Guerilla – Tome 2: 61-65

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CERVELLE, subst. fém.
Substance du cerveau.

QUELQUE PART DANS LA SOMME,
LE DIX-SEPTIÈME JOUR, 10H37.

La cervelle rissolait dans le fond de la poêle. Cédric ajouta un peu d’huile et de sel. Le crépitement leur mettait l’eau à la bouche.

« Voilà. Tu laisses caraméliser, juste à peine, une pincée de poivre et c’est prêt. »

En s’aventurant du côté des fermes, au sud du village – à l’opposé du corps du vieillard –, il avait vu ces restes d’agnelet encore fumants, jetés sur un tas de fumier recouvert par la neige. Il n’en restait que la tête, et les sabots. Il avait fourré la tête dans son sac, et était rentré, avec la promesse d’un vrai repas. Il faisait très froid. La veille, il avait lamentablement raté un lapin, avec son arc. Il n’apercevait quasiment plus d’animaux, sauvages ou domestiques. Tous tués et mangés, sans doute. Cette cervelle était inespérée. Ils feraient bouillir demain le reste de la tête. Ils comptaient bien la ronger jusqu’à l’os. Ils n’avaient presque plus rien à manger. Un peu de bouillon en poudre, d’avoine et de riz. Quelques tomates en conserve.

Le bébé avait de la fièvre, et Alice s’était mise à relire la Bible. Le pic de froid était terrible. Tout gelait, y compris le vin dans le garage. Les canalisations où stagnait un fond d’eau éclataient. Le petit poêle à bois, au tirage trop faible, séchait à peine leur linge, et ne permettait plus de chauffer que la pièce principale, leur quartier général. Le froid dessinait des fougères de givre sur les vitres. Le bois manquait. Au feu les meubles, les portes, les parquets. Au feu tout ce qui brûlait.

Alice langeait le bébé. La cervelle était à point. Ils s’attablèrent au coin du feu et mangèrent en silence. C’était un délice. Si ce froid persistait, Cédric ne pourrait plus sortir. Il le faudrait pourtant. L’électricien termina sa portion, lécha son assiette, et regardait Alice, qui souriait des yeux. Il aimait chaque jour un peu plus cette femme qui avait en elle, et dans chacun de ses airs et de ses gestes, un peu de cette majesté qu’ont les princes. Une forme d’assurance innée, d’économie terrienne de sa manière d’être, une capacité à tout affronter sans broncher et sans jamais céder un pouce de sa conscience au reste du monde.

Et Alice aimait chaque jour un peu plus cet homme sûr, aux joies simples, qui avait la rare qualité de mépriser tout autant qu’elle cet extérieur qui cherchait à s’immiscer en eux et entre eux par ses bruits, ses modes et ses dires. Et quels que puissent être au-dehors les rugissements de ce monde, ils étaient trois, chez eux, vivants, et ne voulaient plus qu’être là, dans la chaleur de ce foyer et la paix de leurs visages. À la surface de toute chose.

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ROUTE, subst. fém.
Voie de communication qui permet la circulation entre deux points géographiques.

DANS UNE FORÊT DES YVELINES,
LE DIX-SEPTIÈME JOUR, 11H04.

Le jour était revenu, encore, et il était toujours là, debout sur ses jambes, hébété, sale et tremblant, comme une bête traquée. Depuis l’aube, il ne s’était pas arrêté. Il n’avait pas pu s’asseoir. Trop froid. Trop mal. Il était tombé, à plusieurs reprises. Une plaie au coude, qui avait gelé. Les muscles de son visage étaient paralysés, ses lèvres par le froid entaillées, et sa morve, ses larmes et son sang noir encroûtaient ses joues et les abords de son nez cassé.

Il n’osait plus toucher ses oreilles. Ses mains, brunies par le bout des doigts, se lézardaient de crevasses. Il ne sentait plus ses pieds, et n’avait pas osé se déchausser. Il avait l’impression de marcher sur des moignons. La neige était si dure que ses pas ne l’enfonçaient plus. Il avançait plus vite, et cette idée le faisait tenir.

Aux alentours de midi, une piste de sang avait illuminé son visage terreux, strié de sueur, déjà gelée. Une succession de petits soleils rouges, un égouttement presque continu, accompagné de traces de sabots, deux ongles longs comme le pouce. Il ne savait pas de quel animal il était question, mais la piste était fraîche, et hagard il l’avait suivie, de ses yeux ciliés de givre. Et il était tombé sur ce sanglier de quatre ans, gisant sur le flanc, encore chaud. La balle était entrée par l’œil, avait fracassé le plancher orbital et la base du crâne. Blessé à mort, il avait couru des kilomètres avant de s’effondrer.

Le comptable avait plaqué les mains sur son poitrail, pour les réchauffer. Puis ils’était agenouillé, dans le craquement de ses vêtements, durcis par le sang gelé. La faim était terrible, mais il n’avait pas de couteau, et il était impossible d’entamer ces soies et cette peau épaisse. Il avait plongé deux doigts dans l’œil percé, pour fouiller la blessure, et sucer un peu de ce liquide gluant, teinté de sang. Puis il avait mordu la bête au boutoir. Un goût de terre dans la bouche, et un peu de sang chaud. Pas assez. Il gratta la neige, chercha une pierre coupante, et frappa la hure de la bête. Mais il n’avait plus assez de force. Il était resté un moment couché sur le corps chaud de l’animal, comme s’il pleurait un frère. Il savait que ce cuir le séparait de la vie. Et le nez enfoui dans sa toison revêche et son odeur de vieux chêne il s’était endormi. Mais le corps était devenu froid, et le froid l’avait réveillé.

Alors il s’était levé, dépliant ses membres sans chair et engourdis, et il était reparti, dans l’ébriété de l’hypoglycémie. Il n’eut pas l’idée de remonter la piste de sang vers son origine, pour tenter de retrouver trace des chasseurs. Précipité à nouveau dans ce monde immense, vierge d’hommes, indompté, il avait pensé à son emmerdeuse de femme, à ses livres de comptes impeccables, à ses magnifiques tableaux croisés. Et au fantôme de Simplet, qui tôt ou tard le rattraperait.

Et après quelques heures, il ne pensait plus à rien. Juste à marcher, avancer, encore et encore. Marcher contre tout, l’épuisement, et ce vent, qui frappait par rafales, flagellant son corps jusqu’aux os. Et le comptable alternativement implorait le ciel et le maudissait. Est-ce que quelque chose de vivant et d’humain allait enfin sortir de cette neige et de cette forêt ? Est-ce que ce cauchemar allait prendre fin ?

À grands pas, les mains coincées sous ses aisselles pour les réchauffer, comme un aliéné camisolé échappé de l’asile, il avait fini par voir ces layons, par suivre ce cloisonnement, et au bout de sa course il avait enfin vu cette trouée. Sous une épaisse couche de neige, un large ruban rectiligne, perçant la forêt de part en part. Une route. Jamais il n’avait été aussi près de s’en tirer. Il avança, se pencha sur cet ouvrage, façonné voici cinquante ans par des machines et des hommes. Il y examina les rares empreintes de pas, tel un géomancien égaré. Elles allaient dans les deux sens. Il avait hésité, puis choisi la gauche, au hasard. S’il avait pris à droite, il aurait trouvé la vieille auberge-relais, à quelques centaines de mètres. Il aurait pu s’y réfugier, et peuà peu s’y réchauffer. Mais il avait pris à gauche. De la route et du vide, à perte de kilomètres.

Il marchait, et le blizzard se déchaînait sur lui et emportait son sillage. Et sa silhouette se perdait dans la frasque des éléments. Et il continuait, à bout, à travers tout, comme un dément fuyant sa damnation. Cet être provisoire, fait de sursis et de hasard, savait que le moment approchait, le moment final, ce moment où il tomberait, et serait incapable de se relever. Le froid, la faim, la soif. La folie. Et la mort au bout de la douleur. Il marcha encore une heure et s’effondra, sans même le sentir. Il se réveilla trois heures plus tard, et se sentit bien ici, anesthésié par l’hypothermie. Il se tourna sur le côté, les bras croisés comme dans son lit, et s’abandonna ainsi. Le froid était trop fort.

C’était la règle d’or de ce monde, et la mort de toute chose.

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TITAN, subst. masc.
Fils de la Terre et du Ciel doué d’une grande force et réalisant de gigantesques entreprises, qui gouvernait le monde avant d’être détrôné par les Dieux à la suite d’une lutte colossale.

QUELQUE PART DANS L’ESSONNE,
LE DIX-HUITIÈME JOUR, 16H21.

Un homme semblait ne pas souffrir de ce froid, tombé depuis longtemps sous le point de glace. Seul en ce monde de cierge, il allait et venait dans sa ferme isolée, du tracteur au hangar, du hangar à la benne, de la benne aux sacs d’engrais. La neige dure comme le bois craquait sous ses pas, et le froid posait sur ses joues un masque de fer. Le plein du tracteur, dont les pneus crantés ne marquaient même plus la terre, avait été fait pour l’hiver. Il restait du fioul, il pourrait le refaire. Il s’obstinait, depuis des jours, à vider les sacs d’engrais sur la dalle de béton du hangar, puis à concasser les grains de fertilisant de tout le poids du rouleau agricole, avant de les passer au broyeur à essence, pelletée par pelletée, et cette machine projetait l’engrais réduit en poudre dans la benne, déjà à demi pleine. L’aplatisseur à céréales aurait été idéal pour ce travail, mais il fonctionnait à l’électricité. Le broyeur à sciure, réglable jusqu’à un millimètre d’épaisseur, faisait l’affaire.

Vincent Gite regagna le tracteur, manœuvra le chargeur frontal pour passer la dent de la fourche dans l’anse d’un nouveau sac, le souleva et l’amena au-dessus du béton. Il descendit, et d’un coup de couteau éventra la base du sac, et les grains se déversèrent sur le sol. Et il recommença. Concasser. Puis broyer. L’opération la plus pénible. Six-cents kilos d’engrais par sac, vingt-cinq sacs en tout. Quinze tonnes, à la pelle. Il ne sentait plusses doigts. Deux semaines d’efforts. Le broyeur. Le tracteur. Le couteau. Le flot d’engrais se déversant. Le rouleau. Le grondement saccadé de la machine. Les coups de pelle, les mains en sang. Et parfois jusqu’à la nuit, dans les puissants phares du John Deere.

Et parfois la pause, et il se redressait, calmait la douleur de son dos, écoutait le silence, épais, lointain, total. Et il retournait à son corps à corps, à ces petits grains qui le hantaient, fidèle à ses lois, les muscles brûlants, le regard indéchiffrable, ses yeux d’amazonite constamment verrouillés sur son projet fou. Et goutte à goutte l’eau creusait la pierre. Et passaient les nuits sans rêves et les jours sans fin, et les courbatures, et l’obsession du temps qui manquait, de l’idée que la bête allait reprendre forme, que quand l’hiver partirait elle reviendrait.

Vincent Gite était, dans ce chaos, le seul homme qui avait un but, un but autre que la vie, une vision autre que la nuit, une pensée autre que la peur. Pour lui et lui seul il menait ses travaux de titan, qu’aucune bête et peut-être qu’aucun homme n’aurait pu accomplir. Il ne murmurait rien, ne chantonnait pas, ne pensait plus. Il passait matin et soir devant le cadavre du râtelier, qu’il avait baptisé Jean-Michel, et qui persistait à le regarder, dans sa curieuse composition mortuaire, sa décomposition contrariée, le visage par le froid pétrifié, tel un ange de pierre. Et matin et soir, quand les ombres du levant ou du couchant rampaient sur la plaine, Gite libérait une balle de foin de ses filets et la livrait aux bovins, placides survivants, se tenant au chaud dans leur étable. Il n’était plus tout à fait seul. Le berger australien de Jean-Michel, qui devait se planquer dans les hangars depuis sa mort, avait fini par se montrer.

La faim. Gite tendit la main vers lui. L’animal grogna. Il était bleu merle, aux yeux vairons, l’un vert et l’autre marron. Gite avait rempli sa gamelle, et depuis le chien le suivait, à trois mètres, les oreilles basses et la queue entre les jambes, car il le craignait.

Le broyeur manquait d’essence. Gite avait siphonné le réservoir du vieux 4×4. Il se contenterait d’écraser au rouleau la dernière tonne d’engrais, qu’il placerait à l’arrière de la benne. Dès que les quinze tonnes y seraient, il faudrait y mélanger mille litres de fioul. Après quoi, il préparerait le tracteur. Et il serait prêt.

Il ne neigeait plus. Seules les lignes haute tension scarifiaient le grand ciel bleu. Les masses d’air arctiques piégeaient le froid le plus violent au niveau du sol. Et là-haut, un rapace planait, seul, ses grandes ailes éployées sous le firmament, comme un lointain frère crucifié.

Il irait au bout. Contre toute logique, contre ce froid implacable, il allait réussir. Das ich ist nicht Herr im eigenen Haus, écrivait Freud. L’ego n’est pas maître chez lui. Gite avait passé les dernières années de sa vie à le démentir. Sa volonté était la monarchie absolue de son corps et de son esprit.

Il avait brûlé tous les barrages, débranché toutes les alarmes. Rien ne pouvait plus entamer son instinct de mort. Accident de son espèce, atome d’où naît le chaos, il s’était donné les pleins pouvoirs. Et voilà pourquoi ce personnage ne faisait pas de feu. Parce qu’il avait en lui le feu central. Celui qu’on présumait exister au centre de la Terre, assimilé aux enfers par les premiers hommes, et que parfois les volcans recrachaient sur le monde.

– 64 –

MALENCONTRE, subst. fém.
Mauvaise rencontre ; qui se produit mal à propos et cause de l’ennui.

QUELQUE PART DANS LA SOMME,
LE DIX-NEUVIÈME JOUR, 21H28.

Voilà plus de dix heures qu’il était sorti. La nuit tombée, il ne rentrait pas. Alice était seule avec son bébé. C’était tout ce qu’elle redoutait. Que faire ? Le bébé dormait. Elle veillait, remettait du bois dans le feu. Les heures passaient. Et il ne rentrait pas.

L’électricien avait fait une mauvaise rencontre. Il avait voulu inspecter cette masure, isolée, dans les bois hors du village, aperçue depuis leur chemin de promenade, à l’époque où ils se promenaient encore. Ses vitres opacifiées avaient fait l’objet de leurs plaisanteries. Un quelconque maniaque devait s’y terrer. Cédric s’était dit que cette maison, peut-être inconnue des habitants du village, pouvait receler quelques vivres. Mais rien ne s’était passé comme prévu. Alors qu’il remontait dans le sentier de neige tassée l’artère principale du village, d’ordinaire déserte à cette heure, il avait entendu cette voix dans son dos.

« Hé ! On se promène ? »

Ils étaient trois, à une trentaine de mètres, au milieu de la rue, le froid panaché de leurs haleines chaudes. Ils n’avaient pas l’air méchants, n’étaient visiblement pas armés. Mais Cédric était seul. Il n’avait que son arc, et son sac à dos. Les trois gars avaient dû le voir passer, depuis une des maisons de la grand-rue. L’un d’eux avança.

« On peut discuter ? »

Sans hésiter, Cédric se mit à courir, le plus vite possible. Il était sportif, souvent placé dans les duathlons locaux. Il courut jusqu’au bout de la rue, à la sortie nord du village, sans se retourner. Surpris par sa vitesse, les trois gars restèrent sur place, sans bouger un cil. Quand Cédric s’arrêta, il se rendit compte qu’il était tout près de son vieillard. Il ne put s’empêcher d’approcher le bosquet fatidique. Il était toujours là, congelé dans la même position, mais quelqu’un avait pris sa couverture, et même son carton. Il ne s’attarda pas.

Un peu plus loin, il s’engagea dans les bois, repéra un conifère, fit quelques pas et se pencha, examina le pied d’un bosquet. Le piège en fil de laiton qu’il avait repéré n’était plus là. Relevé, ou volé. Il y avait trop de rôdeurs pour jouer à ça. Cédric avait regagné le chemin. Il pensait aux trois villageois. Il devrait être vigilant au retour, au besoin ferait un détour.

Il avait finalement atteint la maison aux vitres opacifiées, qu’un vaste terrain séparait du couvert des arbres. Il l’observa longuement, sans voir personne. Elle semblait inoccupée. Dans la neige, quelques traces de rôdeurs. Après une longue hésitation, il sortit du bois, arc tendu devant lui. Pas un mouvement, pas un bruit. Se retournant sans cesse, il finit par atteindre le seuil de la baraque, où il resta immobile, aux aguets. Rien. La porte d’entrée défoncée, sans doute à la masse. Il lui suffirait de la pousser pour entrer. Il n’y aurait plus rien à manger là-dedans. Les vitres étaient comme peintes en noir de l’intérieur. Ou peut-être était-ce un film adhésif.

L’observait-on de derrière ces fenêtres ? Se préparait-on à le recevoir ? Il eut un mauvais pressentiment. Le silence, trop parfait. Comme si on l’épiait. Il finit par se décider, poussa enfin la porte. Le vent souleva quelques paperasses jonchant le sol. Puis plus rien. Une odeur de renfermé. Un silence de crypte préromane. Il entra. Personne. Par réflexe il tapa les talons de ses bottes contre le seuil, pour en décoller la neige. On avait déjà visité cette baraque, et plus d’une fois. Un sofa, une table basse, une cuisinière. Les armoires et les tiroirs ouverts. À part les paperasses, et quelques livres humides, il ne restait plus rien. Cédric monta à l’étage, fit le tour des chambres. Rien. On avait pris les couvertures et les matelas. Des traces sur le sol et des trous dans les murs indiquaient qu’une armoire forte avait été descellée, et enlevée. Deux iguanes verts gisaient morts de froid dans leur terrarium, comme de saintes reliquesen leur châsse. Sans conviction, il monta au grenier, en fit le tour, déplaça quelques cartons de bibelots, couverts de poussière. Ici aussi on s’était servi.

La maison était totalement dépouillée. Il se dirigea vers l’escalier, et c’est alors qu’il entendit la porte claquer. Le vent ? Non. On marchait au rez-de chaussée. Quelqu’un. Quelqu’un venait d’entrer. Cédric resta figé dans son mouvement, les yeux écarquillés, comme une version survivaliste d’un jeu d’enfant. L’intrus était-il tout seul ? Difficile à dire. Il entendit murmurer. L’électricien avait brandi son arc et encoché sa flèche, se préparant à la confrontation. Mais il n’entendait plus rien. Et en attendant n’osait plus bouger, de peur d’entendre le parquet grincer. La nuit arrivait. Il était pris au piège.

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DIARRHÉE, subst. fém.
Trouble caractérisé par une évacuation anormale des selles par leur consistance liquide et leur trop grande fréquence.

PARIS 17e,
LE DIX-NEUVIÈME JOUR, 22H39.

L’opération séduction était reportée à une date ultérieure. Depuis des heures, la fille aux cheveux verts, enfermée aux toilettes, se vidait d’elle même, dans un grand fracas liquide. Des jets de diarrhée violents, parfaitement fluides. Il en faudrait plus pour le dissuader. Donatien devait juste se montrer patient. Il espérait seulement que l’eau des toilettes ne soit pas gelée, comme celle des bouteilles, sinon bonjour l’odeur. Des heures que ça durait, malgré les Smecta de Roméo.

L’oreille du Biscornu n’avait pour l’instant pas payé. Mais le moment viendrait… Il pensait avoir fait ses preuves. Il s’appliquait pour l’heure à la réconforter, à la soigner, justement sans se montrer pressant, sans dévoiler ses intentions. La bonne nouvelle, c’est que le cadavre de Roméo ne sentait plus. Il avait dû geler. Ou alors il s’était habitué. Dès qu’elle sortirait de là et irait s’allonger, blafarde et tremblante sur le sofa, il irait la couvrir, poserait la main sur son front, murmurerait une parole apaisante. Et elle, elle garderait son expression apathique, dévitalisée.

Elle ne parlait presque jamais. Le traumatisme, pensait-il. Qu’avait-elle vu ? Qu’avait-elle fait ? Que lui avait-on fait ? Le diable seul le savait. Il lui conseillerait de boire, beaucoup, de l’eau avec un peu de sel. Puis il la laisserait, et irait fantasmer leurs futurs ébats ailleurs.

Son heure viendrait, il en était persuadé. En attendant, les Biscornus setenaient à carreau. Ils devaient attribuer la mort d’un des leurs à un gang ennemi. Son cadavre était peut-être à vendre sur leur marché. Et peut-être allaient-ils lancer une vendetta contre les Albanais ?

Cette perspective d’en être le secret déclencheur l’amusait.

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