Opération Borodine – 26

VINGT-SIX

Deux trains peints aux couleurs de la France le « Jules Verne » et le « Saint-Exupéry » sont à quai en gare de Kaliningrad, l’enclave russe située au nord de l’Europe. En gare de Krasnodar, au sud de la Russie, à quelques kilomètres du port de Sébastopol, le « Charles Perrault » et le « Jacques Prévert » attendent, eux aussi, leurs petits passagers.

Sur les wagons, des drapeaux français, des peintures représentant Victor Hugo, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Zola, des reproductions monumentales de tableaux de Renoir, de Monnet, de Cézanne, de Matisse et des milliers de guirlandes lumineuses que les Russes appellent « décorations du jour de l’an » impressionnent les voyageurs qui s’arrêtent un moment pour filmer.

D’autres wagons sont recouverts de photos ou de peintures imposantes de grands hommes d’État français : De Gaulle, Jules Ferry, Bonaparte, Richelieu… Sur des banderoles rédigées en russe et en français, accrochées au sommet de la locomotive, on lit : « Enfants de France, nous sommes heureux de vous accueillir en Russie ». Sur le quai, de la musique est diffusée par les hautparleurs : Satie, Debussy, Ravel, Bizet, Chopin mais aussi des chansons d’Édith Piaf, de Joe Dassin, de Marie Laforêt…

Les enfants sont vêtus chaudement : un anorak bleugris, des gants et une écharpe assortis. Aux pieds des bottesfourrées, sur la tête une chapka grise sur laquelle figure l’écusson de Dietski Gorod représentant deux écoliers, une fille et un garçon, se tenant par la main devant les drapeaux français et russe.

Louise et Nathan découvrent sur le quai enneigé de la gare de Kaliningrad les deux trains, superbement décorés, composés d’une vingtaine de wagons. Alignés l’un à côté de l’autre ils partagent un même quai. À droite le « SaintExupéry », à gauche le « Jules Verne ».

— J’espère qu’on va être dans le « Jules Verne », dit Louise.

— Ils sont pareils, fait Nathan émerveillé. Regarde !

— Oui mais le Jules Verne part une heure après et il y aura un spectacle sur le quai. Il paraît même qu’on verra un ours.

— Que vous soyez dans un train ou dans l’autre vous assisterez au spectacle, les rassure l’éducatrice. Et chaque gare vous réserve une surprise.

On les met en rang, les petits à droite, les plus grands à gauche.

— Chouette ! souffle Louise à l’oreille de son camarade. On est du côté du Jules Verne.

La musique envahit le quai tandis que les éducateurs font monter leurs petits passagers. Cinquante-quatre par wagon. Un espace sans cloisons appelé « platzkart » où les couchettes superposées font penser à un grand dortoir. Les éducateurs leur demandent d’avancer dans le fond et de choisir une place. Louise grimpe rapidement sur la couchette supérieure et garde celle d’en face pour Nathan alors qu’il préfère être en bas.

— Mais t’es bête ! Tu auras tout le monde assis sur ton matelas. En haut tu seras tranquille.Elle le convainc de grimper rapidement à l’étage avant de se faire prendre la place.

Sur chaque oreiller sont posées une serviette de toilette et une petite trousse dans laquelle ils découvrent une brosse à dents, un dentifrice, un savon et une paire de pantoufles.

— Que diriez-vous d’enfiler vos pantoufles et de ranger vos bottes sous la couchette inférieure ? suggère un éducateur.

Une de ses collègues annonce qu’elle va passer pour les pyjamas.

— Et retenez bien vos places, dit-elle, car pendant le voyage qui va durer deux jours, on ne vous appellera que par vos numéros. Vous êtes cinquante-quatre et on ne peut pas se souvenir de tous vos noms. Vous devrez donc garder vos numéros autour du cou.

Elle indique les toilettes, le lavabo et les douches aux deux extrémités et un petit bar au bout du wagon dans le sens de la marche.

— Nous sommes quatre pour vous encadrer.

Elle présente ses collègues Stepan et Rouslan, deux grands blonds aux yeux clairs et Viktoria une jolie rousse à la peau diaphane. Elle, c’est Varvara. Leurs prénoms et surnoms sont écrits en français sur le trombinoscope du bar.

Elle ajoute :

— Entre nous, nous n’utilisons que nos surnoms. Rouslan est Rouska, Stepan, Stiopa, Viktoria, Vika et moi Varia.

— On dirait des noms de chiens, chuchote Nathan en rigolant.

— Tu peux parler toi ! se moque Louise. Tu as vu le nom de ton chien ? Et le pire, c’est qu’il n’a même pas de surnom !

— Je vois que vous avez gardé vos chaussures ! les gronde gentiment Rouslan.

— Je compte jusqu’à vingt, dit Stiopa en distribuant les numéros attachés à un ruban et je veux voir tout le monde en pantoufles et assis sur son lit.

Les enfants se prêtent au jeu et se dépêchent de cacher leurs bottes sous les couchettes inférieures. Vika se met alors à passer la serpillière dans le wagon et leur demande de lever les pieds. Tous la regardent, amusés.

— Oui, je sais, dit la jeune femme, cela vous paraît drôle mais vous apprendrez vite que les Russes adorent la serpillière et les pantoufles !

Les enfants éclatent de rire.

— Et les spectacles ? demande Louise.

— Le spectacle, chez nous, c’est sacré, lance Varia, ils seront tous visibles depuis vos couchettes. C’est prévu pour.

Un groupe d’une dizaine d’écoliers s’arrête à cet instant précis devant leur wagon. Une petite fille d’une dizaine d’années prend la parole.

— Enfants de France, dit-elle d’une voix claire et presque sans accent, nous sommes tellement contents de vous avoir parmi nous. Nous aimons vos écrivains, vos peintres, vos musiciens, votre langue, vos monuments. Nous sommes avec vous de tout cœur et avec vos parents qui vous confient à la Russie, notre grand et beau pays. Nous espérons que vous l’aimerez comme nous l’aimons. »

Elle se tourne vers ses camarades, marque la cadence avec sa main et donne le départ d’une vieille chanson russe. Un chœur d’enfants s’élève, pur, polyphonique, aux voix décalées et parfois très hautes, étonnant.Collés contre la vitre, Louise et Nathan écoutent, charmés et immobiles.

La chanson se termine. Les choristes saluent et se dirigent vers le wagon suivant. Les petits voyageurs applaudissent.

— Tu vois, dit Louise à Nathan. Je t’avais dit qu’en haut on aurait les meilleures places.

Une voix retentit sur le quai. Les portes du train « Saint-Exupéry », qui se trouve en face du leur, se referment. Les sifflets des contrôleurs sont remplacés par la Marseillaise qui remplit d’un coup tout l’espace. Couché sur le ventre, le menton enfoncé dans l’oreiller, Nathan suit le déplacement des wagons si joliment décorés.

— Tu as entendu, fait Louise, c’était l’hymne de la France mais il n’y avait pas les paroles.

— Oui, j’ai reconnu, fait Nathan indifférent.

Il guette en fait le passage de l’ours. Les éducateurs leur ont dit qu’il sortirait quand il n’y aurait plus personne sur le quai.

En attendant, une multitude de journalistes équipés de caméras et de micros l’envahissent. Des chaînes russes, anglaises, japonaises, chinoises, américaines, iraniennes…

L’un d’eux insiste pour monter dans le wagon.

— Est-ce que quelqu’un accepterait de répondre aux questions des journalistes ? demande Stiopa.

Louise descend immédiatement de sa couchette et se précipite vers l’éducateur. Deux filles lui emboîtent le pas.

— Et les garçons ? Il nous faut au moins un garçon.

Louise insiste pour faire venir Nathan qui n’en a aucune envie et pense que les journalistes vont effrayer l’ours.L’interview a lieu au bar. Il n’y a pas beaucoup de place mais les enfants se serrent autour du micro de la chaîne russe RTR. Deux caméramans filment pendant qu’un troisième parcourt le wagon jusqu’aux douches, la caméra sur l’épaule.

— Il est magnifique ce « platzkart », dit-il aux éducateurs.

— Oui, ils ont tous été refaits à neuf, c’est un platzkart de luxe, confirme Varia tout en riant.

La journaliste demande à Louise comment s’est passée la traversée en bateau. Est-elle triste d’avoir quitté ses parents ? L’enfant n’y a pas encore pensé. Il y a tellement de distractions ! Elle se rappelle les spectacles et les jeux sur le bateau.

— J’aimerais tellement refaire la traversée, dit-elle. On montait des escaliers, on se perdait dans les couloirs…

— Les éducateurs vous laissaient faire ce que vous vouliez ?

— Non, ils étaient sévères mais ils ne criaient jamais, dit le 6.

— Quels spectacles avez-vous vus ?

— Le lac des cygnes.

— Sur le bateau ?

— Oui, il y avait un grand théâtre et de vraies ballerines, comme à Paris.

— Et ici ?

— On attend l’ours Micha, dit Nathan qui a fini par s’approcher, mais si vous restez là avec toutes vos caméras, il ne viendra pas.

L’excitation des enfants est à son comble. Les journalistes n’existent plus. L’ours est là, devant leur wagon. Un gros ours grizzli qui dépasse son soigneur de plusieurstêtes quand il se dresse sur ses pattes arrière. Il s’approche, colle sa truffe contre la vitre puis s’écarte. Les petits voyageurs jubilent, après qu’on les a assurés que les fenêtres étaient toutes verrouillées. Le soigneur tend à Micha un écriteau qu’il tient entre ses griffes : « Est-ce que vous êtes sages ? ». Les enfants répondent en chœur : « OUI ! ». Micha leur montre une deuxième affichette : « Répondez-moi en russe ! ». Et la réponse fuse instantanément : « DA !!! » Les enfants rient aux éclats quand il exécute différents tours avec son maître comme s’asseoir sur une chaise, faire du vélo ou jouer de la guitare.

Pour conclure, il enfile une casquette de la compagnie des chemins de fer et leur fait un petit signe de la main, montrant un énième panneau : « Je reviendrai vous voir. Je suis dans le dernier wagon. » Les enfants applaudissent Micha et le regardent s’éloigner à regret. L’interview peut reprendre.

La journaliste rappelle la date : mardi 31 décembre. Il leur reste quelques heures avant de « rencontrer » la nouvelle année. Elle veut savoir comment cette « rencontre » se passe en France.

— On ne la rencontre pas, dit Louise. Ce n’est pas une personne.

— Et vous n’avez pas de cadeaux ?

— Si ! Mais on les a avant, pour Noël.

En Russie, la nouvelle année est comme une personne que l’on rencontre pour la première fois, explique Stiopa. Elle est l’amie avec qui on passe 365 jours de sa vie et c’est cette personnification qui en fait un moment si singulier.

— C’est marrant, fait Louise.

— Mais avant de la rencontrer, on raccompagne la vieille année, rappelle la journaliste.

— Et si elle a été très méchante, demande 21, on est obligé de la raccompagner ?

— On essaie de garder en mémoire ses bons moments.

— Il n’y en a eu aucun, dit 21

— Regarde comme on s’amuse bien depuis qu’on est montés sur le bateau, tempère Louise. Et on est toujours dans la vieille année.

— Elle a envoyé ma maman en prison.

Le silence que suscitent ses paroles est très vite comblé par l’optimisme de Stiopa.

— C’est pour cela qu’il faudra demander à la nouvelle année de tout faire pour la libérer.

21 essuie les larmes qui coulent sur ses joues. Vika le serre contre sa poitrine.

— Ça va aller, dit-elle.

— Et qu’est-ce qu’on fait pour raccompagner la vieille année ? interroge Louise.

— Les grands boivent un verre de champagne et les petits un verre de kloukva.

— C’est quoi le kloukva ?

— C’est un jus de fruits que l’on servait autrefois.

L’agent des chemins de fer russes vient de siffler. L’éducateur prie les journalistes de descendre. Les portes se referment. La Marseillaise retentit dans les haut-parleurs. Rouslan demande aux enfants de rester debout et silencieux pendant toute la durée de leur hymne national.

— C’est bon, vous pouvez regagner vos places, dit-il, alors que le train a définitivement quitté le quai.

— Moi, ça me fait toujours quelque chose d’entendre La Marseillaise, même s’il n’y a pas les paroles, dit Louise.

— Ton oncle est colonel, c’est pour ça ! Parce que moi je la trouve super moche cette chanson, lui avoue Nathan.

Vika annonce qu’un spectacle aura lieu dans chaque gare et que des repas chauds leur seront servis. En attendant, ils mettent à leur disposition des jeux de dames, d’échecs, de Scrabble, de cartes, des puzzles, des canevas, des cahiers de dessin. Ils n’ont qu’à les demander au bar.

Louise va tout de suite se chercher un cahier de dessin qui lui est remis avec un crayon et une gomme.

— Qu’est-ce que tu vas dessiner ? demande Nathan, étonné.

— Je ne sais pas, dit la petite fille. Ce que je vois. Le wagon, l’ours Micha.

Le paysage défile. Peu d’agglomérations mais des campagnes. Dans le Nord tout est enneigé ; dans le Sud, l’herbe est graduellement remplacée par la neige. Et de partout, des clochers aux bulbes étincelants, de petites églises perdues au milieu des prés, des monastères. Toutes les gares où s’arrête le train sont superbement décorées. Des boules en verre ciselé, des cristaux, des guirlandes, des sapins. Les théâtres pour enfants et les cirques ont tous prévu un spectacle. Il y a des jongleurs, des clowns, des enfants comédiens, tellement d’enfants qu’ils donnent envie à Nathan de faire du théâtre.

De temps à autre, les éducateurs leur parlent de ce que sera leur quotidien à Dietski Gorod. Le matin, ils iront à l’école. L’enseignement du primaire sera dispensé en français et en russe. Ils commenceront tôt, à 7 h 30 et termineront à 13 h. L’après-midi, ils se rendront à leurs cours de musique, de danse, de sport. Ils seront cinq par maison, les petits avec les grands. Oui, Louise et Nathan seront ensemble. Oui, les frères et les sœurs ne seront pas séparés. Deux d’entre eux, 17 et 52 ont trois frères et sœurs à bord du Saint-Exupéry.

— Pourquoi ne sont-ils pas avec eux ? demande Louise.

— Pour le train, on voulait des enfants du même âge, répond Vika. C’est plus simple à gérer pour les spectacles.

— Les petits n’ont pas d’ours ? s’inquiète 17.

— Tous les trains ont leur ours, le rassure Stiopa. Le Saint-Exupéry a Serguei, nous, on a Micha et les trains du sud ont Natasha et Olga, deux femelles.

— C’est tellement incroyable d’avoir eu cette idée d’ours, s’exclame Louise.

Quoi de plus naturel quand l’ours est le symbole de la Russie, qu’il est le maître de la taïga et de toutes les forêts, qu’il est omniprésent dans le folklore et qu’on s’exprime à son sujet en utilisant l’expression « Son Altesse l’Ours » ?

Enchantés, les enfants comprennent le respect qu’inspire à tout un peuple cet animal à la fois dangereux et attendrissant.

— Alors, notre nounours vient de chez vous ? en conclut 21.

Varia confirme. Il semblerait que le nounours descende d’une vieille coutume sibérienne quand les mères plaçaient dans le berceau du bébé une patte d’ours pour le protéger. Les petits passagers perçoivent des cris de joie provenant du wagon voisin. Ils savent que Micha est à côté et se préparent à l’accueillir. Quand ils aperçoivent son grand corps nonchalant, ils l’acclament comme les supporters d’un match de foot. Mais Micha se fait prier, l’air bougon, les pattes en dedans. Puis brusquement, comme s’il venait de changer d’humeur, il redresse la tête et attrape le ballon que lui envoie son soigneur. Il enchaîne des poses qui provoquent la stupéfaction des petits spectateurs : s’assoit sur un banc, croise ses pattes, prend un journalqu’il fait semblant de lire. La musique qui remplit le quai n’a même pas l’air de le déranger. Rachmaninov côtoie Ravel, Prokofiev, Debussy… Édith Piaf, Vanessa Paradis. Micha dirige ses oreilles vers les haut-parleurs comme si tous ces sons lui étaient agréables et surtout ces petites voix qui scandent : « Micha ! Micha ! Micha ! ».

À un autre arrêt, ce ne sont pas les clowns, les comédiens ou l’ours que les enfants rencontrent mais les « babouchkas ». Les grands-mères ont insisté pour nourrir les petits Français avec de bons plats tout chauds : pilménis, dolmas, botch… Elles ont apporté leurs casseroles. La vaisselle est adaptée et des jeunes filles les aident. Les éducateurs débloquent les fenêtres qui s’ouvrent sur le quai. Les assiettes passent de main en main, tout comme les bols de soupe et les pirojkis, de petits gâteaux fourrés au chou ou à la pomme de terre. Les journalistes surgissent dès qu’ils le peuvent pour filmer les enfants ou saisir au vol une interview éclair.

Chaque couchette est équipée d’une tablette qui se déplie. Les enfants mangent avec appétit. Dans la soirée, Varvara distribue les pyjamas. À 21 heures, le train s’arrête au beau milieu de la campagne et les lumières s’éteignent. Au loin, se détache de l’obscurité une silhouette qui a la forme d’un immense calendrier dont les pages s’envolent une à une. À mesure qu’elles s’élèvent dans le ciel, elles se transforment en feu d’artifice avant de disparaître. Il n’y a bientôt plus aucune page. Seulement l’ombre du champ.

— Et voilà, la vieille année est repartie, dit Stiopa en rallumant les lumières.

Les enfants boivent le kloukva tandis que le train repart. Il reste trois heures avant de « rencontrer » la nouvelle année. Il faut dormir. Chacun se met au lit après s’être lavé les dents dans le lavabo installé sous la grande tablette qui sépare les couchettes du bas. D’un coup tout redevient calme. Le roulis régulier du train, ponctué par le sifflement des passages à niveau, berce le silence.

À minuit, le train s’arrête de nouveau en rase campagne et les petits voyageurs sont réveillés par une chanson russe et le crépitement d’un feu d’artifice. Les chiffres de la nouvelle année éblouissent la nuit. Une chanson remplit l’espace. Des projecteurs illuminent la neige. Émerveillés, les enfants voient arriver le traîneau du père Glace tiré par un renne. Une jolie blonde, vêtue d’un long manteau de velours bleu ciel et d’une chapka blanche l’accompagne.

— C’est Snigouretchka, Petite Neige en français, l’assistante du père Glace, dit Stiopa sans allumer les lumières.

— Le père Glace, c’est le père Noël ? demande Nathan.

— Oui, c’est un peu pareil, dit Stiopa. En Russie, on a toutes les religions mais une chose en commun : le froid. C’est pour cela qu’on l’appelle père Glace, Dièd Maroz, en russe.

Le traîneau effectue de grands tours dans la neige, soulevant le manteau bleu roi du père Glace. Sa barbe et la bordure de son habit ressemblent à celles du père Noël. Ses cadeaux sont nombreux et entassés dans son traîneau. Il y en a tellement que trois grosses luges sont accrochées derrière.

— Snigoureshka va l’aider à distribuer les cadeaux, explique Roulan.

— Ça fait drôle de voir un père Noël en bleu, s’étonne Nathan.

— Et la nouvelle année, elle est où ? demande Louise.

— Elle est là, avec nous.

— Mais on ne la voit pas, regrette la petite fille.

— Tu l’as vue apparaître dans le ciel, lui rappelle Rouslan. Ses chiffres flamboyaient. Elle est maintenant ton nouveau « compagnon de voyage ».

La chanson s’arrête brusquement et une voix surgit dans le haut-parleur. Elle s’exprime en français avec un très fort accent russe.

« Chers enfants français. Je suis le président de la Russie et infiniment heureux que vous soyez là, parmi nous en ce premier jour de l’an. Je vous souhaite tout le bonheur qu’il est possible d’espérer pour cette nouvelle année. Une école, un conservatoire, les salles de sport, un théâtre et des animaux vous attendent à Dietski Gorod, la ville des enfants. Vous y retrouverez notamment l’ours Micha que vous aimez tant. Bonne année à vous tous. »

Le discours est suivi de l’hymne russe. Les quatre éducateurs se tiennent au garde-à-vous dans le noir alors que le traîneau du père Glace s’approche de leur wagon en faisant sonner tous ses grelots. Snigoureshka frappe à la vitre. Louise la baisse immédiatement.

— Bonjour petite fille, je suis Petite Neige.

— Bonjour Snigoureshka, dit Louise qui a retenu son nom russe. Vous nous avez apporté des cadeaux ?

— Des cadeaux mais seulement si vous avez été sages, ajoute la voix grave de père Glace qui est resté assis sur le traîneau et dont le manteau, de velours bleu roi pailleté d’argent, scintille.

Nathan le regarde avec curiosité, tout comme le renne dont les bois sont immenses.

— Combien de filles êtes-vous dans votre wagon ? demande Snigoureshka.

Stiopa s’approche.— Trente filles et vingt-quatre garçons, dit-il. Et il attrape les sacs que Sniougoureska lui fait passer, remplis de paquets rouges pour les garçons et argentés pour les filles.

Nathan fixe la robe bleu ciel bordée de fourrure blanche de Petite Neige. Sa natte blonde, dépassant de sa chapka immaculée l’intrigue. Joyeuse, elle leur souffle des baisers à travers la vitre avant de reprendre place sur le traîneau qui repart en tintinnabulant. Pendant ce temps, Rouslan a déposé sur chaque lit un petit paquet. Il propose aux enfants d’allumer leurs éclairages individuels pour les ouvrir. Ce que Louise découvre la ravit. Le jouet est en bois, sans doute sculpté à la main et représente une maman ours qui lave son petit dans un baquet. Un système de liens, retenus par une boule, actionne ses mouvements. Nathan a reçu une matriochka qui s’ouvre en dix morceaux. Leurs voisins de dessous ont eu, eux aussi, des ours en bois sculpté. L’un joue du tambour, l’autre fait la vaisselle. Stiopa demande aux enfants de ranger leur jouet et d’éteindre leurs lumières. Le feu d’artifice a repris. Fascinés, ils suivent le traîneau du père Glace jusqu’à ce qu’il disparaisse de la ligne d’horizon.

— Elle était tellement belle, Snigoureshka, fait Nathan un peu nostalgique.

Comme à son habitude Louise taquine son petit camarade avant de s’enfoncer dans le sommeil.

Au même moment, dans les salons du Kremlin, une Snigoureshka, identique à celle du train, se déplace gracieusement au milieu des invités du président. Père Glace la suit de près, dans son beau manteau de velours bleu roi.Le Président appelle les familles des petites victimes et remet un cadeau aux mères pendant que Snigoureshka se charge de celui des pères et que père Glace fait venir les enfants près de lui et leur pose tout un tas de questions en russe. Oui, ils ont été sages. Oui, ils veulent voir ce qu’il y a dans leur paquet. Non, ils n’ont pas oublié la France.

La petite Alice sort du papier d’emballage une magnifique poupée.

— Comment tu vas l’appeler ? demande père Glace.

— Snigoureshka, répond l’enfant.

Les parents et le président sont émus de les voir discuter en russe avec Dièd Maroz.

— Vous vous rendez compte qu’il y a trois mois, ils ne connaissaient pas un mot de notre langue ? fait remarquer le chef du Kremlin.

— On aimerait parler comme eux, dit la mère de Jules.

— Cela viendra, la rassure le président.

Dans un mouvement très solennel, les Français et les Russes se lèvent pour chanter La Marseillaise, directement suivie par l’hymne russe dont les parents des petites victimes ont appris les paroles par cœur.

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