Requiem pour un poisson rouge VI

– Chef, chef, c’est pas pour dire, vous êtes de bon conseil, c’est pour ça qu’on vient vous voir.

Comparativement à mes débuts, le respect de la robe s’était perdu… Encore que perso j’ai toujours trouvé cet attribut vestimentaire ridicule, mais enfin c’est pas une raison! Il doit y avoir un respect des convenances.

Pur hasard, encore que… J’étais stagiaire à l’époque et mon maître de stage, celui qui s’est défilé pour mon procès glorieux, avait comme client le “Charcutier de Belleville”, une belle tronche celui- là aussi. Tronche qui finira dans la sciure. Sa spécialité, la découpe en plusieurs morceaux de veuves fortunées, un vrai travail d’orfèvre, vingt cinq morceaux à chaque fois, une précision de laser. Sur le tard il désossait avec un couteau de service, sans une perte, les os étaient nickels et les corps paraissaient intacts. Parait qu’il faisait de la gelée ensuite… Il était d’une déférence phénoménale envers tout ce qui constituait l’autorité. Du « Cher Maître » il y en avait tout le temps. Le code pénal était son livre de chevet ainsi que le traité d’anatomie de De Mondeville. Il n’était pas peu fier de ridiculiser les experts sur la façon de préparer la cervelle persillée, sauf qu’en l’occurrence c’était de la cervelle humaine! Paraît qu’il avait rédigé un manuel de dissection pour les nuls, un ouvrage introuvable, celui qui le possède pourrait se faire les couilles en or.

Bref, un brave garçon, très poli, très respectueux. Il a fini découpé par le rasoir lui aussi. Ce fut probablement son apothéose, il est capable d’avoir demandé la faveur de déclencher l’engin…

Donc, mes deux pieds- nickelés viennent me consulter, bien entendu pour peau de zob, ah la fortune, la richesse!

– Qu’est- ce qui vous arrive les gars? Encore poursuivis par la maison poulaga?

C’est Paulo qui répondait, le tchatcheur c’était lui, l’Elégant n’était bon qu’à tirer sur sa clope et à acquiescer de temps à autres.

– Chef, c’est pas ça, on sait que vous avez l’expérience.

Putain, l’expérience on me l’a servie…

– Vous me dites quand a lieu le procès, on fera comme d’hab… je vous arrange le coup, six mois à l’ombre.

– Y a pas de procès. Non, on vient vous demander conseil. A chaque fois qu’on fait un coup on se fait enchrister, alors on s’est dit avec mon pote que vous qui avez la connaissance, vous pourriez nous conseiller…

– Vous conseiller dans quel domaine?

– Ben, à monter une affaire sans se faire choper.

– Les gars je suis avocat, auxiliaire de justice (quelle blague!), je suis pas un démonstrateur d’appareil électroménager qui donne le mode d’emploi et assure le service après vente.

– On pensait, vu nos relations…

– Vu nos relations! je préfère pas regarder le pognon que vous me devez. Bon, sans me fatiguer cérébralement vous êtes partis encore dans le coup du siècle, je vois déjà la fin du film… Je crois qu’on va se revoir… Pour le reste si ça ne tenait qu’à moi il y a longtemps que Cayenne aurait été rouvert pour les blaireaux de votre calibre.

– Comme vous êtes! Pour le pognon, on vous casquera, vous avez toujours été réglo avec nous.

– C’est bien ma connerie! Bon, les gars, vous êtes bien gentils, vous m’avez fait marrer mais j’ai des rendez- vous.

Rendez- vous il n’y avait pas mais il faut toujours faire croire au cave que l’on est surchargé, sinon le mec se dit « y a pas de clients, il est nul »…

Comme de bien entendu, leur plan était foireux et quelques semaines plus tard ils se firent serrer à la suite du cambriolage d’un entrepôt. Tout s’était super bien passé pour une fois, ils avaient juste oublié un détail, une bagnole sans essence n’avance plus. Forcément les pandores n’ont pas eu de mal à les cueillir.

Donc me voilà au tribunal pour plaider pour mes deux guignols. Avec les années la justice s’est gonzéssisée avec ce que cela comporte de désagréments mais aussi d’avantages pour les prévenus.

Toutes ces bonnes connes de petites bourgeoises devenues magistrates ont en fait le complexe « petites sœurs des pauvres », elles ne sont pas pour rendre la justice mais rectifier les injustices de la société bourgeoise. Coup de bol, à l’audience il n’y avait que des gonzesses. J’ai sorti l’attirail de combat approprié. Misère sociale et intellectuelle, injustice de la société qui n’a pas donné ses chances à des gens de bonnes volontés qui d’ailleurs sont prêts à se ranger aux décisions de la justice. Ils ont pris deux ans dont un avec sursis, qu’ils n’ont évidemment pas fait.

L’expérience, toujours elle, m’a démontré que le principe de base en justice est d’être un excellent menteur. Avoir un dossier en béton c’est nada si vous n’avez pas le discours adapté aux connards d’en face.

Depuis, l’Elégant à force de se prendre pour ce qu’il n’était pas s’est fait repasser définitivement dixit le Paulo. Ce dernier se retrouvant seul et commençant à prendre de l’âge s’est retiré des affaires en trouvant un emploi municipal grâce à une de ses relations. Je dis pas qu’il bricole pas encore à droite à gauche. Perso ça m’indiffère.

Et le v’la qui débarque, alors que ça fait au moins un an que j’ai plus de news. Physiquement il est toujours aussi gros, par contre lui qui était crade est sapé comme un milord.

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