu’est-ce qui est écrit sur la pancarte ? demandait la foule qui ne savait pas lire. Lis pour nous, s’il te plaît.

En fait, on ne distinguait plus grand-chose sur la pancarte accrochée à l’extérieur de la grille, maculée par mille mains qui venaient la toucher, la palper, sans parvenir à croire au malheur qu’elle annonçait. Mais le garde en connaissait le texte par coeur. Voilà huit jours qu’il le récitait à longueur de journée si bien que, sans en changer un mot, il en avait fait une sorte de psalmodie :

— Par décret royal du tant au tant, le gouvernement belge a décidé de mettre fin à toutes les procédures d’adoption actuellement en cours, et cela pour une période non déterminée. Aucune nouvelle demande d’adoption ne sera plus désormais acceptée. De même, aucun visa d’entrée en Belgique ne sera délivré aux enfants en instance de départ, même s’ils ont été légalement adoptés antérieurement à la date du présent décret.

Une longue plainte parcourut la foule. À l’ampleur de ce gémissement, à sa durée, au fait qu’il renaissait du silence chaque fois qu’il semblait s’apaiser, le garde sikh, expert en détresse populaire, jugea que cette foule avait au moins doublé depuis la veille.

— Allons ! allons ! dit-il en agitant son fusil. Reculez ! Calmez-vous ! Avant de repartir dans vos villages, on vous distribuera du riz. Mais il ne faudra plus revenir. C’est écrit.

Au premier rang, une femme sortit de la foule et se mit à parler. Chacun l’écouta comme si elle parlait au nom de tous. Dans ses bras tendus, elle tenait un petit garçon d’environ deux ans et le petit garçon ouvrait des yeux énormes, le visage si près de la grille qu’il en louchait.

— Regarde mon fils, dit-elle. Est-ce qu’il n’est pas beau ? Est-ce qu’il n’est pas musclé pour son âge ? Ses cuisses et ses bras sont ronds, ses jambes droites. Regarde sa bouche. Est-ce que tu n’y vois pas des dents blanches et bien rangées ? Regarde sa figure. Tu n’y trouveras pas de croûtes ni de mouches. Ses paupières sont bien ouvertes, jamais collées, dans ses yeux tu ne verras pas de pus. Tu peux lui tirer les cheveux, pas un ne te restera dans la main. Regarde aussi son sexe, et son derrière. C’est déjà un enfant propre. Vois son ventre, comme il est plat pour un enfant de son âge, et pas gros et ballonné. Je peux te montrer les choses qui sortent de lui, tu n’y verras pas de sang ni de vers. Car il est en bonne santé, mon fils, comme c’était demandé sur les papiers. Nous l’avons nourri pour cela. Quand il est né, on l’a trouvé si beau qu’on a décidé qu’il serait heureux et riche, là-bas. Alors on l’a nourri, de la façon que le dispensaire le disait. Et ses deux soeurs sont mortes. Elles étaient plus âgées, mais toutes malingres et lui avait si faim et devenait si beau : il mangeait pour trois, le petit homme ! Et maintenant tu me dis qu’on l’a nourri pour rien, et que son père est mort lui aussi à la tâche, pour rien, dans la rizière et que moi, sa mère, je dois encore le porter et le nourrir alors que j’ai faim et que c’est à mon tour de manger parce que ce petit homme vigoureux, mon fils, n’est plus mon fils, aujourd’hui. Il a déjà une famille, qui l’attend de l’autre côté de la terre. C’est écrit sur la médaille qu’on lui a envoyée et qu’il porte autour du cou. Tu la vois ! Je dis la vérité ! Il est à eux. Prends-le et va leur apporter. Moi, je n’en peux plus. Ils ont promis. Moi, j’ai fait tout ce qu’ils ont demandé et maintenant je suis si fatiguée…

Cent femmes s’avancèrent, tendant des bébés à bout de bras. De beaux bébés, pour la plupart, qui semblaient s’être repus de la chair de leurs mères. Hâves, les mères, décharnées, comme si le cordon ombilical n’avait pas été coupé. Derrière le premier rang des femmes se pressaient des centaines d’autres mères portant des centaines de bébés ou poussant devant elles des centaines d’enfants candidats à l’adoption, au grand saut vers le paradis. Loin d’en avoir tari la venue, l’annonce du décret belge l’avait au contraire décuplée. L’homme démuni de tout se méfie des certitudes : l’expérience lui a appris qu’il en est toujours exclu. Quand la chance s’évanouit, alors surgit le mythe et s’enfle l’espérance justement quand la certitude disparaît. Espéraient donc des milliers de malheureux, entassés devant les grilles du consulat comme des fruits périssables à l’étalage d’un marchand véreux : les plus beaux devant, lustrés, appétissants ; tout de suite après, encore visible, le second choix, présentable pour qui n’y regarde pas de trop près ; et sous la mince couche apparente, les fruits tapés, gâtés, moisis dans leur face cachée ou rongés de l’intérieur par les vers.

Au dernier rang de la foule, s’agitaient les porteuses de monstres invendables. Elles gémissaient plus fort que les autres parce que leur espérance n’avait pas de limite. Chassées, refoulées, éconduites jour après jour, il leur semblait évident qu’un paradis si bien protégé valait qu’on en fasse le siège une vie entière s’il le fallait. Du temps que la grille restait ouverte, dans la file des beaux bébés parfois l’une de ces mères parvenait à glisser son monstre. Un progrès, un pas vers le salut, même si le sikh croisait immanquablement son fusil devant la porte du consul. On s’était rapproché, cela nourrissait l’espérance, il en jaillissait des affabulations grandioses où des fontaines de lait et de miel ruisselaient, inutiles, vers des fleuves poissonneux baignant des champs gorgés jusqu’à l’horizon de récoltes spontanées où se roulaient en jouant des monstres heureux. Ce sont les gens les plus simples qui assurent le succès des mythes. On écouta ces bavardes inspirées, on se mit à les croire, puis chacun reprit à son compte la folle évocation de l’Occident. Or, dans Calcutta cernée par la famine, chacun signifiait : multitude. Peut-être est-ce une explication ?

À l’arrière des dernières femmes du dernier rang de la foule, un homme de haute taille, paria demi-nu, brandissait quelque chose au-dessus de sa tête comme un drapeau. Rouleur de bouse de son métier, pétrisseur d’excréments, façonneur de briquettes de fiente, coprophage aux heures de famine, il tenait en ses mains puantes une espèce de chose vivante : à la base, deux moignons ; un tronc énorme affaissé, le dos dans les reins ; pas de cou, mais la tête comme un moignon supplémentaire, un troisième moignon surmonté d’un crâne chauve percé de deux trous oculaires et d’un trou pour la bouche sans dents ni gorge, sorte de clapet de l’oesophage. Les yeux de la chose vivaient et regardaient droit devant elle, très haut par-dessus la foule, tout droit sans diverger car ils étaient doués de vie, mais pas de mouvement, hormis celui de bas en haut qu’imprimait le paria à son monstre d’enfant. C’est ce regard sans paupières qui vint s’emparer, à travers les barreaux de la grille, de celui du consul, hypnotisé par l’horreur. Le consul était venu jusqu’au portail pour évaluer la foule, juger la situation. Il ne vit plus la foule, il ferma aussitôt les yeux. Il se prit à hurler :

— Plus de riz ! Plus de visas ! Plus rien ! Rien pour vous ! Allez-vous-en ! Tous !

Au moment où il s’enfuyait, un petit caillou coupant l’atteignit en plein front, traçant une estafilade de sang. Les yeux du monstre s’animèrent, tandis que par un frémissement du tronc il remerciait son père à sa façon. Ce fut le seul acte d’hostilité. Mais le gardien du lait et du miel, trébuchant vers son consulat en se tenant le front à deux mains, apparut soudain à la foule comme un bien faible défenseur des portes sacrées d’Occident. Pour qui savait attendre, n’allait-il pas, dans sa faiblesse, laisser échapper les clefs ? Peut-être est-ce une explication ?

Le sikh épaula son fusil. L’ébauche du geste suffit. Chacun s’assit sur ses talons, jusant calmé annonçant le flot.

CHAPITRE 6

— La pitié ! dit le consul. La déplorable, l’exécrable, la haïssable pitié ! Vous l’appelez : charité, solidarité, conscience universelle, mais lorsque je vous regarde, je ne distingue en chacun de vous que mépris de vous-même et de ce que vous représentez. Et d’ailleurs, qu’est-ce que cela veut dire et où cela nous mène-t-il ? Il faut être fou, ou désespéré, il faut être dévoyé pour admettre, comme vous le faites, toutes les conséquences en chaîne de votre complaisante pitié !

Assis à son bureau, le front bandé, le consul faisait face à une dizaine de personnages plantés sur des chaises de bois comme des statues d’apôtre au fronton d’une église. Ces statues avaient en commun la blancheur de la peau, la maigreur du visage, la simplicité des vêtements – short ou pantalon de toile, chemisette kaki, sandales à lanières – et surtout la profondeur troublante du regard, celle qui annonce les prophètes, les illuminés, les bienfaiteurs, les fanatiques, les martyrs, les criminels inspirés, les chimériques et, plus simplement, tous ceux qui se dédoublent parce qu’ils se sentent mal dans leur peau. Il y avait un évêque parmi eux, mais impossible, sans le connaître, de le distinguer du médecin missionnaire ou de l’idéaliste laïc qui l’accompagnaient. Impossible également d’identifier le philosophe athée et l’écrivain catholique renégat converti au bouddhisme, leaders moraux de la petite troupe. Tous demeuraient silencieux.

— Vous êtes allés trop loin, reprit le consul, et vous l’avez fait volontairement car vous pensez profondément tout ce que vous faites. Savez-vous combien d’enfants vous avez envoyés en Belgique ? Je ne parle même pas de l’Europe dont certains pays plus lucides ont fermé leurs frontières avant nous. Quarante mille, en cinq ans ! Tout cela en pariant sur la sensibilité que vous avez dévoyée des braves gens de chez nous, en leur inculquant je ne sais quel remords pour plier la charité chrétienne à vos étranges volontés, en accablant nos classes moyennes prospères de complexes dégradants. Quarante mille ! Les Canadiens français n’étaient pas plus nombreux au milieu du XVIIIe siècle. Vous avez créé de toutes pièces au coeur de notre monde blanc un problème racial qui le détruira et c’est là votre but. Aucun de vous n’a la fierté de sa peau blanche et de ce qu’elle signifie.

— Ni la fierté ni la conscience, précisa l’une des statues. L’égalité entre les hommes est à ce prix. Nous le paierons.

— D’ailleurs, tout cela est déjà si dépassé, dit le consul. Il ne s’agit même plus d’adoptions, interdites ou non. Je viens de téléphoner à mes collègues occidentaux. Ils sont tous assiégés, comme moi, par une foule silencieuse qui a l’air d’attendre quelque chose. Et cependant, eux n’ont pas affiché de décrets à leur porte. Les Anglais, par exemple, ne donnaient de visas qu’au compte-gouttes. Cela n’empêche pas que dix mille personnes campent dans les jardins de leur consulat. Partout, dans la ville, où flotte un drapeau d’Occident, il y a une foule qui attend sans motif apparent. Mieux encore : on vient de m’apprendre que dans l’arrière-pays, des villages entiers se sont jetés sur les routes qui mènent à Calcutta.

— C’est exact, dit une autre statue, le visage orné d’une grande barbe blonde. Beaucoup sont des villages dont nous nous occupons.

— Puisque vous le savez, que veulent-ils ? Que cherchent-ils ? Qu’attendent-ils ?

— Franchement, nous ne le savons pas.

— Vous en doutez-vous ?

— Peut-être.

Il y eut un curieux sourire sur les lèvres de la statue barbue. Était-ce l’évêque, ou l’écrivain renégat ?

— Auriez-vous osé ?… demanda le consul sans achever sa question ni préciser sa pensée. Non ! Ce n’est pas possible. Vous n’iriez pas jusque-là !

— En effet, dit une troisième statue – et cette fois, c’était bien l’évêque –, je ne serais pas allé jusque-là.

— Dépassés, alors ?

— Sans doute. Il se passe en ce moment, c’est vrai, quelque chose d’une importance prodigieuse. Toutes ces foules le pressentent, sans rien savoir comprendre. Je peux cependant émettre une hypothèse : à l’adoption au détail dont l’espérance faisait vivre tant de ces pauvres gens, je crois qu’il s’est substitué une espérance plus invraisemblable, tout à fait folle, celle encore assez vague d’une adoption en bloc. Il n’en faut pas plus, par ici, pour créer des mouvements irréversibles.

— Joli résultat, monseigneur, remarqua simplement le consul. Vous faites un bel évêque catholique romain ! Vous voilà condottiere de païens, à présent. Vous avez bien choisi votre moment. Les pauvres gens ne manquent pas. Des millions ! L’année n’a pas encore trois mois et la famine s’étend déjà sur la moitié de cette province. Les gouvernements de ces régions sont complètement débordés. Quoi qu’il advienne, ils s’en laveront les mains. Le Corps consulaire de cette ville en a été prévenu officieusement ce matin. Et pendant ce temps-là, vous témoignez : c’est bien là l’expression que vous employez, n’est-ce pas ? Vous témoignez quoi ? Votre foi ? Votre religion ? Votre civilisation chrétienne ? Rien de tout cela. Vous témoignez contre vous-mêmes, comme des désabusés de l’Occident que vous êtes. Croyez-vous que les miséreux qui vous entourent ne s’en doutent pas ? Votre absence de conviction correspondant pour eux à votre couleur de peau, ils l’ont parfaitement décelée, comme une faiblesse, un abandon et d’ailleurs, vous les y avez aidés. Ils ne retiennent plus de votre prosélytisme que la richesse occidentale dont vous êtes parmi eux les symboles. Pour eux, vous représentez l’abondance et, par votre seule présence, ils apprennent qu’elle existe quelque part sur la terre et que vous avez mauvaise conscience de ne pas la partager. Vous avez beau vous déguiser en pseudo-pauvres, manger le carry à la main, couvrir la campagne de conseillers à votre image qui vivent la vie des paysans, vous n’êtes pour ce pays qu’une tentation permanente et sans doute le savez-vous. Après les semences, les soins, les médicaments, les conseils techniques, on a trouvé plus simple de vous demander : « Prends mon fils, prends ma fille, prends-moi et emmène-nous là-bas, dans ton pays. » L’idée a fait son chemin et la voici qui vous échappe. C’est maintenant un torrent, un ruissellement de torrents incontrôlés. Dieu merci ! il y a encore la mer entre ce pays et les nôtres.

— Il y a la mer, en effet. Oui ! il y a la mer, dit une quatrième statue que cette évidence semblait figer dans la réflexion.

— Il existe un vieux mot, dit encore le consul, qui s’applique très bien au genre d’homme que vous êtes : félons. Le cas n’est pas nouveau. On a connu des évêques-félons, des généraux-félons, des ministres-félons, des intellectuels-félons et des félons tout court. C’est une espèce d’homme dont l’Occident se fait de plus en plus prodigue au fur et à mesure qu’il se rétrécit. Il me semble que ç’aurait dû être le contraire, mais l’esprit se pourrit et le coeur se dévoie. On n’y peut rien, sans doute. Je n’y peux rien non plus. Même en me trompant sur sa finalité, je désapprouve votre action. Vos passeports ne seront pas renouvelés. C’est le seul moyen dont je dispose encore pour vous signifier ma désapprobation officielle. Mes collègues occidentaux en font autant, en ce moment, pour tous leurs ressortissants félons.

La statue qui avait parlé de la mer se leva. Il s’agissait cette fois du philosophe athée, connu dans nos pays sous le nom de Ballan.

— Passeports, nations, religions, idéaux, races, frontières et océans, foutaises ! dit Ballan.

Il n’ajouta rien et sortit.

— Tout ce dont je vous remercie, dit le consul, c’est de m’avoir écouté. Sans doute ne vous reverrai-je plus ? Je ne représente plus rien pour vous. C’est pourquoi vous avez été si patients. Comme avec un mourant.

— Erreur, dit alors l’évêque. Nous serons deux mourants pas d’accord entre nous, voilà tout. Je ne quitterai jamais l’Inde.

Passé les grilles du consulat, Ballan s’était frayé un chemin à travers la foule. S’agrippèrent à ses jambes, bavant sur son pantalon, les plus monstrueux enfants. Ballan fascinait les monstres et les monstres fascinaient Ballan. Il enfourna dans des bouches informes des bonbons poisseux dont ses poches étaient toujours pleines. Avisant le grand coprophage toujours surmonté de son épouvantable totem, Ballan l’interpella :

— Et toi, pétrisseur de merde, que viens-tu chercher ici ?

— Emmène-nous avec toi, je t’en prie.

— Aujourd’hui, je te le dis, tu seras avec moi au paradis.

— Aujourd’hui ? fit le pauvre homme, bouleversé.

Et Ballan lui sourit, tendrement.

Peut-être est-ce une explication ?

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2 Commentaires

  1. Enfin ,bonne nouvelle: l’esclavagisme n’existe plus puisque que présentement les soit disant esclaves viennent en europe s’en y être contraint par le mauvais blanc ..un comble !

  2. Je constate qu’à travers les vidéos et photos diffusées par la merdiacratie qu’aucun de ces migrants (je précise bien migrants) n’a la peau sur les os , ne souffre de blessure de guerre . Tous semblent fatigués non pas du travail mais du cours trajet vers l’Italie pour ce qu’il en reste .
    La seule solution ..est la guerre civile . Armez vous de tout y compris de votre haine : pas de quartier avec ces envahisseurs sans foi ni loi Il ne faut rien attendre de ces politicards qui vivent de l’europe et de cette chienlit . Chienlit permettant à la gauche de faire du semblant de coeur et à droite de l’autoritarisme rampant. Leur essentiel étant de garder leur mandat et de bouffer gratuitement à la cantine publique .
    Je constate aussi que rapidement , l’on trouve de l’eau,de la bouffe, des abris , des chiottes pour 11000 clandos ; pendant que des français entre autre , crèvent par manque de soin , de faim ou d ‘abandon physique …