Chroniques du Grand Effondrement [8]

CHAPITRE 8

L’éclatement de l’Union européenne fut une réappropriation de leurs destins confisqués par les peuples. Mais celle-ci, trop tardive, accéléra le déclin engagé comme quand, retirant brutalement à un malade la béquille ayant atrophié ses muscles, on précipite sa chute.
L’accélération des mutations,
Nathan Lewine, Éditions Sciences sociales

Ce matin-là, une silhouette emprunta la discrète porte du Coq située avenue Gabriel, tout au bout du jardin de l’Élysée. Maurice Carcassonne était un des hommes les plus puissants du pays. Avec le président, ils étaient de la même promotion de l’ENA : la promotion Jacques Chirac. Une relation souvent critiquée par des médias prétendant que la BNP, dirigée par Carcassonne, lui devait son quasi-monopole sur les obligations sécurisées du trésor.

L’huissier antillais fit entrer cet homme trapu : un nez de boxeur, des joues épaisses, une bouche large aux lèvres charnues de jouisseur avec des dents de fauve solidement plantées dans une puissante mâchoire. Maurice portait le ventre en avant, un costume en vigogne, une chemise de coton et une cravate en twill de soie Hermès.

Le président l’attendait. Ils échangèrent une poignée de main pendant que le banquier posait chaleureusement sa main gauche sur l’épaule présidentielle en signe d’amitié.

— Ça fait plaisir de te voir, avoua le président, ici je ne manque pas de courtisans, mais je n’ai pas un seul véritable ami. Impossible d’avoir une vraie conversation avec ces larbins.

Chez Maurice, le président admirait la faconde, l’improvisation créatrice et surtout l’absence de gants avec laquelle celui-ciparcourait la vie. Le monde n’était pour le banquier qu’un vaste buffet dans lequel il suffisait de se servir. La notion même de pudeur lui était totalement étrangère. Tout ce qui ne lui appartenait pas — argent, propriétés, honneurs, femmes — avait vocation à devenir sien à un moment ou à un autre sans que cette prédation ne provoque chez lui le moindre sentiment de gêne ou de culpabilité.

Rien ne l’intimidait, le président Carcassonne fonçait sans s’inventer ni scrupules ni entraves : une âme dilatée par l’amourpropre. Le doute que François pensait être la marque distinctive des grands esprits était un sentiment complètement étranger au banquier.

— Tu as l’air crevé mon pauvre François, tu devrais dormir un peu plus. Tu ne tiendras pas longtemps si tu continues comme ça. Moi aussi, ces derniers temps, j’ai eu pas mal de soucis pour gérer mes équipes de trading obligataire, mais le sommeil c’est sacré.

— J’ai trop les nerfs à vif pour bien dormir.

— Fais attention, les insomnies, c’est le truc qu’on finit toujours par payer. Bon, j’arrête avant de te rappeler ta mère.

Le président sentait une légère brûlure sous les paupières. En plissant les yeux, l’irritation devenait plus forte comme s’il avait du sable dans les yeux. Il n’avait pas quitté son bureau depuis deux jours.

La vérité c’est que, même quand il se couchait tôt, François ne parvenait pas à trouver le sommeil. Son médecin lui avait prescrit des pilules, mais il les avait rangées dans un tiroir. Avec c’était pire, l’impression d’être dans le coaltar toute la journée. En regardant Maurice, il remarqua quelque chose de changé avant de réaliser que son ami se teignait les cheveux. Un signe de plus que leur jeunesse s’enfuyait. Il se souvenait de sa belle chevelure romantique : un tourbillon soyeux de révolté. Maurice pesait alors quarante kilos de moins et citait Marx et Althusser à tout bout de champ. Tout ça pour finir en banquier d’affaires parlant de lui à la troisième personne.

À la sortie de l’ENA, chacun avait suivi une voie en accord avec son tempérament. Le Conseil d’État pour François pendant que Maurice intégrait l’inspection des finances avant de pantoufler à la BNP pour en devenir le directeur général dix ans plus tard.De son côté, François s’était engagé au Parti socialiste, devenant conseiller général, puis député du Lot-et-Garonne avant d’être élu Premier secrétaire. En repensant à sa jeunesse, il réalisait que ses certitudes s’étaient dissoutes avec les années. Peut-on faire de la politique sans réelles convictions? Comment convaincre que l’on détient la vérité quand on est soi-même rongépar le doute? Il s’étonnait de la vitesse avec laquelle le monde s’était transformé au cours des trente dernières années.

Pourtant leurs désaccords politiques n’avaient jamais affecté leur amitié. Ils étaient tous deux suffisamment lucides pour savoir que la couleur politique de chacun résultait plus de traditions familiales et de tempéraments que d’une réelle adhésion à des convictions finalement sans importance. De toute façon, la réalité s’était échinée à réduire la fonction politique à une symbolique du pouvoir.

Un soir, à la fin d’un pot de départ bien arrosé, un conseiller élyséen au cynisme déplaisant avait même osé parler de chamanisme politique sur un ton grinçant. Sur le coup, l’expression avait choqué le président tant elle reflétait la cruelle réalité sans strass du pouvoir. Depuis des décennies, l’économie échappait au pouvoir des gouvernants. Les décisions se prenaient dans les salles de marché de Londres, Hong Kong ou New York. Au mieux, un dirigeant politique pouvait accompagner les tendances, faciliter certaines évolutions déjà perceptibles. Guère plus.

— Je peux? demanda Maurice en allumant un cigare, j’imagine que tu es déjà au courant de la rumeur qui court.

Toute sa face exprimait le banquier sûr de lui. La presse de gauche ne le ménageait pas, le décrivant comme un triomphateur gras imposant des conditions brutales aux gouvernements. Un homme capable de faire tomber un ministre pour moissonner des milliards sur une simple opération de swaps de dette.

— Toi, tu te mets à croire les rumeurs? dit le président agacé.

— Sur les marchés, la rumeur est souvent autoréalisatrice. Excuse la vulgarité de l’image, mais les traders ont pour règle de ne jamais pisser contre le vent. Et les vents sont mauvais en ce moment.

— Ne m’impose pas les mêmes gémissements que mes conseillers. Ici c’est le Mur des Lamentations permanent. Si j’avaisécouté les défaitistes, je ne serais pas là en ce moment.

— Sans vouloir te vexer, ce serait peut-être mieux pour toi.

Maurice avait toujours ressenti de l’incompréhension pour François qui s’était donné tant de mal pour s’emparer de ce sceptre illusoire. Fascinés par le pouvoir, les politiciens déployaient une habileté manœuvrière aussi remarquable que stérile pour s’en emparer, refusant de voir que celui-ci était devenu largement factice.

Quant aux grandes idées sur la démocratie, elles amusaient le financier. Ceux qui avaient accès aux médias étaient là justement parce qu’ils n’avaient strictement rien à dire, les véritables intellectuels crevaient de faim et cultivaient leur amertume lucide sur des blogs confidentiels pendant que les chroniqueurs professionnels grassement rémunérés déjeunaient avec les politiciens qui voulaient faire passer un message dans l’opinion.

— Ne surestime pas les électeurs, lâcha le président avec une lueur dans le regard, souviens-toi des veaux du Général.

— Veaux ou pas, oublie un second mandat. Entre les attaques terroristes en pleine zone sécurisée, le flot ininterrompu des réfugiés, le chômage et la criminalité. Sans parler des comptes publics…

— Merci du scoop. Tu crois vraiment m’apprendre quelque chose? Le ministre des Finances sera là dans une demi-heure. Les rentrées fiscales sont inférieures aux prévisions les plus pessimistes : un effondrement, des zones entières ne paient carrément plus.

— De quoi tu parles?

— Des zones dont la sécurité a été déléguée.

— Tu veux dire celles où les barbus font la loi?

— Eux ou d’autres, dit le président sur un ton agacé, les gens disent qu’ils refusent de payer deux fois.

— Envoie tes flics.

— Arrête de faire l’ignorant. À force de coupes budgétaires, les effectifs sont insuffisants. Les seules forces de l’ordre qui s’aventurent dans ces zones sont les muttawa, la police islamique.

— Je t’avais dit de ne pas mettre le doigt dans cet engrenage.

— Il n’y a pas qu’eux. En Bretagne, des paysans brûlent les perceptions. Les Corses aussi refusent de payer sous prétexte quel’état se désengage. Dans l’immédiat, mon problème est d’émettre en urgence de nouvelles obligations sécurisées pour payer les salaires, les aides aux réfugiés et ce qu’il reste de retraites.

— Des obligations sécurisées? Excuse-moi, mais sécurisées avec quoi?

— Comment ça avec quoi? s’étonna le chef de l’état, les biens de l’État, les hôtels particuliers, les bâtiments des Ministères, les terrains publics.

Le président était devenu écarlate. Maurice le dévisageait, inquiet.

— Tu es sûr que ton chef de cabinet t’a communiqué le dernier inventaire des biens publics?

— Oui, enfin je crois… Bien sûr, pourquoi?

— Ce que j’en dis, c’est pour toi… D’après mes informations, il ne reste plus grand-chose pour gager une nouvelle émission. Vous avez hypothéqué jusqu’à la Tour Eiffel et la Joconde. Même une partie des futures recettes fiscales sont affectées en priorité à certaines dettes. Je ne vois pas ce qu’il vous reste.

— Plutôt ce qu’il NOUSreste, non? Tu es toujours français? répliqua le président avec une lueur de défi dans le regard.

Maurice ignora le sarcasme. Il leva les deux mains pour dessiner dans l’air les guillemets.

— Et tu comptes les placer à qui tes obligations «sécurisées»?

— Je rencontre un consortium de banques russes tout à l’heure.

— Oublie les Ruskoffs, ils réduisent leur exposition sur la France.

— Si ça foire, il reste la visite officielle de l’émir du Qatar. Après tout, les Qataris ne gagneraient rien à la faillite d’un débiteur.

Maurice esquissa une moue dubitative en forme de grimace. François se leva, agacé. Il n’avait aucune envie d’écouter la suite. Les marchés tenaient de ces cruelles déesses aztèques dont on achetait les faveurs en les gorgeant de victimes.

Le salon doré avait été installé au premier étage par le Général, il se planta devant la fenêtre qui donnait sur le parc. À chaque fois qu’il pensait au grand homme, l’image d’un animal préhistorique puissant et majestueux lui venait à l’esprit. La première fois qu’ils’était carré dans ce fauteuil, il avait frissonné, sentant littéralement le souffle de l’histoire lui parcourir l’échine.

Son regard se posa sur une silhouette occupée à tailler les arbustes du parc. Des gestes calmes et précis. Il enviait cette vie simple entre la douceur des plantes, la lumière du matin, les fruits mûrissant lentement au soleil du printemps. Il aurait aimé posséder un pouvoir identique sur le pays, faire de ce chaos économique et sociétal un jardin à la française. Pour gouverner le monde, les grandes cités avaient besoin de tous les talents de la Terre. L’immigration allait nourrir l’humus d’une nation vieillissante. De ce terreau, une nouvelle civilisation allait naître, s’épanouir pour étonner le monde entier. Mais l’explosion démographique du Sud avait bousculé ses prévisions, l’immigration clandestine était devenue une marée incontrôlable. En lieu et place du jardin à la française, il avait eu la jungle. Il avait assisté à l’affaissement, à l’effondrement d’un édifice social déjà fragilisé par la gigantesque dette du passé, par la hausse du prix des matières premières. La France basculait vers une juxtaposition de communautés disparates rongées par la haine et le ressentiment. Il aurait dû être jardinier, mais la vie en avait décidé autrement.

Depuis toujours, on accusait les politiques de ne pas en faire assez ou d’en faire trop. L’homme de caractère était taxé d’autocrate, celui qui lâchait la bride à ses équipes s’exposait au reproche inverse : manque de cap, mollesse de caractère, indécision. Celui qui baissait les impôts était accusé de favoriser les nantis, mais les augmenter étouffait l’activité. Dans tous les cas, on parlait d’instabilité fiscale, mais, sans décision, le reproche d’immobilisme ne tardait pas à poindre.

Les peuples étaient prompts à définir un dirigeant par ses manquements. Un homme d’État devait garder le cap entre ces injonctions contradictoires, avançant sur l’étroite ligne de crête du réel.

Avec l’aggravation de la crise, la propension française à brûler ce qu’on avait adoré s’était accentuée. Au mécontentement populaire s’étaient ajoutés les sarcasmes des médias, les exigences des créanciers, les demandes des lobbies, de régions dévastées par lacrise. Une fragmentation du monde qu’il avait connu, la fin des certitudes.

Au fond du parc, des flammes montaient dans l’air froid : le jardinier brûlait des feuilles mortes. Une vie consacrée à la France s’achevant en syndic de faillite. Depuis des années, la dérive s’aggravait dans un déni inquiétant : les êtres vivants sont rarement conscients de leur propre puanteur. Des maux si nombreux que les élites furent les premières à exfiltrer leur progéniture à l’étranger, enrichissant d’autres nations.

À son élection, il n’avait trouvé que des friches industrielles, des usines décrépies et des villes ravagées par la crise et le communautarisme. Un pays avec la gueule de bois. Il n’avait eu que cinq petites années pour guérir une sclérose aussi ancienne : une tâche herculéenne, une course contre la mort. Tant de lâchetés et de renoncements avaient mené à ce désastre. Les alternances politiques avaient accéléré le déclin, empêchant toute action sur le long terme. Le jardinier était en train d’arracher des mauvaises herbes pour les jeter au feu. Maurice ne disait rien.

— À ton avis, que se passera-t-il si salaires, aides aux réfugiéset pensions ne sont plus payés? demanda le président, le regard perdu vers le lointain.

— Laisse tomber les retraites et ne paie que les aides aux réfugiés, et les salaires des forces de l’ordre, répondit de manière abrupte Maurice, mieux vaut l’injustice que le désordre. Après tout, cette génération ne s’est pas gênée pour nous léguer ce chaos.

— Ils peuvent crever, c’est ça? demanda le président en se retournant.

— J’ai dit ça? Dis-toi que personne n’aime les vieux, même pas leurs propres enfants. La plupart attendent qu’ils cassent leur pipe pour toucher l’héritage. L’allongement de la vie a été la pire chose qui nous soit arrivée. Il faut faire des choix. Et choisir c’est renoncer. Et puis, arrête avec tes utopies naïves, regarde où elles nous ont menés.

— Je préfère encore mes utopies naïves à tes sarcasmes désabusés.

Maurice avait trop pratiqué ses semblables pour nourrir quelques illusions à leur sujet.

— Des décennies durant, ce pays a repoussé toute réforme, dilapidant ses ressources, puis les empruntant quand elles furent épuisées.

— Vous, les banques, vous en avez bien profité de ces emprunts d’État.

Maurice attendait la suite. Il s’agissait entre eux d’un numéro bien rodé : l’homme de gauche lui reprochant sa rapacité de financier, alignant la litanie des éternels griefs faits aux banquiers. Maurice ne répliquait jamais. Si malgré leur impopularité, les banques existaient toujours c’est qu’elles avaient probablement quelque utilité. Il posa le regard sur les lambris dorés, tel un fidèle distrait écoute l’homélie d’un prêtre trop sévère. Chacun jouait un rôle assigné par le destin. Si Maurice gagnait autant, n’était-ce pas la preuve de son utilité? Lui-même s’était donné du mal pour se persuader du rôle essentiel des marchés financiers dans la circulation du sang monétaire.

Dix ans plus tôt à la fin d’un repas arrosé, François lui avait dit :

— Apparemment, même les fripouilles ont besoin de justifier leurs actes.

Maurice s’était senti directement visé par le trait acerbe. Après un froid de deux ans, ils s’étaient rabibochés comme un vieux couple que la discorde unit autant que l’amour. Le président continuait son prêche :

— Que connais-tu à l’art de gouverner? Dans ta boîte, tu donnes un ordre et on l’exécute. Tu n’attends aucune réélection. Gouverner est un tout autre exercice. Il résulte d’un fragile équilibre entre la réalité qui s’impose à tous et la part de ce réel que les gens sont prêts à accepter. Je louvoie sans cesse entre deux écueils : la réalité et l’opinion, ou plutôt la vérité et le mensonge.

— Le mensonge?

— Arrêtons de faire semblant. Les gens veulent qu’on leur mente. Sinon pourquoi avoir élu et réélu des Mitterrand ou desChirac? La vérité est inutile, nous la connaissons tous. Tout le monde sait que le roi est nu et que les caisses sont vides.

— Écoute François, toi et moi nous nous connaissons assez pour nous parler franchement, sans langue de bois. L’urgence c’est le désordre, le terrorisme, les émeutes. Sans armée, ni police, lesmilices feront la loi et s’affronteront dans un chaos irréversible. Déjà que ce n’est pas brillant en temps normal.

Le président considéra cette bouche épaisse d’appétits sans scrupules, comme si c’était la première fois qu’il la voyait.

— Comment ça pas brillant?

— Mais où tu vis? Tu me parles de caisses vides, mais il y a pire. Sors un peu de Paris, de la zone sécurisée. Il y a des camps de réfugiés illégaux un peu partout. Le pays est devenu un coupe-gorge où personne ne sort plus après le couvre-feu. La nuit, les portes sont forcées, des commissariats attaqués. Je ne suis même pas sûr que la France soit devenue autre chose qu’un concept historique en train de se dissoudre comme en leur temps l’état maya ou l’empire khazar. Tu imagines un seul instant le pays sans forces de l’ordre?

Le visage du président se crispa. Il avait toujours refusé de se laisser entraîner sur ce terrain, mais la réalité était têtue.

— Tu parles comme Rochebin maintenant? demanda-t-il sur un ton légèrement accusateur.

Le banquier haussa les épaules et esquissa une moue.

— On peut être une canaille et ne pas dire que des bêtises. Et moi je pense qu’il faut verser en priorité les allocations aux réfugiés pour éviter des émeutes raciales. Rochebin est contre, il veut les renvoyer.

Le président lui jeta un coup d’œil inquiet.

— Les renvoyer où? Personne n’en veut. Même pas les pays qui les ont vus naître. Sa refondation nationale n’est qu’un leurre, une tête de gondole destinée à masquer la nature profondément réactionnaire de son projet politique. Crois-moi, ce type est un aventurier qui s’est fabriqué un habit de rebelle. Une fois au pouvoir, il se transformera en autocrate. Tu méconnais l’étendue de son indifférence au vrai et au faux, la profondeur de son opportunisme intellectuel. Pour lui, une idée n’est ni juste ni fausse, elle se mesure à l’aune de son utilité dans sa stratégie de conquête du pouvoir. Il masque le vide de sa pensée derrière une philosophie d’emprunt dont il n’a pas assimilé le quart.

Maurice lui adressa un regard de reproche.

— Ne le fais pas plus bête qu’il n’est. Il est tout, sauf stupide.— Assiste à un de ses meetings, se défendit le président, son regard, sa manière de sourire en agitant la main. Et puis cette musique à la fin de ses shows.

— Il leur sert ce qu’ils attendent de lui, reconnais au moins que le type a un indéniable charisme. Et puis, tu n’aimes plus Nabucco?

— Ce type ne croit pas un mot de ce qu’il dit. Cite-moi une seule idée originale de Rochebin et je révise immédiatement ma pensée. En cas de besoin, il ressort une théorie poussiéreuse de derrière les fagots, un truc apparemment adapté à la situation parmi ceux disponibles en rayon. Par exemple, cette histoire d’économie mixte qui date du siècle dernier et à laquelle même nous, les socialistes, ne croyons plus. Parler d’économie mixte quand les caisses sont vides, en quoi ça résout mon problème de trésorerie? Un fumiste. Faut-il une guerre civile pour que les gens finissent par comprendre?

Maurice lui adressa un regard rempli de doute.

— Que tu le veuilles ou non, l’Hommen’est qu’un singe excité par le sang. De quoi parlent les romans, les films? De violence et de sexe. Il n’y a strictement rien d’autre. Rien. Regarde cette fascination morbide pour les tueurs en série, les dictateurs, les psychopathes. L’histoire se souvient de Gengis Khan, Tamerlan ou Ivan le Terrible, jamais des bâtisseurs. Les jeux vidéo se résument à des holocaustes numériques d’avatars. Pense à ces documentaires animaliers où des chimpanzés fous de rage attaquent une impuissante victime qu’ils mettent en pièces pour la dévorer. Une fois les structures sociales dissoutes, ce qui soit dit en passant est déjà bien avancé, il ne restera que le règne éternel de la nature – c’est-à-dire celui de la violence pure. Il n’y a que Rousseau pour croire que l’Homme est né bon.

François le regarda avec une lueur amusée.

— Tu te dédouanes un peu vite. Cette dissolution de la société, ce sont les gens comme toi qui en êtes responsables avec votre fameuse main invisible du marché en transformant les citoyens en consommateurs interchangeables, en target of the market au moment où les ressources mondiales s’épuisaient.

— Concède-moi que je n’ai jamais prétendu d’un côté lutter contre une globalisation inéluctable tout en effaçant les frontières quiprotégeaient le pays du pire. Tu l’as ta société multiculturelle, ton merveilleux Vivre-ensemble. Avec quel résultat?

— Même s’il connaît des ratés, le modèle français reste un idéal, se défendit le président.

— Laisse-moi rire François, ton prétendu modèle est en ruine. Le communautarisme a gagné, des villes entières vivent de fait sous la loi islamique, les femmes qui ne suivent pas leurs codes vestimentaires sont agressées en pleine rue par les voyous des muttawa qui agissent en police religieuse. Les gamins vont à la madrasa apprendre qu’ils vivent au milieu de ces kouffar qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, convertir ou égorger. Les salafistes sont de plus en plus puissants et la République de plus en plus faible. Un jour, ils décideront de jouer leur partition et ce jour est proche.

— C’est ton consumérisme qui a monté les communautés les unes contre les autres, contre-attaqua le président.

— Parlons-en du consumérisme comme tu dis. Ceux à gauche qui le critiquent sont les premiers à réclamer du pouvoir d’achat. Que cela plaise ou pas, le consumérisme était le seul ciment capable de préserver un semblant d’unité dans cet agglomérat humain. Le jour où les gens ont compris qu’il n’y aurait plus d’aides sociales, que les caddies seraient vides, tout est parti en vrille. Que font des camés en manque à qui aucun dealer ne fait plus crédit?

— Je t’écoute puisque tu sembles lancé.

— Ils s’entretuent pour obtenir leur dose.

Le président haussa les épaules et il fixa par la fenêtre un point lointain au-delà des limites du parc. Il aurait voulu être ailleurs.

— De toute façon, le temps des analyses est révolu, je n’ai pas le choix. Je dois trouver une solution pour passer cette échéance.

— Même si tu gagnes du temps, une autre échéance viendra, personne n’en veut plus de nos obligations.

— Où est le risque si nous nantissons des biens d’état?

Maurice se tut, renonçant à argumenter, à faire semblant. Le silence se prolongea, à peine troublé par la rumeur de la ville. Un silence différent des autres. Ce n’était pas une barrière entre eux, mais, au contraire, la conscience de vivre un moment étrange dans lequel ils étaient les derniers humains sur Terre. Le président restait immobile, comme s’il rêvait les yeux ouverts puis il sentit l’embarras de celui qui restait malgré tout son ami.

— Tu penses que tout ça va mal se terminer, n’est-ce pas?

— Je l’ignore, je ne sais plus trop quoi penser. Je sais juste que j’ai peur. Béatrice et les enfants ont quitté la France hier soir.

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1 Commentaire

  1. Une jeune femme , sergent dans l’armée Israelienne vient de démontrer en armant son groupe de combat civil d’un kibboutz et en le plaçant aux bons endroits qu’on peut repousser des musulmans armés et déterminés à massacrer tout le monde avec de lourdes pertes pour les agresseurs qui ont renoncé
    à leurs funestes desseinssur ce kibboutz . De l’intérêt de la constitution d’une milice pour résister avant que police, gendarmerie ou armée puisse éventuellement venir les renforcer ; il est a remarquer que les socialistes ont toujours tout fait pour désarmer les citoyens soldats. Nous ne sommes pas à Athenes ou à Sparte visiblement, de plus notre armée est à l’os, tout manque, à commencer par des munitions . Et je ne parle pas du moral des troupes . Arrivera ce qui doit arriver .