Requiem pour un poisson rouge XXVIII

C’est dingue la routine dans ce boulot, c’est pour le cinoche le mythe du gars débordé. Comme tous les matins me voici au bureau, il y a longtemps que je prends plus le café crème croissant au comptoir du bistrot du coin. Depuis que c’est Rachid qui a racheté en fait. Pure coïncidence.

– Ah boss, y a du nouveau.

– Décidément!

– La juge vient de vous envoyer ça, via motard de la police.

Elle me montre une grosse enveloppe.

– On se refuse rien place Vendôme, faut dire avec tout le pognon qu’ils piquent aux automobilistes ils peuvent.

C’était le dossier des analyses complémentaires demandées. Faut avouer l’autre grognasse avait été efficace. Résultat des courses, pas plus avancé, enfin si, les victimes ne sont pas un gros et une dame patronnesse. Je sais désormais qui n’est pas… Par contre va falloir ouvrir une boutanche pour mettre au clair mes idées.

– Au fait, il est passé Paulo prendre la caillasse?

– Non, pas de nouvelles.

– Décidément! Y a un paquet de trucs qui m’échappent, je dois vieillir ou trop boire. Je pense que c’est la première hypothèse.

– Margot!

– Qu’est ce que vous voulez?

– Ben alors, vous oubliez le rituel, c’est la révolution prolétarienne ou quoi?

– On sait plus quand vous êtes là, ni quand vous venez, vous faites votre intéressant à la jouer à la Maigret. Utilisez votre portable, c’est fait pour.

– D’abord utilisez le mot adéquat c’est un cellulaire, ensuite, sortez la boutanche espèce de gourdasse plutôt que de raisonner!

Il avait raison le tenancier, le petit personnel ne veut plus travailler, dingue non? Même la Margot s’y met, elle va me monter une cellule syndicale à ce train.

– Ah au fait …

Je vois le coup foireux venir, quand elle commence comme ça, c’est opération repassman en vue.

– Le voisin du dessus veut vous voir.

– Le barde illuminé?

– Parce qu’il aime les chats et qu’il gratte la guitare ? Il est gentil et très poli, c’est pas le cas de tout le monde dans cet immeuble.

– Et bouffe des graines et les animaux lui causent. Vous avez vu sa dégaine? Le sexagénaire avec son catogan et son blouson de motard, c’est pathétique… Un jour il va avoir des plumes et ses chats vont le bouffer. Vous savez quel est le plus grand prédateur de la planète?

– A part vous, non.

– Le chat. Je t’en foutrai du petit minou! Il veut quoi le timbré?

– Parait qu’il a entendu des bruits suspects dans l’immeuble.

– Ca devait être ses deux neurones qui s’entrechoquaient. Il est là?

– Je crois.

– Bon, je vais le voir, en attendant foutez la boutanche au frais, elle est pas à température et ça m’exaspère.

Encore une journée à la con, un siphonné qui va m’expliquer 30 millions d’amis et surtout, surtout, c’est limite une raison pour la lourder, le champ’ est pas à 5°… Y’a rien de pire pour me contrarier.

Faut que me farcisse l’autre dingo qui a des visions. Une fois il m’avait fait une théorie sur les mondes parallèles et la présence des extra- terrestres. J’ai raté ma vie, j’aurai dû faire neuropsychiatre, si je fais le compte j’ai côtoyé plus de pétés de la tête que de gens normaux, j’ai une super expérience dans le domaine. Ça va être quoi ce coup- ci? Je sonne, la sonnerie marche pas, ils ont dû lui couper l’électricité ou alors c’est un coup des aliens. On fait à l’ancienne, on tape sur la porte.

– Qu’est ce que c’est ? Y’a personne.

Un ectoplasme qui répond!

Bonjour, c’est le voisin, ma secrétaire m’a dit que vous vouliez me voir.

La le mystico- écolo réagit.

– Excusez- moi, y a tellement de ramificateurs qui émettent des ondes négatives.

Le type est cinglé, c’est confirmé. J’entends plusieurs verrous se débloquer, c’est Fort Knox chez les cinoques.

– Entrez cher Maître, excusez le désordre, c’est un plaisir.

C’est vrai que c’est un peu le musée des horreurs, des animaux empaillés, des tentures noires, des figurines ésotériques, la ménagerie féline feldgrau qui détale en miaulant à mon arrivée, manque le Baron Samedi pour la touche finale.

– Asseyez- vous, je fais place sur la table, je chasse mes chats pour qu’ils ne nous importunent pas.

– Ca doit coûter bonbon de vivre chez ses animaux.

– Les chats sont des animaux sacrés, c’étaient des divinités pour les Égyptiens.

– Y en a ce sont les vaches.

– En ce moment j’étudie la puissance de l’ail contre les esprits malfaisants, passionnantes les vertus de l’ail vous savez !

– Je n’en doute pas, c’est un très bon produit pour éloigner les pétasses. Par contre je vois un produit qui a aussi des vertus.

Je visais la bouteille de sky qui étonnamment trônait dans ce lieu insolite.

– Excusez- moi, excusez- moi, je manque à tous mes devoirs.

Et le fada joignit l’acte à la parole en me filant le flacon. Au moins y’a un éclair de lucidité dans son cerveau embrumé, comme quoi tout n’est pas perdu.

– Vous savez, je veux vous dire, je perçois les ondes négatives.

Super, c’est confirmé la foirade, maintenant sommes partis sur Radio France en ondes courtes.

– Voilà, depuis quelques temps je sens de mauvaises vibrations vous concernant.

– Vous inquiétez pas, c’est le Métro.

– Ne riez pas, des forces occultes terribles sont en action. Hier soir, vous savez je me couche très tard en raison de mes recherches.

– Oui, sur l’ail.

– Entre autres! J’ai entendu des bruits dans la cage d’escalier, ça venait de votre étage, comme je sais qu’à cette heure vous n’êtes pas là, j’ai ouvert la porte et allumé et j’ai vu partir un homme visiblement surpris par mon intervention.

– Il était comment? Vous pouvez le décrire?

– Je l’ai vu de dos, pas très grand, un peu enveloppé.

– Un visiteur du soir sans doute, nous ne sommes plus en sécurité nulle part même ici. Avant il y avait les bignolles à l’entrée qui surveillaient, par économie ils les ont remplacées par des digicodes fabriqués en Chine, voilà le résultat.

– Méfiez- vous! On veut vous détruire.

– Si les mauvais esprits veulent s’en prendre à moi, ils vont avoir du boulot, suis pire qu’eux, j’ai passé un examen pour entrer chez eux, ils n’ont pas voulu de moi, ils m’ont trouvé trop pourri.

– Ne le prenez pas à la légère, la menace est grave.

– Mais vous êtes là, vous veillez, vous êtes mon ange gardien.

– Oui mais les forces en présence sont terribles, terribles, je ne peux tout faire.

– Merci pour le breuvage, vous avez bon goût, ainsi que pour vos conseils, mais je dois vous laissez, j’ai du boulot. Je compte sur vous, si vous constatez des choses suspectes Margot est là.

– Je surveille mais je vous l’ai dit, je ne peux tout faire, les forces! Les forces!

– Merci, je sais, je sais, je compte sur vous, on se tient au courant, à plus.

Et je pris congé de cinoqman. Ceci dit les jobards ont parfois un second sens, comme les autistes. En l’occurrence c’était pas des visions ésotériques.

– Alors, vous avez vu le voisin?

– Oui.

– Il vous a appris des choses?

– Que nous avons Princesse Ewzullli et Bawon Sammmdi contre nous.

– Quoi!!!

– Cherchez pas, c’est une réflexion anthropologique. Vous n’avez rien remarqué de particulier ces derniers jours?

– Non, ah si, faudrait voir la serrure de la porte, j’ai eu du mal à ouvrir tout à l’heure.

– Appelez le serrurier, qu’il change tout et aspergez d’eau bénite le bureau, ça peut être utile.

Je ne crois pas aux esprits mais ça fait beaucoup de coïncidences et les serrures ne fatiguent pas par miracle. Faut avouer, quand ça ramifie c’est qu’il y a un lézard. J’ai comme l’impression qu’il y a beaucoup de gens intéressés à mes affaires en ce moment.

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